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Éducation positive : démêler le vrai de l’exagéré

Hélène Bonhomme 21 octobre 2021
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Jusqu’où faut-il aller dans la parentalité bienveillante ? Comment allier le respect de l’enfant et le respect du parent ? Dans son ouvrage L’éducation positive : une question d’équilibre ? paru cette semaine chez Solar, Marie Chetrit décrypte les injonctions à être des “parents parfaits” qui circulent sur les réseaux sociaux.

« Je trouve indispensable de ne pas laisser le débat éducatif glisser dans la caricature du clan des bons parents positifs contre les méchants parents punitifs. La nuance est encore plus indispensable dans ce domaine ! »

Si Marie Chetrit nous invite à nous libérer de la pression exercée aujourd’hui sur les jeunes parents, c’est parce que dans son parcours de mère, elle a dû apprendre à se faire confiance :

« Je ne me suis pas trop posé de questions pour mon aînée, qui était un bébé facile. J’étais encore très ancrée dans mon propre modèle familial, avec des parents affectueux mais dont on ne discutait pas les ordres. Puis après mon divorce, j’ai rencontré mon mari et son petit garçon. Je marchais un peu sur des œufs avec cet enfant, qui n’avait pas du tout été éduqué comme ma fille. J’avais besoin d’entrer en contact avec lui d’une manière plus soft, et c’est ainsi que je me suis intéressée à la parentalité bienveillante. Puis nous avons eu un premier petit garçon commun, et un second…

Avec lui, la parentalité bienveillante a montré ses limites,

en particulier les préceptes du type “si ton enfant fait des bêtises, c’est qu’il a besoin d’amour, d’attention et de dialogue” : Lapin a toujours été câliné et nous avons beaucoup verbalisé avec lui, ce qui ne l’a pas empêché d’être très imaginatif sur le plan des expériences contestables, y compris actuellement dans le cadre scolaire. J’ai alors pris mes distances par rapport aux injonctions de l’éducation positive, pour remettre un cadre plus ferme. Actuellement, nous poursuivons encore ce travail de “recadrage” dont il a manqué alors qu’il en a réellement besoin. »

Maternité + éducation positive + réseaux sociaux : un cocktail explosif !

D’après Marie Chetrit ce sont les “excellentes mères” qui sont les plus vulnérables aux injonctions des coachs culpabilisants qui sévissent sur les réseaux sociaux : « Ce sont surtout les mamans très impliquées, désireuses de donner le meilleur à leur enfant — et pourtant persuadées de n’en faire jamais assez — qui veulent cocher toutes les cases de la bienveillance (allaitement long, cododo, portage, etc…) et s’y épuisent. »

Les femmes interviewées par Marie pour son livre, ayant souffert de ces injonctions éducatives, ont en commun le fait d’avoir été très vulnérables à un moment de leur vie : « En soi, la maternité fragilise. Cette fragilité peut être accentuée par une très grande fatigue ; ou alors ces mamans ont vécu des violences physiques ou psychiques durant leur propre enfance ; parfois aussi elles manquent de confiance en elles et ont voulu prouver leur valeur de mère. Les injonctions éducatives bienveillantes martelées par les réseaux sociaux s’engouffrent dans ces brèches et causent alors de gros dégâts. »

C’est particulièrement vrai quand ces mamans ont leur second bébé : « Si elles parviennent à assurer une éducation positive avec un seul enfant, tout vole en éclat à l’arrivée du second, et l’atterrissage est très rude. Elles le vivent très mal. Cela engendre une grande culpabilité, un doute sur leur propre valeur et parfois, un burn-out ou des troubles dépressifs. »

Tout comportement parental ferme n’est pas de la maltraitance !

Marie Chetrit, qui travaille dans la recherche, a donc voulu aller à la source et vérifier ce que la science dit réellement de la parentalité bienveillante : « Le rationnel de la parentalité bienveillante repose en partie sur les neurosciences : l’enfant est immature, son cerveau est en construction, il a besoin de temps pour maîtriser ses émotions. Le stress chronique altère les capacités neurocognitives. L’amour et l’empathie donnés par les parents aident le cerveau de l’enfant à mûrir. Et c’est tout à fait vrai ! Là ou cela dérape, c’est que tout comportement parental plus ferme est considéré, par contraste, comme néfaste pour l’enfant puisqu’on ne parle plus d’amour et d’empathie, mais de règles et de sanctions perçues à tort par certains comme de la maltraitance. »

Comme l’a constaté Marie Chetrit, il y a en effet des preuves irréfutables du danger de la maltraitance sur les enfants. « Mais par maltraitance, précise-t-elle, on entend des faits graves et répétés : violence physique, négligence des besoins fondamentaux, violence psychique, violences sexuelles. Des comportements dont la gravité n’est remise en cause par personne ! »

Le problème, c’est que cela n’a strictement rien à voir avec ce qui est présenté comme violences éducatives ordinaires (ou VEO) sur les réseaux sociaux : « Changer la couche d’un bébé qui proteste, lui laver le nez quand il est enrhumé, obliger son enfant à se tenir correctement à table ou le presser pour qu’il se prépare le matin, élever la voix quand on a répété dix fois une demande… sont parfois présentés comme des VEO. 

Or cela n’a absolument aucune base scientifique :

tous les effets des violences sur les capacités neurocognitives de l’enfant ont été démontrés dans des cas de maltraitance, ou alors dans des modèles de rats et de souris soumis à des stress très intenses. Rien à voir avec “finis tes petits pois” ! Des situations qui engendrent un petit stress passager n’ont aucun effet neurotoxique, contrairement aux affirmations de certaines influenceuses parentales. Enfin, les injonctions de l’éducation positive sont rarement assorties d’une notion d’âge. Or un enfant de 5 ans n’a ni les mêmes fragilités, ni les mêmes besoins qu’un nouveau-né de 3 semaines. Les recommandations qui tournent sur les réseaux sociaux occultent complètement l’évolution de l’enfant et ses capacités croissantes, le faisant passer pour aussi fragile qu’une coquille d’œuf, quel que soit son âge. Cela n’a pas de sens. »

La mère qui ne s’énerve jamais n’existe pas

Après avoir commencé à partager ses réflexions sur internet, Marie Chetrit a reçu des centaines de messages de mamans soulagées : « Elles étaient très nombreuses à ne pas se reconnaître dans l’éducation positive telle qu’elle est véhiculée sur les réseaux sociaux, et à trouver cela franchement irréaliste. Le modèle donné, qui est celui d’une mère qui ne s’énerve jamais, prend toujours le temps d’expliquer, accueille toute les émotions, n’a que peu d’existence réelle. C’est un peu l’équivalent de la mannequin filiforme à la peau superbe qui fait 6h de sport par semaine : on en voit partout sur les couvertures des magazines, mais ça n’existe pas dans la vraie vie. »

Laxiste qui se laisse déborder, ou flic trop sévère ?

Comment trouver sa juste place de parent ? Pour Marie Chetrit, « il est avant tout nécessaire de se dire : “je suis la seule à connaître la réalité de ma vie. Moi et moi seule peux juger ce que je peux essayer avec mon enfant pour construire notre relation.” Les influenceurs très médiatiques ont souvent un mode de vie confortable et sont rares à vivre dans un deux-pièces, en touchant le smic. Pouvoir prendre du temps pour s’interroger en permanence sur la manière dont on interagit avec son enfant demande une disponibilité d’esprit qui est déjà en soi un privilège. Ensuite, même s’il est intéressant de se documenter sur tel courant éducatif, il ne faut jamais oublier ce qui est notre droit le plus strict : on peut piocher ce qui nous convient, et laisser tomber le reste, sans aucun complexe. Les théories éducatives donnent une direction globale mais ne sont pas un absolu auquel il faut coller au millimètre près, quel qu’en soit le prix. »

Concernant la discipline, Marie Chetrit nous rappelle que chaque enfant a des besoins différents :

« Certains ont besoin de davantage de cadre. D’autres peuvent se contenter d’un guidage parental plus léger. Reconnaître cette diversité parmi ses enfants, comme un besoin fondamental à satisfaire, permettra sans doute aux parents de déculpabiliser de devoir être plus fermes avec certains. Dans tous les cas, le meilleur juge, c’est vous seule ! »

Se protéger du jugement et retrouver confiance en soi

Il convient donc de se méfier des recettes toutes faites aux résultats garantis : « On décèle assez vite la faille : si ça ne marche pas, c’est forcément que vous avez mal appliqué la méthode, pas assez persévéré, etc. Le plus souvent, on vous renverra que la raison du problème, c’est vous. » 

Sur les réseaux sociaux règne une homogénéité à la fois angoissante, toxique et culpabilisante :

« Diversifier ses sources d’information est fondamental pour ne pas se laisser piéger. Discuter avec des amies et voisines de la vraie vie permet d’avoir une vision plus large, de constater dans le monde réel les résultats de modes éducatifs différents. »

Dans son ouvrage, Marie Chetrit nous rappelle également que le respect de soi précède le respect de son enfant : « Non pas au sens que l’enfant est secondaire, mais parce que si mon enfant voit que je suis capable de poser des limites, de réclamer le respect pour mes besoins très fondamentaux (moments de silence et de calme, aller aux toilettes ou prendre un douche seule, boire mon café chaud), il apprendra lui-même à respecter ses propres besoins, en plus de respecter ceux de ses proches. Un parent qui se laisse “dévorer” par son enfant ne l’éduque pas au respect de son espace intérieur. Et un parent qui a tout (trop) donné à son enfant, est finalement très culpabilisant car l’enfant se sentira forcément redevable vis-à-vis de lui. Cela crée un déséquilibre dans la relation, que je pense assez malsain. »

C’est difficile d’être parents : nous tâtonnons tous

« Quand on devient parent, on découvre à la fois la puissance infinie de l’amour, l’angoisse de la perte, l’envahissement total, l’oubli de soi, l’ambivalence des sentiments… Il y a de quoi trouver cela difficile ! », nous rassure Marie Chetrit. Plutôt que de faire un sans-faute, elle nous invite à revenir à la base : « la manifestation visible de l’amour pour notre enfant, par les gestes, les mots et les moments partagés. Il y a également l’honnêteté dans la relation : puisque les enfants sont désormais libres de parler à leurs parents, il serait bon de s’autoriser l’inverse ! Cette franchise nécessite parfois de fixer des limites, à adapter en fonction de l’âge et de la personnalité de l’enfant. Par exemple dire : « J’ai passé beaucoup de temps à jouer avec toi aujourd’hui, maintenant je suis fatiguée et je vais prendre du temps pour moi car j’en ai besoin. Tu sors de ma chambre et tu me laisses, s’il te plaît.” On peut apprendre à distinguer chez l’enfant ce qui tient du besoin (qui doit être satisfait) et du désir (qui ne doit pas obligatoirement l’être). Beaucoup de parents confondent les deux. »

Il est également indispensable de s’affranchir du regard des autres :

« Qu’une personne extérieure nous juge trop sévère avec notre enfant ou qu’elle nous juge laxiste, que sait-elle de notre relation avec lui au jour le jour ? »


Une grande peur des parents modernes est d’être maltraitants avec leur enfant. « J’estime que se poser cette question est déjà la preuve qu’on ne l’est pas. Un parent vraiment maltraitant ne remet jamais en cause son fonctionnement ! Pour les parents qui portent des douleurs anciennes sur leurs épaules, consulter un professionnel formé pour s’en défaire peut être une grande aide pour devenir un parent plus libre. Enfin, oser dire la difficulté de la maternité, l’épuisement, le ras-le-bol, trouver des espaces pour se confier au lieu de garder tout cela en soi, est fondamental pour se sentir mieux. »

Marie Chetrit, Éducation positive : une question d’équilibre ?



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Cet article a été écrit par :
Hélène Bonhomme

Fondatrice du site Fabuleuses au foyer, maman de 4 enfants dont des jumeaux, Hélène Bonhomme multiplie les initiatives dédiées au bien-être des mamans : deux livres, deux spectacles, quatre formations, la communauté du Village, une chronique sur LePoint.fr et un mail qui chaque matin, encourage plusieurs dizaines de milliers de femmes. Diplômée de philosophie, elle est mariée à David et vit à Bordeaux.

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