Peut-on faire l’amour sans être égoïste ? - Fabuleuses Au Foyer
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Peut-on faire l’amour sans être égoïste ?

Marie Lucas Leborgne 24 janvier 2022
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Dans les films hollywoodiens, c’est toujours le bon moment pour faire l’amour : les amoureux n’attendent que cette rencontre des corps, qui est parfaitement orchestrée en un bel unisson, en une danse où le désir de l’un répond au désir de l’autre et inversement.

Seulement voilà :

Le sexe, même dans une relation stable où l’on connaît et aime l’autre, n’est pas toujours harmonie.

Il y a souvent comme des décalages dans nos désirs, des non concordances, où nos désirs, bien qu’emportées dans la même danse, ne sont pas exactement identiques.

  • Pour l’un, la relation sexuelle peut être trop brève et donc à la longue frustrante, insatisfaisante.

  • Pour un autre, elle peut prendre trop de temps à démarrer, à tel point qu’il se sent le seul moteur de la relation sexuelle.

  • Pour un autre encore, les relations sexuelles peuvent manquer de nouveauté et de piments, et la routine et la lassitude s’installent.

  • Pour d’autres, c’est le désir lui-même qui est souvent en panne, à tel point qu’on se demande s’il faut se « forcer » pour l’autre.

Le Cantique des Cantiques, livre de la Bible célébrant l’amour, formule de manière poétique ces « décalages » de la relation sexuelle.

Les amants se cherchent sans cesse et ne se trouvent pas.

« Sur mon lit, la nuit, j’ai cherché celui que mon âme désire ; je l’ai cherché, et je ne l’ai pas trouvé » (Cantiques des Cantiques, 3.1).

Et lorsqu’ils se retrouvent, les voilà de nouveau séparés.

« J’ai ouvert à mon bien aimé : mon bien aimé s’était détourné, il avait disparu » (5.6).

Ce jeu de cache-cache des amants du Cantique peut être relu comme une métaphore des décalages de nos désirs dans la relation sexuelle elle-même.

Le philosophe Michel Henry met les pieds dans le plat.

Toute relation sexuelle est, pour lui, vouée à l’échec dans son désir d’union.

Il parle ainsi de la « nuit des amants » : les amants dans la danse des corps ne se rencontrent jamais, et leur union est une nuit noire, qui enferme dans la solitude. Les bras qui cherchent l’autre in fine ne se referment que sous nous-mêmes.

Finalement, pour Michel Henry, toute relation sexuelle est un égoïsme au mieux réciproque, où chacun ne trouve que son propre plaisir au moyen de l’autre. La relation sexuelle n’est, du fait de la nature du désir lui-même, qu’un « auto-érotisme à deux » (N. Depraz). Michel Henry n’est pas hyper optimiste.

Mais il a le mérite de ne pas sublimer la relation sexuelle,

et peut nous autoriser à nommer ces « nuits des amants », qui de rêves d’unions se muent parfois progressivement en isolement, lassitude et frustration.

Mais que faire de ce constat ? Fermer les yeux et attendre que ça passe ? Ne plus faire l’amour ? 

Pour transformer la nuit en clarté, il faut chercher à réduire les décalages entre nos désirs.

La chose n’est pas simple il est vrai, car le désir par sa nature me pousse à ma propre jouissance, m’emporte et nous sépare. Il ne s’agit donc pas simplement de servir le désir de l’autre, car alors on reste toujours dans un échec d’union.

La première porte de sortie de cette solitude de la relation sexuelle, c’est en parler avec l’autre.

La parole fait fondre la solitude qui sépare les corps.

Réussir à identifier ensemble ces « nuits » et à en parler peut déjà les éclaircir. Dans la relation sexuelle elle-même, on peut aussi trouver des moyens de mieux être en harmonie. On peut ainsi décider d’être moins centré sur l’intensité et la rapidité de la relation sexuelle que sur la rencontre lente des corps, comme le propose le « slow sex ». Voir un sexologue peut aussi aider à renouveler la rencontre des corps – pour l’avoir fait, cela peut décoincer beaucoup de choses dans ce décalage des désirs.

Alors oui, la relation sexuelle est sur le long terme parfois faite de déserts à traverser – mais pas seuls. Pour que la danse des corps à l’unisson (re)voit le jour, pour dissiper les ténèbres qui parfois séparent les amants, il ne faut pas fermer les yeux, mais chercher à (re)trouver l’autre. 



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derniers jours Quand maman va tout va

Cet article a été écrit par :
Marie Lucas Leborgne

Professeure agrégée de philosophie et mère de trois enfants, elle vit actuellement à Compiègne. Mère et prof à temps plein, quand il lui reste du temps libre elle continue ses recherches sur le corps féminin en philosophie. Et à ses heures perdues, elle écrit de la fiction jeune adulte. 

Elle a à coeur de porter sur les questions chères aux Fabuleuses un regard philosophique et concret, inspiré de ses lectures et de ses propres questionnements.

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