Je me souviens de la réaction de ma mère la première fois que je suis allée chez le psy.
« J’espère que je n’ai pas trop fait tout de travers », m’a-t-elle glissé, inquiète. Peut-être imaginait-elle que nos séances consistaient à critiquer mon enfance et à faire brûler mes souvenirs sur le bûcher de la bien-pensance. Peut-être s’imaginait-elle qu’en tant que mère, elle était nécessairement seule responsable, dès la petite enfance, de tous les maux qui m’amenaient à avoir besoin de parler.
Maintenant que je suis moi-même devenue mère, je comprends ses craintes : notre quotidien est pétri d’ajustement, d’essais, de sorties hors de notre zone de confort, avec la crainte de « tout faire de travers ».
Mais la vérité, c’est que voir un psy, c’est parler de son chemin de vie.
C’est prendre le temps d’extérioriser, de trouver des mots justes pour parler de situations complexes. C’est faire un pas de côté, changer de perspective, réaliser qu’il y a d’autres interprétations possibles.
Peut-être ai-je parlé d’elle, peut-être pas. Ces séances n’étaient certainement pas le lieu de son procès, sinon je m’en serais souvenu. Toujours est-il que cette thérapie m’avait fait tant de bien que j’ai totalement dédramatisé le fait d’aller consulter un professionnel de la santé mentale.
La possibilité de parler d’un blocage, d’un point de souffrance, d’un schéma qui se répète et dont je n’arrive pas à sortir est désormais un outil précieux pour vivre de ma vie de femme.
Comment ai-je trouvé mon psy ? Par hasard.
À ma connaissance, personne dans ma famille n’a jamais suivi de thérapie, donc je ne pouvais pas recueillir le conseil de proches éclairés. Toutes sortes de considérations me paraissaient vertigineuses, à commencer par le titre. Fallait-il privilégier un psychothérapeute, un psychologue, un psychanalyste ou un psychiatre ? D’ailleurs, valait-il mieux se faire accompagner par un homme, ou une femme ? École freudienne, jungienne, autre ? Et cette litanie d’acronymes obscurs : TIP, TCC, EMDR… Je n’y connaissais rien, n’y comprenais rien, et je trouvais tout ceci franchement intimidant.
Comment confier sa santé mentale en toute sérénité…
…en piochant parmi une foule de psys de tous poils, tous diplômés de trucs différents, avec des tarifs variant du simple au quadruple ?
J’ai tranché en faveur de la simplicité et du service public, et j’ai contacté le Centre Médico-Psychologique (CMP) le plus proche de chez moi. Une structure d’état, c’est rassurant, pour un premier pas dans cet univers inconnu. Bon à savoir : les séances sont prises en charge et les patients reçus dans des délais très raisonnables. Ce premier suivi n’a pas été très long et s’est arrêté tout naturellement, plutôt joyeusement. Je n’oublierai jamais Isabelle, ma thérapeute, et repense avec gratitude à nos échanges énergisants.
La deuxième fois que j’ai consulté, forte d’une première expérience très positive, j’étais totalement décomplexée de la psychothérapie.
Finalement, aller voir un psy, c’est comme affronter n’importe quelle peur : c’est le premier pas le plus difficile.
J’ai bénéficié d’une séance au sein d’une association d’aidants, qui proposait un accompagnement pour les familles de personnes atteintes de cancer. Une seule séance a suffi, provisoirement, à déposer un bagage trop lourd pour moi.
Aller chez le psy a toujours relevé d’un heureux hasard, finalement. Sur le chemin, on trouve parfois des pépites !
Lors de mes séjours à la maternité, j’ai eu la chance de bénéficier des services d’un maternologue. Spontanément, la maternité n’est pas un endroit que l’on associe avec le besoin de consulter un psy. Au contraire, c’est le lieu associé à un torrent d’amour, aux petites layettes mignonnes, à la tendresse des premiers bains. Accueillir un enfant se fait nécessairement dans la joie et la facilité, pas vrai ? Ah bon, je croyais. J’ai donc été très surprise de voir débarquer dans ma chambre un psy — en plus de la kiné, de la sage-femme, et des aides-soignantes.
Ce psychiatre, spécialiste de la relation mère-enfant, proposait un accompagnement des mères à la naissance de leur enfant.
Malgré le bain d’hormones et les émotions sens dessus dessous, j’ai su tout de suite que cette main tendue était une chance. Accepter de parler à un professionnel, à ce moment de ma vie, reste l’une de mes meilleures décisions. On entend souvent que l’arrivée d’un enfant est un bouleversement pour le couple, que les tout-petits sont les éponges de nos émotions contradictoires, on sait les mères assaillies par le doute dès l’instant qu’on leur pose cette charmante étiquette de « primipare ». Pourquoi traverser ces bouleversements, doutes et tourments émotionnels seule ? Consulter un psy, et a fortiori un maternologue, c’est saisir la chance de retrouver confiance en soi, de gagner en clarté sur les motivations de nos décisions, de se sentir accompagnée sur un chemin semé d’embûches. Au 21ᵉ siècle, aller chez le psy n’est plus l’apanage des « folles », des « hystériques. »
Au contraire, le psy peut être l’allié des femmes et mères qui, rationnellement, décident d’aller mieux.
Prendre en main sa santé mentale est une décision courageuse. Il est temps de changer de regard sur la santé mentale et de laisser un espace de discussion, d’avancée, de guérison, sans stigmatiser les patientes.
Dans nos quotidiens de mamans débordées, le mieux-être a sa place.
Alors oui, je vais chez le psy. Pas tout le temps, même pas forcément longtemps. Jamais je ne ressens de honte de prendre soin de moi, différemment.