Bon ! Nous confinons en famille depuis 4 grosses semaines désormais. Et on a beau se dire (moi la première) que c’est cool d’être ensemble, qu’on va vivre cette période de la manière la plus positive possible, qu’on va se redécouvrir et se parler les yeux dans les yeux tous confits d’amour, que c’est l’occasion de faire des gâteaux en famille, de lire et gratter sa guitare le soir au coin du feu, ce qui est nettement plus clair, plus immédiat et plus sûr, c’est que :
1/ c’est quand même le bordel,
2/ les enfants errent en pyjama jusqu’à 11h30 (les bons jours),
3/ on leur fait faire un gribouillis pour se donner bonne conscience en guise de continuité pédagogique (et ne me faites pas croire que je suis la seule)
4/ on passe quand même un sacré paquet de temps à zoner sur les réseaux sociaux, à regarder si le nombre de cas de coronavirus n’a pas triplé depuis hier soir, à inspecter ses ongles et à manger des bonbons en douce dans le placard de la cuisine (note à moi-même : penser à racheter des bonbons avant que les enfants ne s’aperçoivent que nous les avons terminés).
Pourtant, j’avais de grandes ambitions pour ce confinement.
Des ambitions de culture, d’élévation intellectuelle, de réalisations manuelles délicates, d’accomplissement personnel. Je voulais lire tous les livres que je n’avais jamais pris le temps de lire, La Peste de Camus, Proust À la recherche du temps perdu, et tous ces livres assez chiants mais qu’il est de bon ton de connaître ; voir tous les films que j’avais ratés, pour enfin devenir moi en mieux, en meilleur, en version ultra-sophistiquée.
Le confinement, version vie réelle, m’a rattrapée.
L’autre jour, je faisais mollement quelques mouvements de gym, couchée au sol, et je voyais, gisant sous le buffet, des moutons de poussière, des bouts de pain cachés par les enfants, des casques de Lego et des trucs qu’il ne vaut mieux pas identifier. Chaton passait en poussant des hurlements, en pyjama depuis la veille avec une tache de sauce tomate juste devant (de la veille aussi), poursuivi par son frère fesses nues, un slip autour du cou.
Je contemplais cette anarchie rampante avec résignation et fatalisme.
En agitant vaguement les jambes, je me disais que le confinement ne nous rend pas toutes subitement parfaites, efficaces et d’humeur combative. Il ne décuple pas forcément notre créativité. Et même si j’ai des idées, un stock de rouleaux de PQ et de boîtes de biscuits en carton suffisant pour faire les maquettes de tous les châteaux forts de France, l’énergie me manque parfois – c’est-à-dire la plupart du temps – pour passer à l’action et lancer LA super activité trop jolie débusquée sur Instagram qui trotte dans ma tête.
Et j’en arrivais à me lamenter de NE PAS.
- Ne pas me cultiver assez,
- Ne pas lire assez,
- Ne pas cuisiner assez,
- Ne pas m’activer assez,
- Ne pas rentabiliser assez…
Voilà, le mot est lâché, RENTABILISER, encore et toujours.
Je me sens l’obligation de remplir, optimiser, progresser, mettre à profit ce confinement, qui est pourtant une situation tout à fait inhabituelle, perturbante, angoissante. Nous évoluons vers un futur mouvant et brouillardeux, rempli d’incertitudes. Et je voudrais, en plus de gérer les enfants tourbillonnants, ma grande ado qui sort de son lit en combinaison koala vers midi, mon mari qui travaille, mes tentatives de maintien d’une activité professionnelle et la gestion d’une équipe à distance, m’ingurgiter la totalité des podcasts de France Culture et des replays d’Arte ?
Mais non.
C’est en comatant sous ma douche, sous laquelle j’avais filé me réfugier pour échapper quelques instants aux cris des petits que je l’ai compris d’un coup : réussir mon confinement, ce sera faire ce chemin d’acceptation, à travers les tergiversations, la révolte, l’énervement, l’apathie, et la frustration.
Accepter ces ratés, ces moments de vide, cette sensation de temps perdu.
Accepter que si je n’ai jamais été la maman bricoleuse géniale dont je rêve, capable d’alterner les gâteaux succulents et les constructions enthousiasmantes, ce n’est pas non plus dans les circonstances stressantes d’un confinement que je vais le devenir. Et le tout, sans en concevoir trop d’aigreur et de regrets. Arriver au bout de ce chemin, après être passée par toutes ces émotions, sera la réussite de ce confinement.