Audrey est une mère de famille sur le point de se noyer dans la charge mentale. Un jour qu’elle s’arrête au supermarché pour acheter à la hâte des citrons, elle sent une étrange présence qui l’observe de près. Elle est alors embarquée malgré elle dans un roadtrip impétueux.
Agathe Portail écrit des polars publiés chez Calmann Levy. Elle est également maman de quatre enfants rapprochés et lectrice assidue des mails du matin. Des citrons et des piles est sa première fiction pour les Fabuleuses au Foyer.
Épisode 3 : Les verrous sautent
Une sueur moite lui trempa aussitôt le dos et les tempes. Ses doigts crispés sur le volant pour ne pas risquer d’enfoncer le garde-fou, elle était déjà en train de ralentir, accablée sous le poids d’une culpabilité qu’elle n’avait pas tellement envisagée :
elle conduisait une voiture qu’elle venait de voler.
Une mère de famille désespérée arpentait forcément depuis des heures le parking de la grande surface de Pontoise pour y retrouver sa voiture. Bien sûr que cette femme avait dû appeler la police.
Bien sûr qu’elle-même était coupable,
bien au-delà de la culpabilité qu’elle pratiquait régulièrement, celle qui tient de l’auto flagellation et qui détruit de l’intérieur sans jamais vous conduire en prison. Alors qu’elle actionnait le clignotant et se garait à la sortie du pont, la voiture de police la dépassa en trombe et continua sa route vers le Touquet.
Le soulagement après la tension extrême déclencha chez elle une nausée violente.
Elle dût ouvrir la portière et se pencher à l’extérieur pour inspirer l’air fraichissant du soir. Il était 20h, son mari n’avait toujours pas cherché à la joindre et elle se sentit affreusement négligée. Son escapade libératrice lui semblait tout à coup déplacée, elle y lisait la marque d’un égoïsme forcené et, les paupières gonflées de larmes retenues, elle appela son mari.
Répondeur.
Elle composa le numéro de Margot, qui devait poster sur Tik Tok la moindre étape de la confection de sa tarte sans citron.
Répondeur.
Plus rien n’allait, le sentiment de sa solitude et de son inconséquence l’écrasait. Elle voulait son mari, sa petite maison de Génicourt, son quotidien rassurant qu’elle avait trouvé étriqué, les bouilles ravies de ses enfants, la tarte au citron de sa fille, elle ne savait plus ce qu’elle avait tant voulu fuir.
Elle allait rentrer.
Au moment de démarrer, elle se rendit compte qu’elle n’avait absolument aucune énergie pour repartir en sens inverse. Sa vision se brouillait, elle entendait au creux de ses tympans un bourdonnement de fatigue, elle était incapable de conduire deux heures.
Puisqu’elle était à cinq minutes de sa destination initiale, elle allait s’arrêter le temps de respirer l’air marin, histoire de décider quoi faire de cette voiture encombrante dont elle comprenait bien qu’elle ne pourrait pas tout simplement la déposer de nouveau sur le parking de son supermarché.
Arrivée au pied des dunes, elle se gara et ferma la voiture puis retira ses sandales et enfonça ses orteils dans le sable. Elle ne voyait pas souvent la mer et, puisqu’elle était arrivée jusque là, s’accorda le droit de marcher jusqu’à la longue écharpe d’écume qui venait mousser sur le sable.
Sans fracas, le chaos de ses pensées et de ses émotions s’organisait.
Elle ne comprenait toujours pas le mystère technique qui entourait sa clé de voiture mais elle accueillait une à une les raisons qui l’avaient poussée à s’évader. Tandis que le sable mouillé gardait la trace de ses pas, elle tentait d’ouvrir un chemin en elle et de faire sauter les verrous qui l’avaient rassurée un temps et qui aujourd’hui l’étouffaient.
Dès que ses talons entrèrent en contact avec l’eau, l’étendue du chemin à parcourir pour retrouver du sens à ce qu’elle avait construit lui sembla moins désespérante. La réalité même de sa fuite ne lui apparaissait plus comme une faute qu’elle aurait à expier jusqu’à la fin de ses jours, mais comme un sursaut de vie qu’elle était presque heureuse d’avoir su écouter. Face à elle, le soleil rasant animait la mer de reflets moirés. Elle en goûta la beauté et termina de s’apaiser au son du ressac.
Il lui restait encore à trouver une solution pour régler le problème de la voiture.
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