Dans ma vie, j’ai un problème récurrent : je ne sais pas dire « non ».
Enfin si, je sais. Mais contrairement à mon fils, que je surnomme affectueusement mon chameau, ce n’est pas mon mot préféré, celui que je dégaine avant même que la question soit terminée.
« Vous travaillez le samedi ? »… euh, j’essaie autant que possible d’éviter, mais si vraiment je n’ai pas le choix, juste pour dépanner…
« On pourrait avoir un compte-rendu de l’évolution de notre enfant ? Ce n’est pas urgent hein, la fin de semaine, ça sera très bien. » Je ne vous promets rien, mais je vais voir ce que je peux faire (et je le fais).
« Maman, on peut acheter ce paquet de gâteaux ? » (et ce paquet de bonbons, et ce truc-là aussi qu’on savait même pas que ça existait, mais avec un packaging qui fait trop envie.) OK, mais il va falloir faire un choix mes petits chats.
« Bonjour, je cherche un maître de stage, ce serait possible ? » Alors, j’ai déjà une stagiaire, mais je peux vous recevoir les semaines A le jeudi et les semaines B le vendredi matin.
Je ne sais pas dire « non », et en plus j’aime charger mon sac à dos de missions supplémentaires.
« Qui peut faire un gâteau pour demain ? » Moi.
« Qui peut tenir le stand samedi matin ? » Moi.
« Qui peut aller à cette réunion à laquelle personne ne veut aller ? » Moi aussi, vous l’aurez deviné.
Et puis, il y a eu ce mercredi mémorable…
Le mercredi, cette année, c’est vraiment compliqué. J’ai mal géré mon emploi du temps et ma grande inquiétude est de ne pas avoir le temps de déjeuner (je ne souhaite à personne de me rencontrer fatiguée avec l’estomac vide…).
C’était donc un mercredi normal : piscine des enfants le matin, boulot l’après-midi. Pendant que mon chameau apprenait à ne plus nager comme une enclume, je m’occupais des devoirs de ma morue dans la voiture.
Un appel de ma sœur vint nous interrompre : est-ce que je pouvais aller chercher ma nièce chez son père, la petite dernière étant malade ? Et la ramener, ça serait vraiment super.
Ma sœur me rendant régulièrement des services, je dis oui.
Enfin ma bouche dit oui pendant que tout le reste de mon corps entre en rébellion : « mais Joanna ! Tu cours déjà pour déposer tout le monde et pouvoir déjeuner vite fait et tu acceptes un trajet supplémentaire !! »
Je file comme l’éclair, ou presque. Parce que forcément, il y a des travaux sur la route, avec un feu rouge interminable… quand soudain je prends conscience que le temps de faire l’aller-retour, je vais être franchement en retard pour récupérer mon chameau (« ah bah tu vois que c’était une mauvaise idée ! tu vas être en retard ! bravo hein ! »).
J’ai récupéré ma nièce (qui n’était pas en maillot), j’ai filé comme l’éclair (ah non, toujours pas, les travaux étaient toujours là), j’ai récupéré mon fils passablement inquiet de ne pas me voir arriver et j’ai pourri ma nièce qui avait oublié ses bouchons d’oreilles.
Finalement, je ne sais pas trop comment, j’ai réussi à déposer tout le monde et même à déjeuner.
La journée se passe et nous voilà tous les 4 réunis à la maison.
18 h, les devoirs sont faits, les enfants sont douchés et devant la télé. Mon homme a géré le dîner. J’ai donc 1 h devant moi.
1 h de liberté un mercredi, c’est presque quelque chose d’inouï !
Je me rends dans la cuisine pour essuyer la vaisselle. Mon mari profite de cet intermède pour me prendre dans ses bras et me glisser à l’oreille : « j’ai besoin d’un moment privilégié avec toi ». Un câlin, ça ne se refuse pas, et ça fait vraiment du bien.
Puis il file ailleurs, me laissant à ma vaisselle.
À peine le torchon reposé, j’attrape mon ordinateur et file à l’étage pour écrire dans le bureau.
Je dois vous préciser à ce moment de l’histoire que pour accéder au bureau, je dois d’abord passer par ma chambre.
Et là, surprise en rentrant dans ma chambre : mon homme m’y attend ! Tel Apollon sur sa couche, il est là, nu comme un ver !
Je file dans le bureau et m’assois un peu affolée : que faire ? Quand il m’avait parlé d’un moment privilégié, je pensais que c’était du câlin en bas qu’il me parlait.
C’est vrai qu’entre mes règles qui durent 15 jours, le covid, mon rhume, sa crève… notre vie amoureuse n’a pas été très florissante ces derniers temps. Et un câlin, ça fait du bien. Et un moment en amoureux, ça ne serait pas du luxe. Mais là, il n’attend que moi alors que moi, je n’attendais qu’un moment pour moi.
Et tandis que je suis là à tergiverser, il m’attend toujours nu, de l’autre côté.
J’entends son envie, mais je n’en ai pas envie. Le coup de stress du matin me revient, et les larmes ne sont pas loin. Moi, je voulais juste un moment pour moi. Dois-je encore m’oublier dans cette histoire ?
Je pose mon ordinateur et je le rejoins, bien décidée à lui dire que non, vraiment, cette fois, ça ne sera pas possible. Mais dire non n’est pas si facile… Je m’allonge alors contre lui, et je me dis « allez, profitons de la musique. Une chanson et ce sera bon ». Une chanson passe, puis 2, puis 3. 20 minutes s’écoulent à juste profiter de la chaleur de son corps.
Puis je me lève. Bien sûr, ce n’est pas ce qu’il attendait, mais il a eu le tact et la délicatesse de me dire quand je partais « merci pour ce moment privilégié ».
Et je suis partie m’installer à mon ordinateur pour écrire un peu, régénérée par ce moment à deux.
Alors, je ne sais pas dire « non », et je dis parfois « oui » quand je ne voudrais pas.