Les vacances sont comme ces petits cailloux chamarrés
que l’on voit briller au bord de la plage dans l’eau transparente, nimbés de soleil et chargés de la joie impatiente que l’on éprouve de les saisir. Sitôt que nous les avons au creux de la main, les petites pierres précieuses ternissent et se transforment en vulgaires cailloux. Je me faisais cette réflexion en me promenant sur le bord de la plage, les pieds dans l’eau tiède, devant la jolie baie bleue. Les goélands flottaient dans le ciel, les aînés s’amusaient dans les vaguelettes à grands renforts de ploufs et de cris, les petits cherchaient des cailloux et faisaient des pâtés de sable, accroupis en avant, leur chapeau sur la tête. À côté de nous, des grands-parents avec leurs petits-enfants, des couples d’amoureux sur leurs serviettes de plage, des mamans en bikini avec des bébés dans les bras. Je me promenais devant ce beau paysage rempli de gens détendus et heureux, tout allait bien et pourtant je me sentais maussade.
Mes vacances tant attendues,
que j’avais imaginées reposantes, riantes, paisibles et harmonieuses, ont été, en fait, encore plus fatigantes que la vie quotidienne. Je rêvais de confidences échangées, de siestes réparatrices, de visites enrichissantes, de complicité avec les enfants et mon mari. La réalité, c’est :
- toujours autant de lessive, de vaisselle et de rangement,
- des enfants qui braillent et se disputent plus que d’ordinaire,
- des conflits à gérer,
- une logistique décuplée sous une chaleur de plomb,
- des grands qui râlent d’être bridés par le rythme des petits,
- des petits frustrés de ne pouvoir tout faire comme les grands,
- des tirages de gueule avec mon chéri,
- et nous deux qui avons couru partout pour satisfaire au mieux tout le monde et ne nous sommes ni reposés, ni retrouvés.
Ce matin, une fois le petit-déjeuner pris, les enfants coursés pour leur faire faire pipi et les habiller, les grands priés à plusieurs reprises de mettre leur bol dans le lave-vaisselle, nous sommes partis au marché tous les 6.
Et là, miracle, un bref instant d’harmonie familiale :
chaque grand portait sur ses épaules un petit frère, tous étaient contents, et nous les suivions en les couvant du regard, fiers et heureux de voir notre tribu sans disputes ni hurlements. Ce fut bref. Un quart d’heure plus tard, un petit geignait pour avoir un jouet en plastique fait en Chine, et nous rentrâmes dans les cris et les gémissements de frustration.
Certains matins, moins fatiguée que d’autres, je me dis :
« Hé ho ma grande, tu n’exagères pas un peu, là ? Arrête de faire ta Cosette. Tu as déjà beaucoup de chance de pouvoir partir en vacances ».
D’autres jours, j’explose en moi-même, et pense :
« Ils me font tous c* ! Les petits, les moyens, les grands, je les colle tous en colonie de vacances l’année prochaine, du 7 juillet au 31 août ».
Pour de vrai, il faudrait que l’on m’explique comment,
après la fatigue d’une année scolaire chargée, les vacances d’une maman pourraient être reposantes, avec des enfants présents 24 heures sur 24. Je me sens en compétition avec eux tous, comme dévorée par leurs demandes incessantes.
Mais au fait, à force de courir après tous ces enfants… qui prend soin de mon enfant intérieur, pendant ces vacances ?
- Certainement pas les enfants, pas encore assez altruistes pour se préoccuper du repos et du bien-être de leur mère.
- Pas non plus mon mari -pas assez-, fatigué de son année et désireux de passer du temps avec les petits qu’il voit peu.
- Et certainement pas moi, trop préoccupée par la lutte contre les moustiques et les couchers ultra-tardifs, les coups de soleil et les noyades.
Alors que franchement, s’il y a quelqu’un qui devrait être préoccupée de mon repos, c’est bien moi. Mes vacances de rêve se transforment en vacances subies, et je me prends à guetter leur fin avec une certaine impatience. Elles s’achèvent sur un arrière-goût de tristesse et de déception, malgré le bleu du ciel et le bleu de la mer. Vivement l’école, les enfants pris en charge toute la journée, la routine bain-dîner-histoire pour me retrouver au calme à 21h.
Qu’est-ce que cela me dit de ma vie ?
D’abord, que c’est à moi de prendre soin de moi. Une fois encore, la preuve est là : si je ne mets pas des limites à mes enfants et même à mon chéri, personne ne pensera spontanément à mon bien-être, même s’il y a eu des moments en amoureux, et des moments en solo plus calmes, grapillés ici et là. Mais ce n’est pas suffisant pour recharger mes batteries.
Cela me dit aussi que mon quotidien familier est source de bonheur, même si je n’en ai pas toujours conscience. Cette vie au rythme bien rodé, j’en vois la joie simple. Rien d’exotique, c’est certain. Mais en l’état actuel de ma vie avec des petits enfants, les vacances me compliquent plus la tâche qu’elles ne l’allègent. Mon bonheur, c’est d’être là où nous sommes, tous ensemble, dans cette vie que nous avons choisi de mener, dans cette famille que nous avons construite, avec ses instants de tendresse qu’il faut savoir saisir et contempler, et ces moments de découragement qu’il faut traverser sans s’y attarder.
Ensuite, mes vacances sont toujours trop chargées d’attentes et donc, le plus souvent, me déçoivent. En réalité, j’emmène avec moi mes tourments, mes petits et gros soucis, tout comme ma capacité (ou pas) à être heureuse, à m’émerveiller de ce qui m’entoure, à profiter de chaque instant d’harmonie. Je demande aux vacances d’alléger mon quotidien, de m’apporter du rêve et d’aplanir mes problèmes familiaux.
Mais les vacances n’ont pas de super-pouvoirs :
si j’arrive complètement épuisée, je ne pourrai pas encaisser sereinement le choc de la présence non-stop de 4 enfants. Donc il faut que j’arrive… un minimum reposée en vacances pour bien en profiter. Cela suppose un quotidien où je me protège et prends soin de moi, de septembre à juin.
Non, mon bonheur ne se trouve pas que dans le fait d’être en vacances. Cette année, je choisis de quitter le blues des vacances, pour vivre la joie du quotidien.
Je suis devant mon ordinateur, le réfrigérateur ronronne, le tictac de l’horloge rythme le silence. Les petits dorment, les grands et mon mari sont partis à la piscine. Dans le jardin, les branches du palmier et des bambous remuent doucement. La cloche de l’église sonne la demie de deux heures. Une voiture passe, et c’est de nouveau le silence.
Je suis heureuse, mon bonheur est là, en cet instant.
Plus tard, au lever de sieste, deux petites têtes ensommeillées et décoiffées arriveront. En les attendant, je dresse la liste de mes résolutions de septembre :
- Je prendrai du temps pour faire du sport régulièrement,
- J’en demanderai un peu plus à mes enfants et leur ferai comprendre que Maman n’est pas une super-gouvernante,
- Je m’accorderai des instants de plaisir et de solitude et j’en ferai une priorité,
- Je ne m’autoriserai pas à faire de la frustration mon rituel quotidien, et je m’imposerai le respect de moi et de mes besoins,
- Je n’attendrai plus les vacances pour être heureuse et détendue.
Alors, au revoir tristesse, bonjour septembre !