Assise à mon bureau, vissée à mon ordinateur, avec ma liste de tout ce que je dois faire en tête, je n’avance à rien. Je commence à lire un article, je vois une référence intéressante, je vais la consulter, ouvre le document, commence à le parcourir, vois une autre idée, vais chercher l’article, et me retrouve avec plein d’onglets ouverts et aucune note de prise.
Je ne sais plus ce que j’étais censée faire et j’ai l’impression de n’avoir rien fait.
Je décide de me mettre à l’écriture d’un avant-projet de communication. Étape 1 : je clarifie mon message clé. Étape 2 : je pose mes idées en vrac qui permettent de l’étayer. Étape 3 : j’ordonne mes idées. Étape 4 : je rédige un premier jet. Étape 5 : j’améliore. Étape 6 : je corrige.
Facile. Sauf que plusieurs heures plus tard, je suis en train de rédiger des idées qui partent dans tous les sens car je n’ai pas pris le temps de l’étape 1.
Je fais n’importe quoi, encore une fois.
Ou pire (car là, on peut se dire que j’ai quand même récupéré des idées potentiellement intéressantes avec ces articles et ces idées écrites même en vrac), j’enchaîne les sessions de travail durant lesquelles je ne commence rien du tout. Je me lance pour travailler mais d’abord, je vérifie mes mails, j’ouvre mon compte LinkedIn et me fais happer par des posts, très intéressants évidemment.
Puis un petit tour sur Facebook, sans même m’en rendre compte, puis une amie m’appelle et je réponds, je réponds à des messages parvenus entre temps, je fais “vite fait” une tâche administrative personnelle que j’ai oublié de faire, et le temps file et je n’ai pas commencé à travailler…
Qu’il y ait des petits passages comme ça, c’est bien normal, et j’ai appris à ne plus culpabiliser.
J’ai de plus en plus d’outils et de stratégies pour inverser la tendance. Mais là, je vois bien que ça dure, et que ça s’installe.
Mon cerveau ne veut plus. Ne peut plus. Il est temps d’agir.
Alors mon action, c’est d’aller volontairement faire “rien”. Pas ne rien faire, qui est passif, mais activement choisir de faire “rien”.
Je pars à la mer pour quelques jours.
Sans ordinateur. Sans article. Sans livre. Sans même un cahier pour prendre des notes “au cas où”. Sans rien.
Je vais à la plage et je reste là, devant la mer. Je suis là, devant les vagues dont le ressac emplit mes oreilles. Avec des pensées qui vont et viennent et je m’en fiche. Je ne m’y accroche pas, je les laisse être là, partir, revenir, repartir. Comme les vagues, en fait. Je sens le vent sur mon visage. Mes pieds dans l’eau sentent le froid qui me vivifie.
Mon fils joue dans le sable. Je le vois construire une digue contre la mer, qui vient et embarque tout. Il recommence. Il sait que l’eau effacera tout. Cela n’a aucune importance pour lui. Il n’arrête pas pour autant. Car il est tellement heureux des sensations. Je m’accroupis et mets les mains dans le sable plein d’eau. Je caresse le sable, je laisse le sable me caresser, je le sens dégouliner à travers mes doigts. Cette sensation du sable et de l’eau sur mes mains fait tellement de bien. Peu importe la construction, le résultat.
Ce qui importe est la sensation là, maintenant, et le plaisir de ce moment partagé.
Je ris à en avoir mal au ventre en faisant des batailles de chatouilles durant lesquelles je laisse mes enfants trouver mes points faibles et les activer. Le rire décharge la pression.
Nous allons au zoo et je m’émerveille avec mes enfants, comme une gosse, des couleurs chatoyantes des perruches, je rigole des mangoustes qui dorment entassées les unes sur les autres (…), j’imite les manchots, je me délecte du soleil en prenant le goûter avec les enfants sur un banc.
Bien sûr pendant ces vacances je “fais” quelques tâches :
je fais les courses, je fais à manger, je fais en sorte que les enfants se couchent à des heures raisonnables pour ne pas pourrir de leur fatigue la journée suivante, je recadre quand il faut. Mais pour le reste, je mets un maximum de “rien”, de volontairement non productif, sans objectif, sans résultat, sans but.
Je suis là. Juste là. Je suis. Ce qui est est. Et c’est tout.
Une image me revient. J’imagine un verre plein d’eau boueuse. Chaque fois que je le bouge, chaque fois que je le remue, l’eau est trouble. En revanche, si je le laisse posé suffisamment longtemps, la boue se dépose au fond et l’eau devient claire au dessus.
Avec ces quelques jours de “rien”, je pose mon verre. Volontairement. J’évite de le remuer. Je laisse décanter.
À mon retour, je constate que je vois avec bien plus de clarté tout ce qui se passe en ce moment pour moi, et choisir comment agir.
Dans la semaine qui a suivi, les conditions n’ont pas changé comme par magie.
Et pourtant plein de choses ont changé.
Par exemple, une personne s’est manifestée pour prendre le relais de ma référente qui est en arrêt maladie et faire un point avec moi tous les 15 jours. J’ai retrouvé de la motivation et de l’intérêt pour mon travail alors que j’envisageais de démissionner. J’ai accepté intérieurement certains éléments contre lesquels je me rebellais depuis des mois. Je me remets au travail, et je ne suis plus dans la lutte et l’effort permanent. Des idées d’articles fusent alors que mon cerveau était sec depuis des semaines.
Depuis mon retour, je veille à préserver des mini moments de rien AVANT d’en avoir besoin. Ne pas me précipiter sur mon téléphone ou autre pour remplir les vides. Remettre des interstices, des pauses dans ma journée. Boire un thé sans rien faire d’autre que sentir la tasse chaude entre mes mains. Me poser dans mon canapé et observer les pensées qui me traversent et le confort du matelas. Sortir faire un tour avec mes cinq sens en éveil pour recevoir ce qui m’entoure. Vider ma poubelle avant qu’elle ne soit pleine.
Ralentir. Respirer.
C’est toujours le tourbillon dans ma tête, j’ai toujours des grands huit émotionnels, je suis comme ça, je ne sais pas si ça changera un jour. Ce qui change au fil du temps, c’est ma capacité à moins me faire emporter par ce tourbillon et d’être capable de l’observer avec du recul.
Ces moments de rien, de vacance, de vide, sont essentiels pour ça. De façon préventive.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Anne-Claire Chêne.