J’ai une petite terrasse. Pour les Fabuleuses qui habitent en province ou ont une maison et un jardin, cette petite terrasse semble sans doute bien modeste, voire ridicule. Pour les Fabuleuses qui vivent en immeuble sans balcon, cette même petite terrasse est un rêve paradisiaque.
Cette terrasse, c’est notre petit coin de vacances à nous.
Nous l’avons aménagée progressivement. D’abord, évidemment, une petite cabane pour les enfants. Car qu’est-ce qu’une enfance sans cabane ? Puis trois chaises et une petite table. Car qu’est-ce qu’une terrasse sans apéro, franchement ? Ensuite, quelques pots de fleurs. Faisons rentrer la nature dans la ville ! Et enfin, la touche finale de notre dernier investissement : des bacs que nous avons plantés de petits arbustes pour nous isoler des voisins. Ils nous offrent le plaisir de voir des branches s’agiter dans le vent, des fleurs éclore et embaumer, des petites pousses grandir et étirer leurs pétioles d’un vert tendre vers le soleil.
Malgré cela, cette petite terrasse symbolise ce que je n’ai pas et n’aurai jamais :
une vaste demeure dans un grand jardin, avec une vigne vierge sur la façade et des volets de bois peints, comme celle où vit Petit Ours Brun. Quelle frustration de ne jamais pouvoir être l’heureuse propriétaire d’un tel paradis, de ne jamais pouvoir offrir à mes enfants des galopades insouciantes dans l’herbe, le soir entre le bain et le dîner !
Et pourtant, cette même petite terrasse : quel privilège, franchement ! Le matin, aux beaux jours, je vais y prendre mon café, et je peux observer le ciel. Je contemple les oiseaux qui filent à tire d’aile vers un rendez-vous urgent dont eux seuls connaissent la teneur. Le soir, j’arrose ce petit monde et me plonge dans cet univers de pousses, de bourgeons, de boutons de fleurs. Dans quelques mètres carrés, c’est tout un univers qui s’offre à moi, à ma contemplation et à ma gratitude.
Finalement, serais-je plus heureuse si j’avais un grand jardin ?
Je ne suis pas si sûre. Peut-être que je râlerais car il faudrait passer la tondeuse régulièrement, tailler, entretenir. Peut-être que plus de plantes ne m’apporterait pas plus de bonheur. Le soleil du matin serait le même dans un grand jardin, que sur ma petite terrasse. La cabane ? Mes enfants y jouent parfois, mais ils préfèrent en bâtir dans leur chambre, avec leurs couettes, leurs oreillers, des chaises qu’ils déplacent et des tonnes de pinces à linge. C’est infiniment plus drôle pour eux.
Finalement, ai-je besoin de plus ?
Mon but n’est pas de t’inviter à te contenter du peu que tu as. Bien entendu, un minimum de confort est indispensable pour éprouver l’insouciance nécessaire au bonheur. On a toujours le droit de désirer un plus grand balcon, un petit jardin, voire un grand parc. Simplement, je prends cette métaphore car je crois qu’elle s’applique à de nombreux domaines dans notre vie.
Quand j’étais jeune étudiante, je me disais : « Ah, quand je gagnerai de l’argent… je m’achèterai ceci, cela, ça sera tellement chouette. » Quand j’étais jeune salariée, c’était : « Ah, quand j’aurai évolué professionnellement, ça sera plus facile. » Quand j’étais jeune maman, je me disais : « Ah, quand ils auront grandi, ce sera tellement plus simple » (bon, je reconnais que cette assertion est la plus juste de toutes 🙂 )
Dois-je me dire aujourd’hui « Ah, quand je serai à la retraite, ce sera tellement génial et j’aurai enfin un petit jardin, car je revendrai mon appartement pour m’installer en province et ENFIN, j’atteindrai mon rêve » ?
La vérité, c’est qu’à titre personnel, je ne peux pas dire que je sois plus heureuse maintenant que quand j’avais 20 ans. J’ai mûri, évolué, je me suis accomplie dans certains domaines dont le domaine familial, mais mon bonheur ne dépend, réellement, que de moi. Principalement de moi, partiellement des circonstances.
Et je trouve sacrément réconfortant de me dire qu’il n’est pas dans les mains (ou peu) des autres.
Non, la vraie vie, c’est maintenant.
Le bonheur n’est pas comme l’horizon : il ne recule pas tandis que j’avance. Le bonheur, c’est aujourd’hui, dans les conditions actuelles de ma vie. Avec ma petite terrasse, telle qu’elle est : limitée, avec un nombre restreint de plantes car je n’ai pas la place pour davantage. J’apprends à y trouver mon bonheur, et à m’émerveiller des beautés qui j’y discerne.
Cela ne m’empêche pas, bien sûr, de rêver plus grand, plus beau.
Mais ce rêve ne prend pas le pas sur ma réalité pour venir, par contraste, affadir, enlaidir et ternir ma vie. J’apprends à faire de mes rêves un moteur pour aller plus loin, tout en étant attentive au bonheur dans ma vie, telle qu’elle est, maintenant. Et finalement, si je suis plus heureuse maintenant qu’à 20 ans, c’est sans doute simplement parce que j’ai appris à le savourer, tel qu’il existe déjà.