Je me souviens d’une période pas si lointaine finalement, où j’analysais le calendrier annuel en priant pour que le 1er et le 8 mai ne tombent surtout pas sur des dimanches. Ce serait dommage, quand même, de ne pas profiter d’un jour de semaine à la cool plutôt que d’aller me farcir 32 visages d’angelots mal léchés. J’étais prof et si je pouvais gagner 2 jours sans élèves, c’était toujours ça de pris.
Maintenant je suis maman.
Et si je peux gratter 2 jours sans enfants, c’est toujours ça de pris. Donc pour moi, mai et juin sont les mois les plus rock’n’roll de l’année.
Parce que voilà, entre temps j’ai eu la bonne idée de lancer mon entreprise, dans l’idée de “gérer mon temps comme je veux”. Ha. Ha. Ha. (Il y a des mompreneuses dans la salle ? Ouais, toutes celles qui rient jaune avec moi).
Les jours fériés quand on est entrepreneuse ET maman ? Je vous explique :
- T’as des enfants sympa mais qui savent pas s’occuper
- Tu voudrais bien en profiter, comme tout le monde, de cette journée « à la cool »
- Mais quand tu seras de retour demain matin, ton boulot se sera amassé dans ta boîte mail, un gros tas de dossiers plus haut qu’un énorme tas de linge sale… ce qui, rien qu’à y penser, génère une boule d’angoisse dans ta gorge
- Alors franchement, tu fais quoi toi le 1er mai, le 8 mai, le 30 mai, le 10 juin ? Tu bosses ou tu bosses pas ? Et tes enfants, t’en fais quoi ?
J’étais donc en train d’assister, dépitée, à la joute verbale qui se jouait à l’intérieur de moi-même (ouais, j’ai un dialogue super développé avec moi — je ne me fous jamais la paix)
“Profite”
“Et le taf, c’est qui qui le fait ?”
“Regarde comme il fait beau dehors”
“Mais POURQUOI c’est pas tombé un dimanche ?”
“De toute façon t’as pas le choix, si tu oses ouvrir ton ordi, tu SAIS de quoi tes enfants de 6 ans sont capables pour te ramener sur le droit chemin.”
Les fériés, c’est comme tout, ça dépend du point de vue.
- Soit tu les vois comme un avant-goût de grandes vacances (et si tu as des enfants, les mots “grandes” et “vacances” dans la même phrases génèrent peut-être en toi des sueurs froides)
- Soit tu les vois comme une punition, un repos forcé qui t’empêche d’accomplir tes tâches (et si tu es mompreneuse, tu connais la valeur d’une case cochée sur ta to-do-list… mais tu sais aussi qu’à peine cochée, tu en as 10 autres qui surgissent de nulle part)
- Soit tu les vois comme des opportunités de vivre ce truc tellement évident qu’on l’oublie si souvent : l’instant présent.
L’instant présent, qui est justement le grand absent de nos vies de mamans à mille à l’heure.
“Où que tu sois, sois-y complètement.”
“Oui mais moi je suis en manque ! En manque de temps. J’ai besoin de ma dose, et je suis prête à payer un grand prix pour l’avoir.”
Alors je me dépêche. Je prends le temps de vitesse. Le réveil. Et ça commence. Le slip et les chaussettes… et on se dépêche. Le sac et les chaussures… et plus vite que ça. Tout le monde dans la voiture… hop hop hop.
Ann Voskamp le dit mieux que moi :
“Je fonce, j’aboie, je leur tombe dessus ; et quand leurs grands yeux débordent de tristesse et qu’ils vont tomber de fatigue, je suis lessivée et c’est moi celle qui, toute pâle, reflète leur lassitude, prête à craquer, mes yeux mouillés de cette même souffrance absolue qu’ils endurent. Se dépêcher, ça nous fait du mal.” (Mille cadeaux, éd. Farel, 2012)
Plus je me débats dans le marécage de mon planning, plus je m’enfonce. En fait, ce n’est pas de plus de temps dont j’ai besoin. C’est d’assez de temps.
Les jours fériés me rappellent que je dois apprendre,
que je veux apprendre à ralentir ma course effrénée. M’arrếter, ici et maintenant. Je n’ai rien pu cocher sur ma to-do-list, mais je suis là, et c’est à moi seule de décider de racheter le temps. User de mes sens, et vivre.
La fabulosité se vit une petite minute après l’autre :
- regarder un enfant se brosser les dents ou une fourmi déplacer une miette de pain
- renifler le t-shirt trempé de la transpiration d’un adolescent
- caresser les doux cheveux bouclés d’une petite fille
- écouter leur respiration
- savourer un thé chaud
- partir à vélo
- oublier quel jour on est
- ne penser qu’à la pelouse
- et à ces milliers de pissenlits qui semble avoir surgi dans la nuit.
J’ai le droit de m’accorder des temps de jachère. J’ai le droit, j’ai le devoir, même, de dire non, de ne pas tout faire, tout le temps. De laisser de côté des choses urgentes, pour faire des choses importantes. De revêtir les lunettes de la gratitude et s’apercevoir qu’il est juste là, sous mes yeux : le temps de vivre un jour férié avec ceux qui me cassent les pieds le plus au monde… et que j’aime le plus au monde. Ceux pour qui, au fond, je me suis créée cette vie-là. Et puis le temps, aussi, de me remettre au boulot, en m’accordant le droit d’aimer ça.