C’est en vidant la machine à laver la vaisselle pour la troisième fois de la journée que je me suis prise à imaginer avec un soupçon d’horreur combien de fois j’allais potentiellement remplir et vider cette fichue machine au cours de ma vie de maman.
Irène, jeune mère, belle, intelligente et dynamique*, vide le lave-vaisselle trois fois par jour, sauf quand elle est en vacances chez sa mère ou sa belle-mère**. En sachant qu’Irène passe en moyenne 45 jours par an en vacances chez sa mère ou sa belle-mère, combien de fois aura-t-elle vidé sa machine le jour où sa petite dernière quittera la maison, dans vingt ans ?
Je vous laisse faire le calcul.
Étant fâchée avec les maths depuis la classe de CP, je n’ai pas envie de m’y coller, mais ne doute pas que le résultat sera vertigineux, affolant, désespérant.
- Combien de machines à laver le linge lancerai-je également ?
- Combien de piles de vêtements NON REPASSÉS (j’en fais un point d’honneur pour préserver ma santé mentale, petit clin d’œil aux adeptes du fer à repasser, horrifiées par cette révélation) rangerai-je dans les armoires ?
- Combien de jouets ramassés, de dîners préparés, de coups de balais, de pipis essuyés sur/sous la cuvette des toilettes, de poubelles ficelées et expédiées dehors… ?
Combien de fois vais-je effectuer ces tâches ingrates et ternes sans que personne ne s’en extasie ?
Bref. Mes pensées étaient moroses.
Couverts, assiettes, plats, verres. Je vidais. Je rangeais. Je remplissais de nouveau.
Et puis, en lançant le programme “super shine 60 degrés”, je me suis posé une question :
« Irène, pourquoi fais-tu cela ? Quel est le sens de cette action que tu entreprends machinalement plusieurs fois par jour ? »
- Est-ce par devoir ?
- Est-ce parce qu’en tant que femme tu es condamnée à assurer 70 % des tâches ménagères ?
- Est-ce parce que tu es une épouse faible qui se laisse écraser par le patriarcat ?
- Es-tu à ce point une desesperate housewife, une ratée du féminisme, engloutie sous les travaux domestiques ?
Je suis restée songeuse quelques instants devant la porte du lave-vaisselle qui commençait à tourner, peu convaincue par ces quelques pistes de réponse, et décidée à trouver en moi une motivation suffisante pour poursuivre ma journée et sa kyrielle de petits gestes répétitifs.
Je me trouvais face à un choix : me convaincre d’être une victime du sexisme ambiant (ce qui ne rendrait pas justice à mon fabuleux mari qui fait tout ce qu’il peut pour me simplifier la vie quand il est là) et céder du terrain à la rancœur et au ressentiment. Ou bien trouver en moi un petit moteur qui me pousse à continuer mon travail de maman dans la joie.
Et un mot s’est imposé : l’amour.
Pourquoi ne pas décider tout simplement que ce petit moteur, c’est l’amour ? Non, ce n’est pas la société/mon mari/mes enfants/ma condition de femme ou de mère qui me contraint à ranger la vaisselle plusieurs fois par jour. C’est l’amour. Il ne me contraint pas, il m’oblige – au sens de l’obligeance, du service.
Plutôt que d’agir en râlant intérieurement, pourquoi donc ne pas changer mon regard sur ces travaux ingrats qui sont le quotidien de toute maman, et décider que désormais j’accomplirai toutes ces tâches par amour ?
Comme l’avait si justement remarqué Thérèse de Lisieux, « le plus obscur des petits actes devient précieux s’il est fait par amour ». Ma vie est faite de tout petits actes presque invisibles et laborieux, mais qu’elle devient belle, si ces actes sont posés par amour, si chacun d’entre eux est un “je t’aime” plutôt qu’un “j’en ai marre”, une étincelle plutôt qu’une goutte de pluie !
J’ai donc pris une décision simple.
À partir d’aujourd’hui, quand je viderai et remplirai le lave-vaisselle, je transformerai mes pensées négatives (“et c’est qui la bonne poire qui s’y colle une fois de plus ?”) en pensées positives (“j’agis par amour”).
Drôle de coïncidence : quelques semaines plus tard, une de mes belles-sœurs m‘a offert un masque cousu main, Covid oblige. Il y est inscrit : « Ma vie est une offrande à l’amour » (phrase de Thérèse de Lisieux). En le découvrant, j’ai tout d’abord éclaté de rire, m’imaginant, le matin, traînant mes quatre enfants dans la rue jusqu’à l’école, arborant mon masque, et criant « je suis un sacrifice vivaaaaaaaant !!!!!! ». Puis cela a fait écho à la réflexion que je menais depuis quelque temps. Cette phrase est tellement criante de vérité !
Ma vie, comme celle de toutes les mamans, est une offrande à l’amour.
Bien entendu, cela ne veut pas dire que les mères doivent se vider de leur énergie et ne jamais penser à leur propre bien-être, au nom d’un prétendu esprit de sacrifice, ni qu’il est normal qu’elles se chargent de l’essentiel des tâches ménagères. L’équilibre en toute chose est nécessaire, à chaque couple de trouver le sien. Mais, dès lors que l’on place les travaux domestiques dans une perspective d’amour, cela colore notre quotidien… et notre cœur.
Et nous pouvons affirmer que la vie est encore plus belle, quand chaque lave-vaisselle vidé est synonyme d’un je t’aime !
* Autant se jeter des fleurs, c’est toujours ça de pris !
**En tant que fille et belle-fille serviable, Irène aide AUSSI à vider le lave-vaisselle chez sa mère et sa belle-mère. Mais nous n’avons pas voulu compliquer ce problème déjà délicat à résoudre.