Récemment, sur Instagram, une lectrice a réagi à un de mes articles en commençant avec une phrase qui m’a piquée un peu là où ça chatouille. Elle écrivait : « Je trouve cela juste mais aussi culpabilisant (…)».
À la lecture de cette remarque, je me suis dit : « Oh zut, ce n’était pas le but, je ne voulais pas que les gens se sentent coupables ». Et puis j’ai réfléchi et répondu aussi. Non, je n’ai pas envie que les gens se sentent coupables mais d’un autre côté, nous sommes tous responsables. Non pas des réactions des autres mais de nos propres actions, réactions, de notre vie !
« Pourquoi c’est toujours moi qui devrais changer ? »
Ah, on la connaît bien cette question, et ma réponse reste et restera toujours : « Parce que la seule chose que tu peux changer, c’est toi ! » Nous pouvons vouloir changer les autres mais en vrai, c’est tellement déjà difficile de se changer soi-même, tu crois que la chance de changer quelqu’un d’autre est meilleure ? Eh non… pas vraiment.
Mais honnêtement, je comprends cette lectrice.
Moi aussi, je me retrouve parfois du côté de la personne qui lit un article et puis se débat avec un sentiment de culpabilité qui monte. J’évite d’ailleurs d’acheter certains magazines parce qu’après les avoir lus, j’ai souvent une espèce de gros coup de mou, une voix qui me vrille le cerveau avec toutes ses critiques et une frustration énorme qui me donne envie de tout jeter, l’eau du bain et le bébé avec !
« COUPABLE, coupable de ne pas nourrir tes enfants convenablement, de ne pas travailler plus en tant que psy, de ne pas faire de ton jardin une oasis de rêve et de permaculture, de ne pas faire plus de sport, de ne pas te libérer du poids des objets non nécessaires… »
Alors évidemment, quand je suis frustrée à ce point, je m’énerve sur l’univers entier mais surtout sur moi-même ! Je me déteste, c’est comme si ma peau était un pull en laine qui gratte et dont je voudrais me débarrasser au plus vite, quitte à sortir les gros ciseaux et tout couper.
Du coup, au lieu de me dire que je pourrais changer un peu, que toutes les idées proposées ne sont ni si mauvaises, ni inutiles, ni impossibles, je me bloque, je boude et rien, rien dans la lecture de ce magazine ne m’a encouragée, ressourcée, donné envie de « sauter plus haut ». Bref, cette réponse « Je trouve cela juste mais aussi culpabilisant » aurait pu tout à fait sortir de ma plume ! Oups, disons qu’en fait, je suis plutôt du genre à m’enfuir sous la couette et à penser :
« Mais j’en ai marre, j’en ai marre d’être adulte, d’être la maman, de me sentir responsable… de sentir un gros doigt pointé sur moi qui dit “déclarée COUPABLE” »
Et me voilà pourtant, penchée sur mon petit ordinateur, à vous écrire des articles pleins de bon cœur et de bon sens (je l’espère) mais qui pourraient tout autant réveiller les mêmes sentiments de « jamais assez » chez vous. Quelle ironie.
Et si on s’asseyait un instant ?
Ensemble, au calme et en essayant de s’observer un peu, de tâter ses propres réactions réflexes ? Tu me dirais « c’est juste mais je trouve ça culpabilisant ». Je te répondrais gentiment, la tête penchée sur le côté et les cheveux accrochés en chignon mal fini :
« Non, pas coupable mais responsable. Tu sais ? Responsable de tes choix, de ton bien-être, de ton corps, de ta famille. Adulte… aussi chiant que ça puisse l’être, aussi dur que ça puisse l’être, aussi ingrat que ça puisse l’être. Si tu fuis, tu fuiras avec toi, tu ne feras que transporter ton sentiment de culpabilité, ta responsabilité, ailleurs. Si tu te caches le visage derrière les mains, tu ne verras peut-être plus rien mais rien n’aura changé, comme l’autruche qui, la tête dans le sable, fait encore une taille non négligeable. Le soulagement ne sera que de courte durée, parce qu’en relevant la tête, tout, tout, tout est encore là. »
On oublie parfois si vite que notre vie, nos choix, notre manière de gérer nos problèmes vont influencer les gens qui nous entourent. Parfois, on ne bouge pas d’un poil pour soi, parce qu’on en a pas la force, pas le courage ou tout simplement l’envie et on ne voit pas que nos vagues bousculent les autres gens qui sont dans la barque avec nous.
Dans la ville où nous avons vécu pendant plus de 10 ans, il y avait un jeu d’eau géant sur la grand-place, les enfants aimaient plus que tout s’y attarder (surtout fin septembre quand l’eau n’est pas encore coupée et que toutes les mamans stressent qu’ils tombent malades, pieds nus dans le sable humides et éclaboussés jusqu’à l’élastique du slip).
Il fallait activer avec force la pompe pour faire sortir de l’eau.
Celle-ci s’accumulait dans un premier bassin qui avait 2 écluses dont on pouvait ouvrir les portes, permettant au flot de couler vers d’autres petits bassins. Il y avait des enfants à tous les coins, les uns aux portes, les autres aux bassins, attendant ou maîtrisant l’arrivée de l’eau. Mais si celui qui était au premier bassin n’ouvrait pas les portes, l’eau n’arrivait jamais en bas et les râleries de toutes sortes s’élevaient. Chacun des enfants qui jouaient portait la responsabilité de l’étage, des portes devant lesquelles il s’était placé et chacun, à sa façon, était responsable de ce que les autres auraient comme eau à disposition ou pas.
En tant que parent, on est super souvent au bassin d’en haut.
On est l’adulte. Quelque part, au quotidien, la manière dont nous réagissons et interagissons va directement influencer ce que nos enfants vivront. Si tu coupes l’eau en haut, celui qui joue en bas n’en aura pas pour s’amuser. Si tu vas mal, ça va se ressentir dans ton foyer. Et si tu ne cherches pas à trouver d’autres solutions par amour pour toi, alors peut-être pourrais-tu commencer à changer pour tes enfants.
Moi aussi je l’ai appris « à la dure ». Il y a quelques années, alors que j’allais droit dans le mur à force de me mettre des objectifs démesurés et de penser que je n’avais pas besoin d’aide, j’ai dit à mon mari : « Je vois bien que notre fille ne va pas bien pour l’instant ».
Et tu sais ce qu’il m’a répondu ? « Oui mais Rebecca, tu ne vas pas bien depuis des mois aussi, tu ne crois pas que c’est lié ? ».
C’était comme se ramasser un seau d’eau glacé en pleine face.
J’avais le choix entre répondre sur la défensive, fermer le verrou à double tour et râler le reste de la journée ou bien de laisser sa remarque me faire bouger. J’ai ravalé ma fierté, ravalé l’envie de répondre :
« Et toi, tu fais mieux peut-être ? ».
Je me suis tue, j’ai décidé d’agir. Le truc, c’est que je connais mon mari, il ne me le disait pas pour me rendre coupable, mais alors qu’on parlait, il m’a rappelé que j’avais un rôle à jouer là-dedans, que j’étais responsable des actes que je posais. À l’époque, chacune de mes nuits était troublée par les terreurs nocturnes, j’étais crevée, j’essayais de me dépatouiller plus ou moins seule avec des troubles post-traumatiques complexes et en refusant de me faire vraiment soigner — oui oui, la psy qui veut s’en sortir toute seule en méga héroïne du jour, c’était moi —, je laissais les autres se faire éclabousser aussi.
Le lendemain matin, j’ai tout de suite appelé mon médecin et, dans son cabinet, en larmes, je lui parlais de mon état et lui demandais de l’aide.
Un pas fait par amour pour mes filles et pour moi.
Une manière pour moi de reconnaître ma responsabilité (et non, la thérapie n’a pas été facile et non, ce n’était pas toujours agréable et oui, parfois j’aurais préféré me boucher les oreilles et fermer les yeux et chanter à tue-tête « lalalala je ne t’entends pas »).
Certaines me diront peut-être qu’avec un article comme ça, je ne fais que rajouter un poids encore plus grand sur leurs épaules, qu’en plus de tout le reste, elles devraient maintenant prendre soin d’elles-mêmes, que ces mots les montrent du doigt et leur disent :
« Et si tu t’occupes pas de toi, alors tes enfants en payeront les conséquences ».
Je suis tellement désolée, ce n’est pas mon but.
Je me souviens du jour où quelqu’un, par gentillesse, m’a demandé si ça ne m’aiderait pas de faire du sport régulièrement pour faire diminuer les moments de panique. Alors, oui, je suis psy et oui, merci, je savais bien que ça m’aurait aidée. Voilà ce que j’ai répondu : « Mais tu en connais beaucoup, des mamans de 3 enfants dont une petite miss au chromosome extra-numéraire, qui font du sport régulièrement ? » (maintenant que je suis sur instagram je ne peux nier la réalité : oui, il y en a qui ont encore plus d’enfants et qui vont courir régulièrement, zut et rezut, mon excuse est tombée à l’eau).
J’étais tellement crevée et la dernière chose dont j’avais envie c’est qu’on me rappelle encore qu’il fallait que je prenne soin de mon corps pour pas foncer à pleine vitesse dans un mur. Alors non, je n’ai pas commencé le sport. Mais le soir, de temps en temps, je partais me promener seule une demi-heure quand les filles dormaient ; parfois, je faisais juste 15 minutes de balançoire dans le parc devant chez nous, juste pour commencer à me laisser de la place dans mon quotidien, à m’écouter moi-même, à écouter en moi ce qui avait si peur et avait besoin d’attention et d’amour.
Ma thérapeute m’a aussi aidé dans le processus. Il y a eu des petits pas de souris, des projets que j’ai arrêtés, d’autres que j’ai commencés, des idéaux qui me sont devenus inutiles et dont j’ai pu me libérer, et toute cette saveur de la vie qui revenait lentement. Je réalisais la force que j’avais, la résilience que je pouvais tirer de mon histoire de vie.
Je pouvais me dire :
« Je ne suis pas ce qui m’est arrivé, je ne dois rien répéter, je peux choisir comment je réponds aux situations qui se présentent ».
Je peux choisir quelles priorités je veux laisser tomber et lesquelles je veux mettre à la première place. Je crois que j’ai commencé à devenir adulte à ce moment-là, de manière consciente, de manière paisible, un peu plus réconciliée avec ma manière d’être :
- J’ai découvert quel genre de vagues j’avais dans ma vie, le rythme entre « besoin de contacts sociaux et tant besoin d’être seule », entre « l’académique qui adore les livres et la fille qui adore dessiner des maisons », entre « dragon et fleur bleue », entre « calme et énergique »
- J’ai découvert que j’ai tout plein de limites qui font que je ne peux pas tout faire, que je ne peux aider tout le monde, que je ne peux pas rendre les gens heureux, qu’ils portent leur propre responsabilité, tout comme je porte la mienne, tout comme tu peux porter la tienne et refuser de te laisser bouffer par la culpabilité ou encore la surresponsabilisation.
- J’ai aussi découvert qu’en osant dire non aux paquets des autres, je pouvais prendre les miens en main, vraiment en main. Que je pouvais faire de la place pour les projets qui me tenaient à coeur, pour mes passions, pour mes talents.
Dans une magnifique interview avec Brené Brown (le podcast Ulocking us), Edith Eger, une femme épatante, survivante d’Auschwitz et pétillante de vie, explique qu’elle pose souvent à ses clients la question suivante :
« Veux-tu être un enfant qui est assis à l’arrière de la voiture et qui rouspète tout le temps sur la direction dans laquelle on va, qui fait ce qu’il veut sans se raisonner ou se limiter et qui blâme les autres tout le temps ? Ou veux-tu être l’adulte au volant, qui conduit, qui décide où il va ? Veux-tu être celui qui sera conduit ou celui qui conduit ? ».
Chère Fabuleuse,
J’ai envie de te dire : « Courage, utilise mon article comme une courte échelle pour aller à un endroit où tu n’as pas encore regardé ».
J’ai envie de te dire : « Laisse tomber la culpabilité, fait-la taire, dis-lui merde ».
J’ai envie de te dire : « Vas-y, tu peux, tu vas y arriver, prends le guidon en main, décide toi-même où tu veux aller, sois toi-même responsable ».
Alors, ma chère Fabuleuse, qu’est-ce que tu aimerais, qu’est-ce que tu voudrais ? Conduire ou être conduite ?