Réhabiliter la mégère. C’est le souhait d’une chroniqueuse d’un magazine féminin que j’ai lu il y a peu. L’article ainsi intitulé portait sur la charge mentale pesant sur les femmes. La journaliste se scandalisait que nous, les femmes, ramassions les chaussettes de Monsieur. Son conseil : ne plus les ramasser, et devenir une mégère jusqu’à ce que son homme change et ramasse lui-même, et avec le sourire s’il vous plaît, son linge sale.
Je m’y vois, à la maison.
Une chaussette nauséabonde traîne par terre – mon mari vous dira que mes culottes trainent aussi – mais passons : entrons dans le scénario. Je la regarde, les yeux révulsés. Je retiens mon bras.
Non ! Ne pas la ramasser !
Réhabilitons la mégère ! Je trouve mon mari qui est en train de bouquiner/mitonner un petit plat dans la cuisine/prendre une douche/téléphoner à sa maman, et jette à ses pieds l’objet du délit :
« Chériiiiiiiiiiiiiiiiii ! Ta chaussette traîne par terre ! Je te préviens, si tu ne la ramasses pas, ça va barder ! Non mais quel scandale ! Te rends-tu compte un peu de ta mentalité de macho ? J’enlève mes chaussettes, et hop ! Je les balance par terre ! Et bobonne fera le boulot ! Je ne suis pas ta boniche, compris ? »
Bon. Je l’avoue, il m’arrive de m’énerver quand les chaussettes trainent effectivement par terre. Mais je l’ai dit, je ne suis pas non plus la reine du ménage. Certes, c’est plutôt moi qui range ce qui traîne. C’est vrai, les hommes en général, qui sont monotâches, peuvent passer vingt fois devant une chaussette sans la ramasser, car ils sont en train d’effectuer une action qui requiert toute leur attention : aller aux toilettes / aller grignoter un truc dans le frigo / et j’en passe.
Effectivement, nous les femmes avons une lourde charge mentale sur les épaules, surtout quand nous avons des enfants et un métier prenant. Et c’est parfois difficile.
Mais faut-il pour autant réhabiliter la mégère ?
J’ai déjà testé deux modes de fonctionnement face à certaines inerties de mon mari.
- Le mode mégère. Je vois la chaussette, ça me met de mauvaise humeur, je songe à tous ces détails que j’ai dû gérer aujourd’hui pour la bonne marche de la maison et que monsieur ne soupçonne pas, je me mets à bouillonner, je râle, je lui tombe dessus. Résultat : une ambiance électrique, une dispute, des pleurs, et rien n’a changé. Demain la chaussette traînera encore.
- Le mode douceur. Je ramasse la chaussette, et je ravale mon éventuelle mauvaise humeur en voyant que trois de mes culottes traînent aussi par terre. Je vais dans la cuisine où je le trouve, comme bien souvent, aux fourneaux. Et je tâche d’ouvrir les yeux sur ce que mon homme a accompli aujourd’hui pour notre foyer, et qui, l’air de rien, m’a bien rendu service : amener les enfants à l’école ; travailler ; appeler pour la vingtième fois le syndic de copropriété pour tel litige ; récupérer la voiture chez le garagiste ; préparer le dîner.
Réhabiliter la mégère ? Ou bien faire de son mari un allié, en acceptant ses faiblesses et ses incapacités sans oublier ses forces et ses qualités ?
Je pense que dans un couple qui s’aime profondément et durablement, la mégère, pas plus que le macho, n’ont lieu d’être. Nous nous aimons. Nous nous sommes choisis. Nous sommes des alliés pour la vie. Plutôt que de dresser la liste de nos insatisfactions et de régler nos comptes, offrons avec amour tous nos petits efforts pour celui qui nous accompagne au long de nos jours. Emerveillons-nous de tout ce qu’il nous apporte, de tout ce qu’il fait pour nous. Mieux encore, réjouissons-nous de ce qu’il est. Et vice versa, bien entendu !
La douceur, la gratitude, mais aussi l’humour font je crois davantage de merveilles que l’usage de la force. Non, mon mari ne ramasse pas ses chaussettes. Mais l’ai-je épousé pour mener un combat idéologique, man versus woman ?
Donc, non ; je ne veux pas être une mégère. À choisir, je préfère une relation paisible et harmonieuse plutôt que des revendications et des cris.
Et puis… suis-je irréprochable ?
Pas sûr. J’ai moi aussi mes petits travers récurrents et insupportables. À lui aussi de choisir le respect et la douceur envers moi. Je ne le changerai pas, il ne me changera pas ; mais dans la confiance et le dialogue nous pourrons apprendre à mieux aimer l’autre, à mieux lui faire plaisir, à mieux lui offrir le meilleur, dans une relation d’alliance, de service et de réciprocité.
Là est le vrai combat : réhabiliter l’amour, le vrai, qui donne gratuitement et ne désire que le bonheur de l’autre.
C’est une lutte difficile.
Il faut accepter d’entrer dans une double dynamique de gratuité et de gratitude. Donner avant de recevoir, c’est un risque à prendre ; mais cela vaut le coup. Parfois la mégère pointe le bout de son nez… mais ne lui laissons pas trop de place ! Aimons et laissons-nous aimer, au sens le plus noble du terme. Là réside bien l’essentiel absolu.