C’était la semaine dernière, sur une piste cyclable déserte. Il devait être 9 heures du matin. Je bénissais le ciel d’avoir eu l’intuition d’acheter une nouvelle cartouche d’encre, ce qui m’avait permis d’organiser une courte sortie, attestation dûment complétée et signée, pour aérer mes enfants et mon chien.
Adelin et Roman étaient loin devant : ils faisaient la course en rollers. De la main droite, je dirigeais la poussette de Cassandre, qui n’avait pas bien dormi cette nuit-là et qui pleurnichait de fatigue. De la main gauche, j’enregistrais un message vocal à destination de mon équipe. Et mon chien était à moins d’un mètre de moi, en train de faire son pipi du matin sur une belle touffe d’herbe fraîche.
Au loin, j’ai vu arriver un cycliste qui avait l’air de fort mauvaise humeur. Arrivé à ma hauteur, il a secoué la tête avec mépris. Je n’ai pas tout de suite compris pourquoi ce dédain :
“Il y a un problème, Monsieur ?”
“Vous ne tenez pas votre chien en laisse, c’est inadmissible, je suis déjà tombé 6 fois de mon vélo à cause de gens comme vous.”
Ça s’est passé en l’espace de quelques secondes. Le gars n’était pas descendu de son vélo et il avait continué son chemin.
J’aurais voulu avoir le temps de lui dire :
“Cher Monsieur,
Merci pour votre remarque pertinente.
Permettez-moi de vous préciser qu’hier soir, comme tous les soirs depuis que je suis de retour de tournée — qui a été écourtée à cause du Coronavirus et croyez-moi, ça a été une sacrée merde à gérer — j’ai travaillé très tard car je peux à peine travailler la journée, mes enfants n’ayant plus école.
Permettez-moi également de vous faire savoir que durant cette courte nuit, je me suis levée plusieurs fois pour allaiter ma fille dont le sommeil est un peu perturbé ces temps-ci.
Toujours est-il que ce matin, je me suis levée très tôt pour préparer une matinale afin d’apporter un peu de soutien aux mamans qui comme moi, font de leur mieux dans cette situation de crise et qui comme moi, voient leur jauge d’angoisse atteindre son niveau maximal plusieurs fois par jour.
Permettez-moi également de clarifier ceci : je viens de donner une compote à ma fille, j’essaie maintenant de l’endormir de la main gauche. Et de la main droite, eh bien, je tente de manager mon équipe à distance, comme beaucoup d’entrepreneurs qui font de leur mieux pour sauver leur PME, dont la pérennité est mise à mal par cette putain de pandémie que personne n’avait vue venir.
Quant à mon mari, il est en ce moment-même en télétravail, mettant les bouchées doubles pour sauver sa boîte à lui. À l’heure qu’il est, c’est mon tour de m’occuper des enfants et franchement là, s’ils ne se défoulent pas sur leurs rollers, c’est moi qui risque de me défouler sur eux. Parce que je viens d’apprendre l’annulation du mariage de ma cousine et que j’ai juste envie de pleurer.
Et donc vous Monsieur, vous me faites chier parce qu’ici, en rase campagne, sur une piste cyclable déserte, mon gentil chien (qui ne vous avait même pas remarqué, tout tranquillou qu’il était à marquer son territoire sur le bas-côté) n’est pas tenu en laisse ?”
J’aurais voulu avoir le temps de lui dire tout ça, à ce cycliste pas content.
Mais le temps que je reprenne mes esprits, il était déjà loin.
Alors du fond du coeur et de toutes mes forces, j’ai gueulé dans sa direction :
“Vous savez quoi ? JE VOUS EMMEEEERDE”
J’ai ensuite pressé le pas, prise de remords et surtout de panique : le mec était plutôt baraqué et si par malheur il décidait de faire demi-tour, il pourrait bien me casser la gueule.
Sur WhatsApp, mon message vocal était toujours en cours d’enregistrement. Heureusement, j’ai eu la présence d’esprit de le supprimer juste à temps : aucun membre de mon équipe n’a donc pu entendre sa boss, chantre de la fabuleuse zénitude, insulter un pauvre type en pleine nature.
Excédée, je suis rentrée à la maison.
J’ai mis les enfants devant la télé mais j’étais trop en colère pour parvenir à me concentrer sur mon travail.
Pas en colère contre ce gars, non. En colère contre moi.
En colère parce que je prêchais la bienveillance à tout va, mais que je n’avais pas su faire preuve d’empathie envers un type stressé qui me rappelait la loi, qui avait peur de mon chien et qui, si ça se trouve, venait d’apprendre que sa mère était testée positive au Corona.
En colère parce que j’étais à cran depuis des jours, et que je ne savais plus quoi faire de mon anxiété.
En colère parce je n’avais pas le droit de me sentir à bout :
il y a des situations tellement pires que la mienne ! Il y a des centaines de gens, chaque jour, qui perdent un proche et qui ne peuvent même pas assister aux funérailles. Il y a des milliers de gens qui partent au travail la boule au ventre, ne sachant pas s’ils vont ramener le virus à la maison. Il y a des commerçants qui doivent fermer boutique. Il y a des soignants qui ne dorment plus depuis des semaines. Il y a des familles avec jeunes enfants, confinées dans 20 mètres carrés, sans terrasse.
Et moi, j’ai la chance d’habiter à la campagne et de pouvoir goûter au soleil du matin. J’ai une famille qui ne présente aucun symptôme. J’ai un job que j’adore. J’ai une équipe qui se battra jusqu’au bout à mes côtés pour sauver notre entreprise, afin de faire perdurer notre mission de soutien aux mamans. J’ai un mari qui travaille beaucoup pour sauver les meubles de son côté, avec une incroyable bonne humeur malgré tout, et qui jour après jour est un papa génial. J’ai des enfants qui vont bien et qui ont des instits du tonnerre, qui nous mâchent le travail afin que l’école à la maison se déroule le plus simplement possible. J’ai tout pour tenir le coup.
Mais je craque pour une histoire de laisse de chien.
Et ça me met très en colère. Contre moi.
Pourquoi je te raconte ça ?
Parce que je sais que nous sommes toutes touchées par ce bordel d’ampleur mondiale. Parce que je sais que notre niveau d’anxiété est au plus haut (puisque notre niveau de contrôle sur la situation est au plus bas).
Parce que je sais que chacune à notre manière, nous essayons de garder la tête hors de l’eau, malgré les cauchemars qui nous hantent la nuit.
Parce que comme je le disais dans mon spectacle :
la souffrance, c’est comme un caillou dans ta chaussure ou une épine dans la plante de ton pied : personne ne peut s’identifier à 100% à ta souffrance, et tu ne pourras jamais t’identifier à 100% à la souffrance des autres.
En clair, cette situation est dramatique pour certains, tendue pour d’autres… Mais dans tous les cas, elle nous presse comme des citrons et elle fait ressortir notre vrai “nous”, celui qui est à bout, celui qui a envie de pleurer 4 fois par jour… celui qui gueule “JE VOUS EMMERDE” au premier inconnu qui nous regarde de travers.
Alors ce vrai “moi”, il va falloir en prendre soin.
Comment ?
D’abord, en m’autorisant à craquer.
En accueillant mon désarroi face à cette situation de merde, qui tue des gens partout dans le monde, et contre laquelle je ne peux rien faire.
Ensuite, en revenant à la base de mon hygiène de vie intérieure.
En plein tunnel du Corona, je suis bien heureuse d’avoir commencé à pratiquer, depuis plusieurs années déjà, des habitudes qui aujourd’hui me sauvent la vie. Ce sont des petites habitudes toutes simples, que je te partage dans le Village (et dont tu as pu avoir un petit aperçu dans mes matinales, les 2 dernières semaines).
Ces petits moments rien qu’à moi m’aident à faire baisser la pression.
(Et je suis bien contente d’être un peu entraînée, parce qu’en ce moment, la pression intérieure est tellement forte que même en tant que pratiquante chevronnée, je suis encore capable de gueuler comme une grande malade à 9 heures du matin.)
Et puis, en étant honnête avec moi-même.
En sachant m’écouter et me ménager.
Non, chez moi, l’école à la maison ça ne ressemble pas à une classe bien rodée ; plutôt à 15 minutes de calcul mental en pyjama.
Non, je ne suis pas tout le temps au taquet.
Non, je ne peux pas tout faire.
Et je vais montrer l’exemple, en offrant aujourd’hui ma dernière matinale de la saison.
(Comme tu le sais, ma belle équipe et moi, nous nous efforçons d’offrir toute l’année du contenu gratuit et de qualité — des petites lumières sur le chemin des fabuleuses mamans. Alors cette matinale, je crois que c’était une très belle intuition, mais à l’heure actuelle, pour ne pas me griller, ni griller ma famille ni mon équipe, je suis obligée de faire un choix et de consacrer désormais mon énergie à la promo 2020 du Village qui démarre dans quelques jours.)
Cette pandémie est un sacré tunnel d’anxiété,
une véritable expérience traumatique pour beaucoup d’entre nous.
Chère Fabuleuse, toi aussi tu as le droit de craquer. Tu as le droit d’être à bout, tu as le droit de ne pas tout faire, et tu as même le droit de hurler des gros mots si ça t’aide.
Essaie juste d’attendre que le mec soit trop loin pour t’entendre, histoire de ne pas en plus te faire casser la gueule ^^