Tiens-toi la main - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Tiens-toi la main

Hélène Bonhomme 2 septembre 2020
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Dans un effort farouche pour se cramponner à tout prix à quelque chose, peu importe quoi, ses petits orteils se replient, espérant une adhésion miraculeuse aux rugosités du carrelage.

De ses pieds nus et potelés jusqu’au bleu perçant de ses yeux, tout en elle est contracté, déterminé. Portée par les muscles tremblotants de ses cuisses, elle se lève avec une extrême concentration, presque au ralenti. Ses bras écartés forment une ligne qui se balance de gauche à droite, comme un bâton de funambule.

Ça y est, elle a trouvé son équilibre.

Son regard pénètre le mien. Je suis droit devant, accroupie à sa hauteur.

Elle respire bruyamment, elle ne sait pas si elle doit rire ou pleurer, elle veut s’élancer mais ses orteils sont toujours vissés au plancher du salon.

“Viens !”

Ce qui se passe ensuite me fascine encore davantage : de ses mains dodues, elle s’agrippe de toutes ses forces à son short. Ainsi accrochée à son propre vêtement, elle trouve le courage de soulever son pied droit, puis son pied gauche, et encore son pied droit, et elle vient s’effondrer dans mes bras. 

Nous rions toutes les deux. Elle vient de faire ses premiers pas.

Elle avait tout pour y arriver : la force musculaire, le sens de l’équilibre, la coordination des mouvements. Il lui manquait juste un peu de confiance — et cette confiance, elle se l’est procurée en se cramponnant… à elle-même.

C’est un grand classique de l’apprentissage de la marche : les bébés sont si habitués à tenir la main de leur papa ou de leur maman qu’il leur suffit de serrer de leurs doigts leur vêtement ou n’importe quel petit jouet, pour avoir l’impression de sécurité qui leur donnera le courage de s’élancer.

En clair, ils se donnent la main à eux-mêmes. Dans l’absolu, cela n’améliore en rien leur équilibre, si ce n’est qu’ils ont cette faculté géniale de s’offrir la touche finale — la confiance — la petite étincelle qui rend possible leur exploit.

La semaine dernière, Rebecca nous a posé cette question : Que ferais-tu si tu n’avais pas peur ? Elle nous invitait à reconnaître la peur quand elle frappe à notre porte, et à recentrer notre attention sur des pensées, des mélodies, des goûts ou des images qui nous apaisent — sans nous reprocher d’avoir peur, mais en décidant activement de nous offrir à nous-même la sécurité dont nous avons besoin.

Quand j’ai lu ça, j’ai tout de suite pensé à Cassandre, et aux quelques centimètres carrés de tissu de son short en jean. Et j’ai pensé à toi, chère Fabuleuse. J’ai eu envie de te dire : tiens-toi la main.

  • Sous la douche, quand ta gorge se serre parce que malgré toutes tes bonnes résolutions de rentrée, ton emploi du temps ressemble déjà à un Tetris de niveau 10 : tiens-toi la main.
  • Au volant de ta voiture jonchée de miettes moisies, quand tes tempes cognent parce que cet entretien d’embauche, tu ne peux pas te permettre de le rater : tiens-toi la main.
  • Devant ta feuille blanche, quand le syndrome de l’imposteur vient bâillonner tes plus belles idées : tiens-toi la main.
  • À trois heures du matin, quand tu fixes la lumière orange de ton réveil en te demandant comment ton couple va sortir de l’impasse / quels vont être les résultats de cette prise de sang / si ton enfant sera bien dans sa nouvelle école : tiens-toi la main.

Donne-toi la main, et serre-la fort.

Tu as tout pour y arriver : tu es suffisamment intelligente, suffisamment organisée, suffisamment créative, suffisamment sensée. Il te manque peut-être juste un peu de confiance — juste la petite étincelle qui fera décoller ta fusée pour de bon.

Alors, quand la peur veut te paralyser, pense à ce que ferait la petite fille qui est en toi : agrippe ton short. Ce ne sera pas grand chose : juste faire un tour du pâté de maisons, mettre à fond ta musique préférée, t’arrêter sur le bord de la route pour compter les couleurs de l’arc-en-ciel, commencer ta journée en allumant une bougie parfumée, écrire “Tu es capable” sur un post-it et le coller sur le miroir dégueulasse de la salle de bains, juste prendre le temps de n’analyser rien d’autre que les effluves de ton thé, juste t’enfermer dans les toilettes pour t’offrir ton fabuleux petit remontant du matin, juste sortir tes crayons préférés et gribouiller dans ton carnet secret.

Surtout, ces quelques idées ne doivent pas devenir pour toi une liste d’injonctions supplémentaires. C’est vrai que par les temps qui courent, on pourrait tomber dans le piège de croire que pour être heureux, il faut méditer au moins 45 minutes par jour, noircir son journal intime au moins une fois par semaine, et pratiquer le Pilates tous les matins (après avoir avalé un litre de gingembre citronné).

Non, je ne parle pas d’une liste de pratiques de développement personnel qui ne feraient qu’asphyxier ton agenda déjà trop chargé. Je parle de prendre le réflexe de t’offrir, l’espace d’un instant et aussi régulièrement que nécessaire, le sentiment de sécurité dont tu as besoin pour aller plus loin.

Agrippe ton short et pose un pied devant l’autre.

Cela ne t’empêchera pas de tomber sur le carrelage de tes déceptions. Mais chère Fabuleuse, quand tu tomberas, remercie le Ciel pour ton popotin rembourré, apprends à rire de toi et quand tu seras prête, relève-toi.

N’attends pas que les autres viennent te donner la main — tu sais, ce n’est pas que les autres ne t’aiment pas, c’est que parfois, ils sont déjà très occupés à se cramponner à leur propre short — alors tiens ta main car toi tu te connais, toi tu sais ce dont tu as besoin. 

Est-ce que ça signifie que tu n’as pas besoin des autres, et que tu dois te débrouiller toute seule ? Sûrement pas. Ça signifie tout simplement que ce sont tes pas, qu’ils n’appartiennent qu’à toi. Un peu comme ma fille qui apprend à marcher, et dont l’intensité du regard raconte l’immense fierté : elle seule peut accomplir l’exploit. Mais cela ne veut pas dire qu’elle est seule, loin de là. Sa maman, son papa, ses frères sont là pour l’applaudir et la rattraper.

Non, tu n’es pas livrée à toi-même.

Tu sais, il m’arrive souvent de me tenir la main… pour aller justement vers les autres. Je me souviens encore de ce matin de septembre, il y a 5 ans exactement, où je me suis donné la main (pour ne pas dire un maxi coup de pied au cul) pour prendre RDV chez la psy — et ça a été le premier jour du reste de ma vie. Régulièrement, je me donne la main et je m’emmène vers mon téléphone, pour déverser mes plus grandes peurs dans un message vocal WhatsApp, avant de l’envoyer à une amie bienveillante. Tous les jours, j’apprends à me tenir la main pour oser demander de l’aide, afin de ne pas rester seule dans la prison de mon sentiment d’insuffisance.

Chère Fabuleuse, tu n’es pas seule, mais parfois, souvent, toi seule peux tenir ta main. Alors fais-toi ce cadeau : juste une image, juste une pensée, juste une mélodie… Tiens ta main, et pose un pied devant l’autre.



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CHÈRE FABULEUSE
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Cet article a été écrit par :
Hélène Bonhomme

Fondatrice du site Fabuleuses au foyer, maman de 4 enfants dont des jumeaux, Hélène Bonhomme multiplie les initiatives dédiées au bien-être des mamans : deux livres, deux spectacles, quatre formations, la communauté du Village, une chronique sur LePoint.fr et un mail qui chaque matin, encourage plusieurs dizaines de milliers de femmes. Diplômée de philosophie, elle est mariée à David et vit à Bordeaux.

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