Cette traditionnelle interrogation que l’on pose lorsqu’on aborde quelqu’un (enfin ça c’était avant l’époque des confinements) : « Que fais-tu dans la vie ? », me semble aujourd’hui tellement réductrice.
J’ai envie de répondre que je suis plein de femmes, d’âges de la vie et de personnages, comme des poupées russes… Mais j’ai peur de la tête de mon interlocuteur. Peut-être que je devrais essayer.
Je visualise les poupées russes,
vous savez, ces poupées qu’on emboîte les unes dans les autres et pour moi c’est tout à fait ça :
Je suis une petite fille…
…pleine de projets, de désirs, de naïveté, d’énergie, qui a envie de courir dans les feuilles mortes de l’automne, ramasser les dernières fleurs du chemin, dessiner, chanter sans se censurer, qui en envie de se déguiser tous les jours et de dire : « Si j’étais une princesse, un pirate, un cosmonaute, si on disait que… ». Qui a envie de refaire le monde, aussi.
Je suis aussi une femme du milieu de la trentaine qui a des enfants…
… qui a la responsabilité de s’occuper de trois petits monstres (oups heu non, de trois petits êtres merveilleux, pardon… enfin ça dépend des jours, voire parfois des heures). Il y a des jours où je suis très fière d’avoir déjà trois enfants dont des jumelles, des jours où je ne réalise pas et des jours où j’envie les célibataires et où j’aimerais juste rester sous la couette et me regarder une série.
Je suis aussi une amante…
…qui essaie de rester à peu près jolie — enfin parfois c’est juste avoir les cheveux propres, se mettre un peu de parfum et des bijoux. On essaie d’organiser un temps à deux, pas trop entrecoupé par les enfants, souvent il faut accepter l’imprévu (changer les draps d’un enfant qui a fait pipi dans son lit) au milieu du rendez-vous romantique, ou répondre aux questions existentielles d’un enfant (« Mais alors si le Père Noël vieillit du coup, un jour, il va mourir… »). Il faut donc répondre efficacement sans briser les rêves mais tout en ayant l’objectif de retrouver son Fabuleux…
Je suis aussi professeur…
… et j’adore mon métier de transmission mais en même temps, je le trouve épuisant (ça doit être le syndrome du « en même temps »). C’est tellement riche d’être au contact de jeunes tous les jours, il y a tant de moments magiques d’échanges, de partages, de révélations mais aussi tant de moments où il faut se remettre en question… Il y a des jours où j’ai des ambitions incroyables, des projets (« et si on montait cette pièce ? si on faisait un jeu de rôle ? ») et le lendemain je me dis qu’en fait, je ne suis qu’une goutte d’eau dans un océan.
Je suis aussi la vieille dame
…consciente de sa finitude, qui a des élans de sagesse (« tu sais, quand j’étais petite » ou « quand j’étais jeune »), mais aussi qui radote ou est déjà fatiguée après avoir conduit les enfants le matin. En même temps, c’est déjà un exploit de réussir à conduire trois enfants dans des endroits différents à 8h30 sans heurts majeurs (c’est-à-dire quand même en ayant réussi à retrouver le pull fétiche de l’un, le bonnet perdu d’un autre et changé la troisième des pieds à la tête car la tasse de chocolat s’est renversée à 8h15…).
Je suis aussi juste femme
…c’est-à-dire cet être cyclique, qui a mal au ventre cinq jours par mois et s’efforce de ne pas le montrer, qui a des moments avec des pics d’énergie et d’autres d’effondrement total. Un être qui se dit tous les matins : « et si on partait quand même faire le tour du monde avec trois enfants, et si on faisait un road trip, si on partait vivre à la campagne, et si je créais une boîte ? »… Et le lendemain, qui se contente d’un tour de pâté de maison, d’un gâteau au chocolat fait maison et de regarder Les Triplés avec ses enfants sur le canapé…
Je suis aussi un animal
… (là vous allez vous dire que je vais trop loin, mais l’homme est bien un animal social donc en partie animal). Et quand on a des enfants — et d’ailleurs aussi quand on n’en a pas — on observe dans la vraie vie des tas de personnages animaux, notamment tous types de félins (tigres, lions, panthères) ou parfois des singes…
En tout cas, quand on a des enfants, on peut avoir des pulsions de colère, d’énervement qui nous dépassent et nous culpabilisent après. Pendant le premier confinement, mes enfants ont mis du papier toilette mouillé dans les plinthes pour boucher les trous ; ce qui fait que sur le chemin de la salle de bain, il y avait de l’eau, de bouts de papiers mouillés et des plinthes remplies de bouts mouillés ! Là, je n’ai pas réussi à garder mon calme : je suis devenue une lionne qui a poussé son rugissement… Et j’ai appris après que c’était pour imiter leur père qui bricole, juste pour calfeutrer les plinthes. Cela partait donc d’une bonne intention ^^ !
Je suis aussi un clown
…c’est-à-dire cet être toujours décalé, mais sympathique. J’ai parfois l’impression d’être inadaptée. Quand j’étais petite, je pensais que lorsqu’on était une maman, on savait à peu près tout et maintenant, je réalise que je ne sais rien ou presque, qu’on se construit jour après jour et qu’on n’a jamais fini d’apprendre, que nos enfants nous aident à grandir. Mais quel chemin quand même !
Je suis avec ma serpillère, mon rouge à lèvres et mes livres à essayer d’utiliser le bon accessoire au bon moment mais parfois ça coince, ça dérape, j’utilise la serpillère pour me maquiller, je nettoie le sol avec mes livres…
Finalement, je crois qu’on est toutes un peu tout ça
…c’est-à-dire des poupées russes, surtout pas réductibles à une seule phrase :
Nous sommes des êtres fabuleux!
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Claire, auteure du livre « Un ultra-trail familial ».