La dépression post-partum : point de vue de sage-femme  - Fabuleuses Au Foyer
Maman épuisée

La dépression post-partum : point de vue de sage-femme 

deux femmes bébé
Myriam Oliviéro 10 mars 2024
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Hélène exerce le fabuleux métier de sage-femme depuis près de 20 ans et avec toujours autant de passion et de conviction. Nous avons parlé ensemble de la période ô combien vulnérable du post-partum, pendant laquelle bon nombre de mamans se perdent. Hélène nous livre un point de vue sincère et bienveillant sur les mamans, mais aussi des pistes concrètes pour éviter de couler.

Comment définis-tu et perçois-tu le post-partum en tant que sage-femme ?

Je ne m’intéresse pas trop aux normes. On est toutes différentes ! La période de fragilité du post-partum est plus ou moins longue selon les femmes. Certaines vont ressentir rapidement une grande vulnérabilité qu’elles ne pourront pas exprimer et qui va les ronger petit à petit, les empêchant de se sentir légitimes en tant que maman. D’autres fois, ce qu’on appelle la dépression post-partum se révélera tardivement, c’est-à-dire à partir de dix-huit mois, voire deux ans après l’accouchement. On peut même diagnostiquer des dépressions qui se sont « enkystées », et ne vont pas être étiquetées post-partum, mais qui auront trouvé leurs racines dans cette période. Parce que ça n’a jamais été pris en compte, ou jamais exprimé, par exemple. Ce n’est pas évident pour les mamans de dire qu’elles ne vont pas bien, alors que ce qu’on attend d’elles, c’est qu’elles soient heureuses. Et pourtant, on retrouve presque toujours cette dualité : j’aime mon enfant et, en même temps, je ne me sens pas légitime. C’est normal de se poser des questions quand on est fatiguée. Je dis souvent aux mamans : le fait que vous posiez des questions montre que vous êtes attachée à votre enfant, et que vous êtes légitime dans votre rôle de mère, vous êtes à votre place. 

Cela dit, être à sa place ne veut pas dire qu’on n’a pas besoin d’être accompagné. Nous sommes des êtres humains qui, par définition, avons besoin les uns des autres, besoin d’être épaulés de temps en temps. 

Est-ce que les mamans d’aujourd’hui sont de plus en plus isolées, selon toi ?

Aujourd’hui, on est davantage tourné vers l’individu, vers soi-même, et on se retrouve facilement seul. On a perdu l’aspect communautaire qui apportait de l’entraide. Le bon côté, c’est qu’on a notre intimité, on est moins « envahi » par la famille. Le désavantage, c’est qu’on n’a plus ce soutien nécessaire et qu’on n’ose même plus le demander. Le message, en creux, qui passe dans une société individualiste, c’est qu’on doit savoir se débrouiller seul. C’est faux ! Ça n’existe dans aucun domaine ! Et encore moins quand on vient de devenir parent. 

Est-ce que tu vois un terrain favorable à la souffrance post-partum ? 

Oui, il y a des facteurs de risque et de fragilité qui sont identifiés : avoir déjà vécu un traumatisme va bien sûr favoriser le risque de dépression, par exemple. 

Mais cela peut être plus subtil : si l’on n’a pas eu des parents aimants, soutenants, valorisants, même s’il n’y a pas eu de traumatismes dits « sévères », une faible estime de soi pourra favoriser l’ouverture de failles au moment où l’on devient parent. Cela donnera des croyances comme : « Si mes parents pensaient que je n’étais pas capable, c’est sûrement que je ne le suis pas. » 

Les mamans qui ont perdu leur propre mère, et qui n’ont plus ce vis-à-vis quand elles le deviennent à leur tour, peuvent également ressentir un manque qui se révélera à certains moments, malgré la présence d’un entourage. 

Il n’y a rien de systématique, et heureusement, mais toutes les situations qui auront créé des fragilités émotionnelles (ce qui concerne un grand nombre d’entre nous), sont des facteurs de risque. 

Le fait d’avoir traversé des difficultés par le passé rend les mamans plus vulnérables face à la dépression post-partum ?

Pas toujours. Parce que les patientes qui ont été suivies par le passé, finalement, vont déjà avoir des ressources et elles vont déjà savoir demander de l’aide. Ce ne sont pas forcément ces patientes qui vont être les plus difficiles à accompagner et qui vont forcément faire une dépression parce qu’elles connaissent déjà les signaux et les recours. Si tu t’es déjà fait aider une fois, tu y as recours plus facilement, cela fait partie du panel de choses qui sont acceptables et possibles pour toi. Quelque part, on peut considérer cela comme un atout, d’être déjà passé par quelque chose de difficile.

D’ailleurs, je pense que c’est génial de pouvoir faire des groupes de mamans avec ces femmes-là qui peuvent partager leurs expériences. D’une part, ça les valorise et à juste titre. Et en plus ça peut vraiment être très bénéfique pour d’autres.

Le simple fait de se dire « je suis normale » change vraiment la perception qu’on peut avoir de ce qui nous arrive. Une maman a ses difficultés comme les autres ! D’avoir des outils qui peuvent être partagés, ça peut être un soutien. Ce n’est jamais bon d’être isolé. Quand on peut s’entourer de différentes manières, ça aide, quelle que soit la souffrance. 

Est-ce que la dépression post-partum s’explique uniquement en regardant le parcours de la mère ? 

Non, bien sûr ! Le manque de soutien, le manque de sommeil, un bébé plus demandeur, qui pleure beaucoup. Ou bien un bébé qui a un reflux, et qui ne va pas bien tolérer d’être en position couchée. Il va beaucoup demander à être dans les bras, même la nuit. La première chose, c’est d’essayer d’arriver à positionner différemment le bébé, et de trouver un relais, tout en se disant : je sais que ça ne vient pas de moi, je sais que mon bébé ne fait pas exprès. Il a juste mal.

J’insiste sur la nécessité, quand c’est envisageable, de trouver un relais, pour dormir suffisamment. Parce qu’on a beau savoir ce qu’il faut faire, on a beau prendre du recul, quand on manque de sommeil, tout devient plus compliqué. On arrive à un moment donné où on sent qu’on est au bout de ses forces.

Ce sont des choses qu’on ne peut pas prévoir, mais qui peuvent entraîner beaucoup de fatigue physique et mentale.

Le fait de ne pas dormir suffisamment et de ne pas parvenir à récupérer crée le risque d’entrer dans une phase de souffrance, de déprime, voire de basculer dans une dépression post-partum, surtout si on ne met rien en place et si on n’ose pas en parler. Les mamans peuvent se dire « ça ne sert à rien », « ça va passer », « on ne va pas me comprendre », « je ne veux pas montrer que je suis fragile », « je ne voudrais pas passer pour une mauvaise mère », « est-ce que j’ai bien fait d’avoir un enfant ? » et développer toutes sortes de fausses représentations de ce qu’elles sont vraiment.

Que faudrait-il mettre en place idéalement pour éviter de tomber dans la dépression post-partum ?

L’idéal est d’avoir préparé cette période, d’avoir envisagé ces difficultés et d’avoir un plan de bataille. Il ne faut pas attendre de se sentir « pas bien ». On sait que mettre au monde et accueillir un enfant va être fatigant, on sait que ça va nous prendre de l’énergie. Il y a quand même de plus en plus de parents qui témoignent, qui osent dire que ça n’a pas été si simple que ça, même si on ne le réalise vraiment que quand l’enfant arrive. Identifier dans son entourage quelles pourraient être les personnes-ressources en cas de besoin éviterait d’être dans l’urgence. Si on a déjà un petit peu borné les choses et qu’on s’est déjà mis d’accord avec quelqu’un qui se dit prêt à nous aider, c’est plus facile à gérer quand le bébé est là. Quand on est dans le dur, quand on est submergé, quand on est hyper fatigué, ce n’est pas le moment où on va pouvoir chercher ce qui peut nous aider.

On peut aussi s’adresser à des professionnels de santé, des associations de jeunes parents, ou autres. Je rencontre des mamans qui n’ont aucune famille proche, pas d’amis sur qui s’appuyer, ou qui débarquent dans une région et qui ne connaissent personne, mais pour lesquelles il existe aussi des solutions, heureusement. 

Il faut également accepter le fait qu’il y a toujours une phase d’adaptation à son enfant. On peut s’imaginer que, comme on l’a porté, on le connaît super bien. Mais il y a tout de même une phase d’apprentissage, où l’on fait connaissance, où l’on met en place une nouvelle routine à trois, à quatre, etc. C’est à chaque fois différent ! Et ça, ça peut être très déstabilisant. Si, en plus, on a tendance à vouloir tout maîtriser, ça va être plus compliqué.

Chez les Fabuleuses, on rencontre beaucoup de femmes qui expriment qu’elles avaient déjà cette tendance en elles, à vouloir tout gérer en permanence. Mais quand elles réalisent qu’elles ne peuvent pas tout faire comme elles l’avaient imaginé, la culpabilité s’installe…

Bien sûr, c’est un trait de personnalité qui va forcément être plus à risque, car il suffit qu’il y ait un petit caillou dans la machine, et après c’est vraiment la vague qu’on n’a pas sentie arriver et qui vous submerge. Pour certaines personnes, perdre la maîtrise des choses, c’est très angoissant ! S’en suit une énorme culpabilité parce qu’elles ont l’impression qu’elles n’ont pas « réussi ». Le raisonnement, c’est : « Si je n’ai pas réussi, c’est que je ne suis pas une bonne mère, je n’aime pas mon enfant correctement, je ne suis pas capable, je ne mérite pas. » 

La question, c’est : est-ce que ces parents vont être capables de reconnaître qu’ils ne vont pas bien, de se l’avouer, et puis surtout de verbaliser « j’ai besoin d’aide » ? J’emploie le terme « avouer », parce que, pour eux, demander de l’aide revient à considérer qu’ils ne peuvent pas tout faire, c’est un aveu d’échec. 

En tant que sage-femme, quels signaux t’alertent dès les premiers jours ?

Certaines mamans sont très anxieuses. Tout est un signe d’alerte, une source d’angoisse, notamment chez les primipares. D’autres vont être très scolaires : elles vont tout noter, toutes les heures. Quand je vois cela, je me demande : est-ce qu’il va y avoir de la souplesse, de la flexibilité ? Ou est-ce que la moindre variation va être un facteur de stress ? Cela risque de poser un problème quand la personne sera seule à la maison, car le stress risque de s’amplifier dans les jours, les semaines à venir. 

Pour un premier enfant, on a tendance à se mettre beaucoup plus de pression. Il y a cette envie d’être un parent parfait. Tout le monde autour de soi donne des conseils et, comme on veut bien faire et qu’on est une bonne élève, on cherche à suivre les conseils de tout le monde. On ne s’écoute pas, alors que la première experte, c’est la maman elle-même.

J’encourage ces mamans à s’autovalider et à avoir confiance en leurs capacités ! Il n’y aura pas toujours quelqu’un pour dire qu’on fait bien. D’ailleurs, l’apprentissage va se faire au fur et à mesure. Il faut se laisser le temps, il faut se laisser le droit à l’erreur. Souvent, je donne aux mamans cet exemple concernant le bain. Le bébé a vécu neuf mois dans l’eau, il a des réflexes, il ne va pas boire la tasse. Vous le tenez et vous le sortez de l’eau quand c’est terminé, tout simplement. 

Concernant le poids aussi, qui est bien souvent un sujet de stress, il faut procéder de manière logique. On observe le bébé : s’il est bien tonique, s’il a une bonne coloration, tout va bien. Il s’agit de se faire confiance. Et bien sûr, on a le droit de demander de l’aide, des conseils. 

Qu’est-ce que tu aurais envie de dire à ces mamans chez qui on peut repérer, ou qui repèrent elles-mêmes, des signes de vulnérabilité ?

J’irai plus loin que ça. Peu importe qu’il y ait des signes ou pas des signes. Si on cache tout à son entourage parce qu’il faut être la mère parfaite, toute cette souffrance peut passer totalement inaperçue. J’ai eu une patiente il y a quelques années, que j’avais suivie toute sa grossesse et qui avait accouché de son premier enfant. Ça se passait vraiment bien avec elle et son mari. Celui-ci était très investi dans la grossesse. Je suis allée un petit moment les voir à domicile, j’ai fait la rééducation du périnée, puis est venu le moment où j’ai changé de région, et je ne les ai donc plus revus. J’ai appris par la suite que cette maman avait fait une tentative de suicide. Elle a été prise en charge et la psychologue m’a donné des nouvelles, avec l’autorisation de la patiente. Ça s’est bien terminé, mais ça a été dur pour moi de me dire que j’étais formée et que j’étais quand même passée à côté de cette situation de souffrance… Je les voyais pourtant très régulièrement. La maison était nickel. La maman n’avait pas l’air spécialement fatiguée, elle avait un discours très positif, son mari aussi. Il n’y avait pas de signes, selon moi, ou alors quelque chose m’a échappé. Cela m’a fait beaucoup réfléchir au sujet de ces parents qui préfèrent montrer une façade où tout va bien, plutôt que de se montrer vulnérable et demander du soutien.

À côté de combien de mamans en détresse je suis passée en tant que professionnelle ? Celles qui ont fait bonne figure et ont continué leur vie comme ça… Je ne sais pas, mais certainement plusieurs. Donc je pense que, évidemment, quand il y a des signes avant-coureurs ou quand on peut être conscient de rentrer dans tel ou tel profil, il vaut mieux faire preuve de vigilance ! Mais au-delà d’un profil, cela peut arriver à n’importe qui. La dépression post-partum peut toucher toutes les mères, même les plus épanouies. À un moment donné, elles se sont posé des questions comme : est-ce que je fais bien les choses ? Est-ce que je suis légitime ? Est-ce que j’aime correctement mon enfant ? Est-ce que c’est bien ? Est-ce que je ne suis pas dangereuse ? En fait, je pense qu’il n’y a pas une mère qui ne se soit pas posé ce genre de question.

J’aimerais dire à ces mamans : si tu te poses ces questions, cela montre que tu es une bonne maman. Évidemment, toutes ne se posent pas un milliard de questions, et il n’y a pas de souci avec ça. Mais si tu sens que ces questionnements t’atteignent souvent, ou que certaines remarques viennent te piquer un peu trop facilement, c’est peut-être le moment de mettre une alerte et de commencer à en parler, ne serait-ce qu’à la sage-femme, à une amie et pourquoi pas, solliciter un accompagnement avec un psychologue. Il y a aussi des associations qui s’occupent de l’accompagnement mère-enfant.

Le mot de la fin ?

Il est important de savoir qu’il n’est jamais trop tard, et à l’inverse qu’il n’y a pas de seuil de gravité à atteindre pour demander de l’aide.



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Cet article a été écrit par :
Myriam Oliviéro

Infirmière de formation et diplômée en médecine tropicale, Myriam s’est orientée vers l’action médico-sociale auprès des publics démunis. Après un séjour de 2 ans en Afrique de l’Ouest, elle s’est investie en France dans différentes associations.

Mariée à un Fabuleux infirmier et pianiste avec qui elle a 2 garçons, elle a rejoint cette année l’équipe des Fabuleuses en tant qu’assistante de rédaction.

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