Vous n’avez pas pu y échapper si vous vagabondez sur des sites parentaux : l’éducation positive a le vent en poupe. Basée sur d’excellents principes issus des avancées en neurosciences – la prise en compte de l’immaturité cérébrale et émotionnelle de l’enfant -, elle est largement prônée et déclinée dans tous les aspects de l’éducation, de la motricité à la diversification alimentaire, en passant par le portage, l’allaitement, la libre expérimentation, l’expression des émotions, le tout étant cimenté par la notion essentielle de non-violence, de verbalisation et de respect de l’enfant. Pas de doute, le programme est motivant et prometteur d’une relation belle et complice avec nos enfants, telle que nous la rêvons toutes !
Les mamans influenceuses des réseaux sociaux en font souvent une abondante promotion, pour certaines avec force photos de leurs bambins vêtus de petits vêtements en coton équitable, manipulant des jouets de bois peints aux couleurs (bios et non toxiques naturellement) de l’arc-en-ciel.
Elles n’oublient pas, en général, de faire un petit placement de produit sur la photo, mais si discrètement. Elles racontent à quel point elles réagissent avec douceur et compréhension à la énième colère de leur rejeton, comment elles accueillent ses émotions et le sécurisent affectivement, avant de rajouter qu’elles partent préparer leur pain maison, leur fournée de yaourts et leur soupe aux légumes de saison.
J’avoue : je force le trait.
Mais je crois ne pas être la seule, devant ces mamans impeccables qui semblent gérer Terrible Two, Fucking Four et couches lavables d’une main de maître sans jamais se départir de leur calme olympien, m’être sentie, comment dire ? Voilà, un peu comme une grosse merde.
- Pourquoi y arrivent-elles, et pourquoi moi, je dois vociférer comme une mégère pour résister aux assauts véhéments de mes gnomes (ils veulent un dessin animé, ce soir-même, à 18h49) tout en réchauffant mes knackis industrielles au micro-ondes ?
- Pourquoi leurs enfants partent dans le calme à l’école, alors que je houspille les miens pour leur faire mettre leurs chaussures, à 8h28 ?
- Pourquoi, chez moi, le bain se finit-il toujours par une inondation générale et pourquoi mes admonestations de retour au calme, y compris les plus douces et les plus affectivement sécurisantes, leur glissent-elles sur le dos comme sur les plumes d’un canard ?
- Pourquoi ces fameuses techniques de communication respectueuse fonctionnent sur leurs enfants, et jamais sur les miens, qui se cognent totalement de mes efforts ?
En plus, les miens vont finir avec le cerveau cramé, c’est sûr, parce que quand je les gronde, leur taux de cortisol monte en flèche, et PAF ! C’est tous les neurones du cortex préfrontal qui viennent de claquer comme des ampoules surchauffées, et voilà, en plus d’être nulle et incompétente, je viens de compromettre gravement l’avenir de mes enfants parce que je leur ai bousillé le cerveau, c’est l’influenceuse qui l’a dit, et elle était catégorique :
IL NE FAUT JA-MAIS CRIER, ÇA ENDOMMAGE GRA-VE-MENT LE CERVEAU DE TON ENFANT !
Et elle s’y connaît vachement, elle est influenceuse sur Instagram. Et toutes les followeuses renchérissent dans les commentaires, haaannn, #stopveo, non mais c’est dingue, pauvre petit, moi jamais je crie sur mon enfant, je le respecte moi, c’est une personne, est-ce-que tu aimerais que ton patron te crie dessus comme ça, non mais franchement ? Et l’influenceuse répond cœur cœur bisou à toutes, sauf à toi qui a osé avouer que parfois tu grondais et tu punissais.
Et toi, ou moi, on part se cacher dans un petit coin, pleine de honte parce qu’avant-hier on a ordonné à Chaton d’un air excédé de ranger ses chaussures, qu’hier on a crié des gros mots en marchant une fois de plus sur un putain de Playmobil pointu de merde dans le couloir, fait chier, ce couloir toujours en bordel d’ailleurs, et qu’aujourd’hui on a attrapé Lapin par le bras pour qu’il aille se mettre en pyjama au dixième appel, parce qu’il était super occupé à étaler de la compote sur la nappe, et on se dit :
« Je suis trop nulle, je suis une mauvaise mère, je suis toxique pour mes enfants ».
Loin de moi l’idée de refaire le débat pour ou contre ce courant éducatif.
Nous le savons toutes :
Crier et être brutale avec son enfant ne sont pas des principes éducatifs en soi. Ces débordements nous remplissent de honte. Et quelque part, c’est une bonne chose : cela nous permet de ne pas nous accoutumer à ce type de relation, de nous remettre en question, de chercher d’autres solutions, de réaliser que nous outrepassons parfois nos forces.
Mais l’omniprésence sur les réseaux sociaux de ces mères (pas que, mais principalement) qui semblent pratiquer l’éducation positive sans peine, sans larme et sans échec, m’interroge. Leur influence, qui est grande, leur manque de recul et leurs jugements à l’emporte-pièce, également. Toutes ces personnes n’ont en général aucune expertise réelle dans ce domaine ; pas plus que toi, ou moi, si ce n’est leur amour pour leur bébé et, plus largement, leur intérêt sincère pour tous les enfants. Est-ce que cela suffit à les rendre compétentes en neurosciences ? Je ne crois pas.
Du coup, comme je me questionnais sur les études scientifiques qui sont à la base des VEO (violences éducatives ordinaires, ndlr) je suis allée me renseigner, directement à la source : en lisant l’ouvrage de Catherine Gueguen* qui a popularisé ce mouvement éducatif et base son discours sur des données scientifiques sérieuses. Et à ma grande surprise, ce qui est scientifiquement démontré est bien différent de ce qui est présenté à tous vents sur les réseaux sociaux.
En effet, ce que synthétise Catherine Gueguen dans son ouvrage, ce sont des travaux qui ont porté sur des enfants victimes de maltraitance physique, psychique, émotionnelle ou sexuelle. Je répète : des enfants victimes de MALTRAITANCE. Les études ayant démontré les effets délétères des VEO sur le développement cérébral et cognitif de l’enfant, (le fameux cortisol qui s’élève en cas de stress et exerce des effets toxiques sur le cerveau), ont toutes été effectuées chez des enfants vivant des situations familiales extrêmement graves, bien loin du cri de la mère excédée qui n’en peut plus de son tunnel du 18-20h. Les enfants comme les tiens et les miens, qui font face parfois à l’énervement de leurs parents, constituaient les groupes « contrôles » n’ayant pas subi de VEO.
Pourquoi te dis-je cela, chère Fabuleuse ?
Parce qu’on se fixe déjà la barre bien assez haute toutes seules. Si en plus il faut la monter encore un peu plus pour se mettre au niveau de ce que les réseaux sociaux véhiculent comme idée de l’éducation positive, ce n’est plus d’éducation dont on parle, mais de jeux olympiques du saut à la perche. C’est casse-gueule.
D’ailleurs, les médias commencent à dire, que l’éducation positive, n’est pas si positive que cela pour les parents…
- qu’elle met une sacrée pression supplémentaire sur notre dos;
- que l’imperfection parentale n’est sans doute pas si catastrophique que cela;
- que la manière dont l’éducation positive est présentée sur les réseaux sociaux est simpliste et fort loin des préceptes réels;
- que l’éducation positive n’a jamais prôné de tout accepter de son enfant, ni de renoncer au cadre et aux limites;
- que le créneau du coaching parental est juteux;
- que la tendance actuelle est au 100% : si tu n’as suivi que 99% des préceptes, c’est comme si tu n’avais rien fait;
- qu’on veut vendre aux parents une recette éducative toute faite, du style : « Ma recette de crème au chocolat inratable ! » ou « Mon tuto vidéo pour déboucher les toilettes en 5 minutes chrono ! ».
Mais… non.
Élever un enfant n’est pas aussi simple que de réparer un lavabo qui fuit. Ton enfant n’est pas un petit bonhomme semblable à des milliers d’autres petits bonhommes, auxquels on pourrait appliquer une recette magique. Ton enfant, que tu es la seule à connaître, arrive dans ton monde, avec ton histoire de famille, ton héritage, ta culture, et tes fragilités, mais aussi avec sa personnalité, ses forces et ses failles, dès qu’on le pose sur ton ventre.
Lui, semblable à aucun autre.
Ce n’est pas une petite forme en pâte à modeler que l’on sculpterait grâce au moule prêt à l’emploi de l’éducation positive. Certaines méthodes éducatives lui conviendront sans doute. Ou pas. Il sera peut-être sensible à la douceur avec laquelle tu lui parleras. Ou s’en fichera éperdument. Tel truc, qui aura super bien marché avec ton aîné, se révèlera inefficace avec ton dernier. Et inversement. Cet enfant-là, a peut-être besoin d’un cadrage plus ferme : ce n’est pas grave. À chaque naissance, il te faudra sans doute tout réinventer. Tu es la seule à savoir ce qui est bon pour lui, et nul autre que toi ne peut se faire une idée de comment ton enfant et votre relation, s’insèrent dans la petite constellation familiale.
Les posts de ces familles parfaites, avec leurs réactions toujours parfaitement ajustées, ont un effet dévastateur sur des mamans en quête de soutien. Certaines s’efforcent de suivre à tout prix les préceptes et les conseils éducatifs qu’elles y trouvent, de A à Z, et se rendent compte que cela ne colle pas chez elles. Et au lieu de recevoir les conseils et le soutien dont elles auraient besoin, elles font face à des jugements parfois violents, et rentrent dans une spirale d’auto-dévaluation.
Alors chère Fabuleuse, toi qui désespères de ne pas toujours réussir à garder ton calme, toi qui zappes parfois volontairement l’histoire du soir parce que tu es à bout, toi qui cette nuit as attendu cinq minutes avant d’aller voir ton petit qui pleurait parce que tu es écrasée de fatigue, toi qui envoies parfois ton enfant se calmer dans sa chambre parce que tu en as marre des batailles de legos et que tu viens de t’en prendre un dans le coin de l’œil (et ça fait mal, merde !), rassure-toi :
Le cerveau de ton enfant va très bien quand même.
Tu n’as pas ruiné sa vie, parce qu’un hurlement t’a échappé. Ferme Instagram, ou alors prends-y uniquement ce qui te convient et laisses-y le reste. Tu es une bonne maman, tu sais ce qui est bon pour ton enfant, et face aux montagnes de câlins et de regards pleins d’amour que tu lui offres, les quelques soirs où tu auras crié ne feront guère le poids.
* Pour une enfance heureuse, Robert Laffont