Que manque-t-il à Julie pour être pleinement heureuse ? Elle a un boulot, un fils ado plutôt sympa, ses parents vivent à proximité… Pourtant, elle traque inlassablement la bonne affaire dans les vide-greniers et autres magasins de seconde main. Un jour, un tableau attire son attention. Serait-ce la pépite qu’elle attendait ?
Agathe Portail écrit des romans publiés chez J’ai lu et Actes Sud ainsi que des romans jeunesse. Elle est également maman de quatre enfants et lectrice assidue des mails du matin. Tableau de maître est sa nouvelle fiction pour les Fabuleuses au Foyer.
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Épisode 2 : Certificat d’authenticité
Guaranted by Art Bussche Antwerp ? Julie sent ses paumes se couvrir de sueur. Ça veut dire quoi, exactement ? Que ce tableau a de la valeur ? Vraiment de la valeur ? Elle n’ose plus le retourner pour le regarder et reste là, bête comme chou, devant son coffre ouvert. Elle aurait bien fait une recherche Google, mais elle n’a qu’un 9 touches, l’ado l’a suppliée de lui laisser son smartphone et elle a dit oui, parce qu’elle passait beaucoup trop de temps sur l’application du Bon Coin. Aujourd’hui, elle s’en mord les doigts, parce qu’elle est dévorée par la curiosité.
W. Galvez, ça ne lui dit rien, ce n’est ni Delatour ni Dali, eux elle connaît, elle a un minimum de culture, elle a bac + 2, ce n’est pas rien.
Mais sur le marché de l’art, il n’y a pas que les très très connus, il y a tous les autres. Sous la vitre de la lunette arrière, il fait une chaleur d’étuve. Elle passe un doigt dans son col et elle se donne de l’air. Elle a hâte, tellement hâte d’arriver chez elle et de faire sa recherche sur l’ordinateur familial. Au passage, elle pourrait même s’arrêter chez ses parents, ils ont un ordinateur eux aussi, et elle aurait quelqu’un avec qui partager sa joie si jamais l’achat de ce tableau se révélait une bonne affaire.
La route entre Laval et Saint-Ouen des Vallons lui semble interminable. Elle a les yeux qui papillotent et l’esprit en goguette, bien loin des champs bordés de haies et des vaches qui cherchent l’ombre sous les chênes.
Elle se voit déjà raconter son histoire au Courrier de la Mayenne. Non, mieux, au Ouest France.
« Une Mayennaise découvre un tableau de valeur dans le dépôt-vente des Pommeraies ». Ça claque. Même son fils serait obligé de reconnaître qu’elle avait le nez creux, à force d’arpenter les entrepôts et les boutiques de seconde main. L’adolescent rentre tôt le mardi, elle lui demandera de lui prêter son smartphone, après tout c’est aussi un peu le sien. Enfin, l’église au clocher carré surgit à l’horizon. Elle bifurque à droite, dépasse les containers à poubelles et s’arrête devant chez elle, une petite maison Focus-Concept bien propre aux arêtes bien perpendiculaires. Ce n’est pas la façade, qui a du charme, c’est l’intérieur. Un peu comme elle. Ses mains tremblent, elle peine à tourner la clé dans la serrure. Aussitôt entrée, elle jette son sac à main sur le buffet de l’entrée, entre deux chandeliers art déco chinés à la Braderie de Laval en 1999, et elle va toquer à la porte de son fils. Dans son coffre, le tableau attend, sagement.
Sans trop se faire prier, parce qu’il est de bonne composition, l’ado lui tend son téléphone, non sans avoir effacé deux ou trois informations, l’historique de navigation, probablement, mais bon, songe Julie, chacun a droit à son jardin secret. Sur l’écran, elle pianote sa requête.
W. Galvez… Un Waldo, un William, mais qui a écrit un livre sur le Che, un… Voilà ! William Gálvez Fine Art.
Le cœur battant, elle reconnaît sur les images du site la patte de son propre tableau. Alors qu’elle s’apprête à faire défiler les peintures, espérant retrouver la sienne, elle suspend son geste. Non. Elle va d’abord s’assurer de la crédibilité de cette petite vignette verte collée sur le revers de la toile. Autant ne pas se faire de fausse joie.
Ses mains dodues volent sur l’écran. La réponse fuse dès le premier résultat : « Art Bussche Antwerp, garantie de qualité artistique », l’entreprise est fondée à Anvers, la ville du diamant, expertise et certification… les mots se brouillent sous ses yeux. Est-ce que pour une fois, elle aurait eu une chance indécente ? Est-ce qu’elle est vraiment en possession d’une peinture certifiée originale ?
La main sur le cœur, elle essaie de revenir au calme, doucement. Maintenant, elle est prête. À nous deux, William Gálvez. Sur le site de l’artiste, les pages défilent, faisant chaque fois apparaître une œuvre différente. Oil on canva, oil on linen, elle clique sur la petite flèche à droite pour qu’un nouveau tableau apparaisse jusqu’au moment où… Ça y est ! C’est le sien ! Elle en est certaine, elle reconnaît le bombé de la cafetière d’argent, la finesse de la dentelle, tout. Et, alors qu’elle passe sans le vouloir sa souris sur l’image, de nouvelles informations s’affichent sous le tableau. Elle en avale de travers.
$7 500,00 USD ? Seriously ?
Voilà qu’elle se met à penser en anglais… Rouge d’émotion, elle retourne toquer à la porte de son fils. Timéo lève le nez de Pronote et la regarde bafouiller sans comprendre. Elle balbutie, s’interrompt, recommence :
— Viens voir, je crois que, sans faire exprès, j’ai fait quelque chose d’extraordinaire…
