Le voilà qui tarde à rentrer. Il y a comme un air de printemps dans ses cheveux bouclés.
Allongée sur son lit, la voici qui pianote sur son écran. Sa moue boudeuse retient un sourire idiot.
Vous devinez. Et voilà que vous menez l’enquête, sélectionnez les questions pour tenter de « savoir ». L’air de rien, bien entendu, pas question de passer pour le parent inquiet ou intrusif. À moins que vous ne lâchiez prise ? Mais que se passe-t-il dans la tête et dans le cœur d’un adolescent amoureux ?
Passer d’un corps d’enfant à un corps d’adulte.
Pour vous, il est encore jeune : des photos de lui en barboteuse courent sur le miroir de l’entrée. Pourtant depuis quelques mois, le timbre de sa voix est devenu plus grave, ses pieds s’étirent à vu d’œil, son odeur et sa pilosité changent, une acné tenace malmène sa peau de bébé.
Ces transformations marquent la fin de l’enfance et le début de la puberté. Signes de bonne santé, il n’en reste pas moins que de nombreux jeunes se sentent débordés par ce flot hormonal telle une vague déferlante.
« Ça pousse dans mon corps, des poils, des seins, des boutons, des érections, des kilos en trop ! » pourraient-ils s’exclamer.
Ce sont les premières règles, les premières éjaculations, l’âge de la transpiration, des rougissements incontrôlés.
Bienvenue dans l’adolescence !
Traversés par ces mouvements, certains jeunes ont l’impression de devenir étranger à eux-même. Tout se bouscule. Le corps, l’image de ce corps et plus profondément, leur identité. Je me souviens d’un matin où la réflexion de l’un de mes garçons m’avait interpellée :
« Maman, quand je me regarde dans le miroir, j’ai l’impression que mon visage a encore changé. Et si tu me mesures, je suis sûr d’avoir grandi cette nuit ! »
Ô combien cette petite phrase m’avait touchée… et combien, par ces mots, je saisissais ce qu’il interrogeait à travers son reflet :
« Qui suis-je ? Comment signifier ce que je suis, dire que j’ai de la valeur ? ».
À l’adolescence, le jeune se pose de bonnes questions.
L’enjeu est de les comprendre pour l’aider à trouver des réponses satisfaisantes qui pourront l’encourager à imaginer un horizon serein.
La contemplation de sa propre personne semble de ce fait inévitable, et c’est dans le regard des autres qu’il viendra puiser l’assurance de sa valeur. S’ensuit tout un processus narcissique : surinvestissement de son image, occupation de la salle de bain à outrance, maquillage, talons, tenue vestimentaire conforme ou originale, jeux de séduction entre pairs ou avec l’autre sexe, musculation ou régime, mise en perf’ avec les réseaux sociaux.
En jouant avec ces codes et les différentes facettes de sa personnalités, l’adolescent interroge sa place auprès de sa famille et de ses amis, mais aussi vis-à-vis de lui-même.
À la conquête de ce qu’il est.
Il est question de partir à la recherche de soi au gré d’allées et venues entre rapprochements et détachements de ceux qui l’entourent. Amour. Haine.
C’est le temps des amitiés fusionnelles et des ruptures qui font mal. Un équilibre fragile entre les deux, sans toujours tenir compte des limites, de ses limites, symboliques, corporelles, émotionnelles, familiales, amicales, secrètes. Grandeur de l’ado dans le dépassement de soi, vulnérabilité dans cette même requête aux sentiers parfois escarpés afin de jauger sa capacité à devenir homme ou femme.
En conséquence, quelle place trouver auprès de ses parents, entre le désir paradoxal de leur ressembler et celui de les quitter ? S’émanciper de la bulle familiale pour aimer « ailleurs », sans danger, devient l’une des réponses à ce processus : signifier que l’on grandit, que l’on voudrait grandir, parfois à corps – à cœur – et à cris.
Tomber amoureux.
Rien de plus sain, au final. Une aventure dans un entre-deux identitaire, plus tout à fait enfant ni vraiment adulte, marqué par le décalage entre le corps qui mûrit et la maturité affective plus longue à acquérir. L’adolescent tâtonne, flirte, éprouve, découvre l’autre comme différent, mystérieux, désirable et sexué.
Une découverte à pas comptés, entre le rêve et le vécu, du regard à la parole, de la parole au geste, du geste au baiser, du baiser au rapprochement des corps. Une découverte où chacun sonde son rythme pour se rassurer. Lentement, le temps de s’apprivoiser, ou très vite, trop vite, comme pour répondre au stress de devoir le faire.
Parvenir à une sexualité assumée et sans conflit, sera le résultat d’une mise en route balisée d’élan et de remise en question, de séparation et de réajustement, enfin de croissance, dont il est difficile de savoir si, un jour, il y aura une fin.
Une histoire de vie, en somme.
Mon ado est amoureux.
- Au risque de le perdre un peu et de l’écouter
- Au risque de le consoler et d’accueillir une déception
- Au risque d’éveiller des peurs légitimes du « Et si elle tombait enceinte ? Et si il allait trop vite ? Et si c’était trop tôt ? Où sont nos valeurs ? » et de devoir en parler.
- Au risque de se prendre à la figure leurs émois naïfs, narguant nos papillons dans le ventre (disparus?), nos histoires (cabossées?), nos rancœurs (conjugales?), nos amours adolescentes (ratées, ficelées,regrettées ? ).
Mais davantage, en tombant amoureux, mon ado risque la rencontre, me questionnant sur ma propre capacité à rencontrer l’autre.
Et ça, c’est pas banal.
Un déplacement qui pourrait alors m’encourager, MOI, à le rencontrer, LUI. Avant tout.
* Pour approfondir : Grandir en temps de crise, Philippe Jeammet