Demain j’aurai 40 ans…
40 ans… Non, ce n’est pas une blague.
40 anniversaires fêtés dans la joie.
Mais depuis quelques semaines, je sens l’angoisse me gagner. Je n’ai pas tout de suite identifié ces sentiments bizarres. Je n’ai jamais menti sur mon âge ni cherché à le cacher. Je n’ai jamais eu de problème avec le fait de vieillir.
Jamais ! Jusqu’à maintenant.
Pourquoi maintenant ? Je ne sais pas. Je suis une scientifique, je sais que le temps ne s’arrête jamais, je sais que la fin sera la même pour tout le monde et que nous sommes de passage.
C’est la définition même d’un être vivant : il naît, il grandit, il se reproduit et il meurt.
Je sais. ,Je ne me suis jamais crue au-dessus des lois qui régissent l’univers.
Alors pourquoi, plus les jours passent, et plus la boule que j’ai dans la gorge grandit, jusqu’à me donner des vertiges ?
Cela fait quelques semaines que je vis à côté de moi.
Je suis là, enfin, mon enveloppe corporelle est bien présente, j’affiche un sourire sur mon visage. Je fais bonne figure.
Mais en réalité, je suis ailleurs.
Je suis il y a 25 ans dans la cour du lycée, quand, avec les copines, on rêvait de notre vie « plus tard ». Je suis à la fac, assise au fond de l’amphi, je recopie les hiéroglyphes que le prof trace au tableau tout en organisant notre prochaine soirée. Je suis dans mon premier chez moi, mes 9m2 de chambre étudiante que je dois apprendre à entretenir seule. Je suis cette jeune fille qui rentre le week-end avec des sacs de linge sale, qui dit bonjour en coup de vent et qui claque la porte rejoindre ses copines. Je suis dans ma première histoire d’amour, destructrice. Je suis cette jeune femme qui a été trompée, dont le monde s’effondre. Puis je renais de mes cendres le jour où la route de mon Fabuleux croise la mienne. Je suis cette toute jeune prof qui débarque dans un autre pays, dans un petit collège de campagne. Je suis cette femme épanouie qui sort de la mairie au bras d’un homme merveilleux. Je suis ronde comme un ballon à la veille de mes 30 ans, et quelques instants plus tard, une jeune maman épuisée et pleine de doutes. Je suis en train d’emménager dans une jolie maison. Je saute de joie en voyant un petit trait rose apparaître pour la seconde fois. Je suis cette maman paniquée à la veille de son deuxième accouchement. Je suis une maman qui se noie, qui sombre peu à peu, entendant en bruit de fond tous ces gens bienveillants qui disent en cœur : « profite, les enfants grandissent vite, ce sont les plus beaux moments ».
Je suis une Fabuleuse qui réapprend petit pas par petit pas à prendre soin d’elle.
Et je suis là, à l’aube de mes 40 ans. Et je pleure. Je pleure sans pouvoir m’arrêter. Je pleure d’avoir été tout ça.
Plus que quelques heures. Quelques poignées de secondes pendant lesquelles j’appartiens encore au groupe des trentenaires. Des plus tout jeunes, mais pas encore vieux. Des vieux jeunes. Des “tout est encore possible”.
Je suis en face d’une porte que je ne veux pas pousser.
Je me souviens des 40 ans de ma maman. J’avais 12 ans. C’était il y a 1000 ans. Et aujourd’hui, c’est moi. Mon fils va souffler 10 bougies. Mais où sont passées ces 20 dernières années ? Pourquoi je me sens si mal ? La crise de la quarantaine ?
Il y a 3 ans, je me suis moquée de mon mari. Gentiment, mais moquée quand même. Et maintenant que c’est mon tour… Je n’ai plus envie de rire.
Mais pas le choix. Il n’y a qu’une route et elle passe par cette porte. Et si je m’endormais et ne me réveillais que 48h plus tard ? Je n’aurais pas à vivre cette journée.
Tout à coup, c’est l’illumination : demain je terminerai ma 40ème année pour commencer la 41ème.
En fait j’ai déjà 40 ans ! Cette histoire de D-Day me semble tout à coup beaucoup moins terrifiante : le passage dans la quarantaine, je l’ai fait sans y penser il y a 364 jours. Tout s’allège.
Je suis heureuse du chemin parcouru. Tout n’a pas toujours été facile, il y a eu des tempêtes, des ouragans, mais globalement, je suis là où je voulais être quand nous en parlions il y a 25 ans dans la cour du lycée. Et surtout, je suis heureuse.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Solène.