Cet article a été publié dans la tribune d’Hélène Bonhomme sur LePoint.fr
« Avant, j’avais des principes. Maintenant, j’ai des enfants. » Rencontre avec une maman psychologue, professionnelle des relations parents-enfants.
Non, ce n’est pas forcément plus simple d’être parent, même quand on connaît les théories de l’éducation sur le bout des doigts. C’est ce que Rebecca Dernelle-Fischer, psychologue et maman, a confié à Hélène Bonhomme, créatrice du blog Les Fabuleuses au foyer.
Être professionnel de l’enfance et se sentir débordé avec ses propres enfants…. ça craint ?
Rebecca Dernelle-Fischer : J’ai beaucoup de contacts qui sont dans des milieux sociaux et pédagogiques et qui sont étonnés par le fossé qui existe entre s’occuper des enfants des autres et s’occuper de ses propres enfants. Parfois, ces professionnels sont perdus un temps mais, par la suite, ils comprennent bien mieux les parents qu’ils ont, auparavant, dans le cadre professionnel, parfois “conseillés sans comprendre”…
Comme cette femme institutrice en maternelle qui en un tour de main savait préparer tous ses petits élèves à sortir et qui critiquait la lenteur des mamans à faire mettre un manteau à leur fils unique. Elle m’a confié : “J’ai compris le jour où c’est mon enfant à moi qui devait mettre son manteau et ses chaussures. Je pensais pouvoir faire mieux mais au fond, je ne savais pas encore ce qu’être parent impliquerait réellement.”
Comment faire pour y voir plus clair ?
Se rappeler qu’on est parents avant d’être des pros, se libérer de la pression qui pèse sur nos épaules. S’octroyer le droit de faire des erreurs. Faire quelques pas en arrière, comme quand des poules sont devant un grillage : elles vont toujours avoir tendance à avancer, mais si elles faisaient deux petits pas en arrière, elles découvriraient peut-être que le grillage n’est pas fermé, qu’il y a un chemin à droite ou à gauche, qu’il y a de nouvelles routes à emprunter…
En résumé : avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants ?
Oui ! Les données de base changent quand l’enfant avec lequel je suis en relation est le mien, et par là même, mes réactions changent aussi. Un jour, mes amies m’ont dit au terrain de jeux : “Et maintenant on veut voir comment une psychologue fait rentrer son enfant à la maison… !” J’ai répondu : “Ben comme tout le monde” et j’ai murmuré à l’oreille de ma fille : “Si tu viens tout de suite, on regardera un peu la télé ensemble à la maison”.
Et je suis partie en riant. En tant que parent, je fais tant partie du système que je n’ai plus la distance du professionnel, et heureusement !
Certains éducateurs sont capables de cadrer des gros durs passés devant le juge pour enfants, mais complètement déstabilisés devant leur propre progéniture qui balance ses brocolis sur le sol. Pourquoi ?
Un jour, j’ai demandé à un ami, éducateur expérimenté, comment se passaient les choses avec son fils. Je me souviendrai toujours de sa tête dépitée lorsqu’il m’a répondu en soupirant : “Je crois que je vais écrire un livre, et que je vais l’intituler La Fin de l’éducation. » J’ai ri et je l’ai si bien compris : le début de la pratique, c’est parfois tout simplement la fin de la théorie ! Lorsque nous devenons parents, nos grandes connaissances arrivent à leur limite, parce dans notre relation avec nos enfants interviennent beaucoup plus d’éléments que dans nos relations avec les enfants des autres.
Quels sont ces éléments propres à la relation parent-enfant ?
D’abord l’implication émotionnelle : puisqu’il y a un lien fort entre moi et mon enfant, mes réactions naissent dans un terrain qui est tout sauf neutre. Ensuite, l’image que l’on veut avoir de soi-même en tant que parent compte : on se met la pression pour être une maman ou un papa proche, cool, qui écoute, qui négocie, qui s’adapte, qui favorise le développement de cet être en devenir…
Il ne faut pas non plus négliger la fatigue physique : même si on adorerait passer l’après-midi au musée avec les enfants, dans la réalité, il faut aussi faire des lessives, s’occuper du lave-vaisselle, suivre les devoirs… peut-être même s’épiler ou tout simplement boire un café en paix ! Sans oublier l’absence de pause : on vit sous le même toit que ses enfants, même quand la journée est finie, même quand on est malade, même quand on n’a pas envie “d’être l’adulte responsable”.
Enfin, il y a les raisons du cœur : on peut adhérer complètement à certains concepts théoriques. Et pourtant, lorsque la situation se présente, c’est notre cœur qui s’impose. Eh oui, moi qui avais juré de ne jamais faire du co-dodo, j’en suis devenue adepte…