Récemment, l’absence de mes filles, gardées par leurs grands-parents quelques nuits par-ci par-là ces deux derniers mois (mariages, vacances scolaires…) a généré en moi un vide immense, un malaise. Un gouffre, plus exactement. Des abysses de solitude et d’angoisse. La maison était calme. Les petits lits, vides. Ma tête et mon cœur aussi, d’un coup. Comme si ce que j’avais de plus précieux au monde s’était tout à coup volatilisé, comme si elles avaient disparu. Pas le disparu soft d’une partie de cache-cache, non, disparue de la mort. Gone. Kapout. Je vis le vertige insupportable que m’impose mon imaginaire angoissé :
leur absence momentanée a moissonné le champ de mon amour, mon angoisse de mort est de retour.
Cette angoisse irrationnelle, excessive et pourtant irrépressible, prend certainement racine dans ma grossesse gémellaire, rythmée par l’inquiétude omniprésente de perdre l’un de mes enfants (merci les contrôles gynéco permanents). Pour faire bonne mesure, lors de mon accouchement, de précieux inconnus ont dû me filer trois litres de sang pour que je survive.
La peur de la mort a envahi tout mon espace dès le début de mon entrée dans la maternité.
Alors me voilà, de nouveau terrassée par une détresse immense : larmes, ongles rongés, doudous respirés à pleins poumons. Je ressens physiquement la souffrance qui serait mienne un jour si je perdais l’une de mes filles… Je vous passe l’arrière-plan sonore d’Aerosmith et le souvenir vivace des histoires d’Agnès Ledig (warning : ne pas lire enceinte). Sais-tu pourquoi mon cerveau tordu imagine ces macabres scénarios ? Pour le plaisir ? Je te le donne en mille : pour apaiser mon angoisse de la mort. Imaginer la mort pour calmer la peur de la mort ? Je t’explique le mécanisme : si je me morfonds en imaginant tout ça, c’est bien parce qu’en réalité, je sais pertinemment que mes enfants sont bel et bien vivantes… Dans un sens, imaginer le pire m’aide à me rassurer. Ouais bon, on a dit que c’était tordu, la psyché !
Est ce que tu te reconnais dans ces détours bizarres, chère Fabuleuse ?
Si oui, je t’adresse un conseil que je bataille pour appliquer dans ma propre vie : squizzons cette étape d’auto-déprime et d’auto-torture psychologique, et allons à l’essentiel : nos enfants vont parfaitement bien.
J’apprends à reconnaître le mécanisme ambivalent qui alimente mon besoin d’elles, mon désir de fusion avec elles. Comme si, demain, c’était terminé. Comme si demain, tout cela, toute cette vie avec elles, s’arrêtait. Comme si il n’y avait qu’aujourd’hui qui comptait. Bien entendu, je devine que cette relation n’est pas totalement apaisée. Depuis qu’elles sont nées, tout tourne autour d’elles. Ça fait quatre ans et demi qu’elles sont au centre de tout mon être, quatre ans et demi que je meurs d’amour pour elles.
« Tu peux les aimer aussi, sans être fusionnelle », me dit-on.
Ah. Mais comment fait-on ? Comme si défusionner, c’était abandonner, délaisser, reléguer au second plan… Comme si ça ne faisait pas partie de mon échelle de compréhension, comme si j’entendais le rationnel, sans réussir à faire adhérer l’émotionnel. Les faire garder ? C’est excellent pour mes filles, ça les rend autonomes émotionnellement… Oui, oui, je comprends, et je plussoie. Mais à l’intérieur, qu’est-ce-que j’en chie ! Mon cœur n’est pas super copain avec mon cerveau dans ces moments-là. Mais je me force, je me raisonne, pour elles. Elles sentent probablement l’enthousiasme forcé, enjoué, qui déguise le vide qui se dessine en moi, l’abîme qui se creuse, toujours plus profond, quand elles ne sont pas là pour la nuit. Peut-être aussi qu’elles réalisent, à ma voix chevrotante, que je prends sur moi parce que je les aime et que je veux qu’elles grandissent bien dans leurs baskets sans avoir à porter mes doutes et mes angoisses pourries. Je le reconnais sans problème : j’ai besoin d’aide extérieure pour accorder les violons de mon cœur et de ma tête, et ne pas embarquer mes filles dans les méandres de mon cerveau tourmenté.
Mes filles grandissant et ayant moins besoin de moi, disons sur un plan logistique, je sais que je vais devoir me réapproprier mon moi, mon couple, mes kiffs d’avant les enfants, mon temps libre regagné. Pendant quatre ans et demi, je me suis jetée à corps perdu dans la parentalité, entraînée dans son tourbillon et son rythme effréné, cherchant toujours la perfection là où elle n’existait pas, pour tenter à travers ce rôle de maman de m’aimer peut-être un peu mieux… Bien sûr que c’est aussi une histoire de confiance en soi ! Mais le temps va clairement m’imposer de faire ce chemin de distanciation.
Le cordon s’étiolera petit à petit : sans se casser, il se détendra suffisamment pour nous permettre de vivre, elles et moi, sans dépendance affective néfaste.
J’en suis persuadée, le temps fait partie de la solution. Nous ne pouvons pas résoudre tous nos problèmes en une demi-semaine et en un coup de baguette magique. Quand ça nous touche profondément, on peut et on se doit d’aller creuser. Pas pour remuer la mélasse ni pour enfouir des trucs et reboucher le tout, non. Pour assainir sa terre et cultiver son jardin.
Aujourd’hui, j’ai confiance : je tâtonne pour trouver la juste place, pour offrir à mes filles un jardin sain dans lequel elles vont construire leur propre chemin. Je puise dans mon amour pour elles une force immense, et c’est pour ça que, même si j’en bave parfois, les moments de kiff et mon amour total pour elles prennent le dessus.
À M. et L., les deux amours de ma vie.