“À taaaaaable ! Le repas est prêt !”
La phrase, lancée à haute et intelligible voix (restons polie), retentit dans l’escalier et sonne :
1/ La fin de ma seule plage de travail à peu près productive de la journée.
2/ Comme une démonstration de fierté masculine de la part de mon cher et tendre.
Il a assuré haut la main sa mission du matin :
faire travailler les enfants ET prévoir un repas chaud sur la table pour 12h30 pétantes.
Je descends l’escalier à pas feutrés, attirée par une délicieuse odeur que j’identifie comme celle des lardons et des oignons.
“Il aura encore vidé une brique de crème fraîche par-dessus, je parie”
Automatiquement, ma petite voix intérieure se sent investie de la mission du “manger sain”.
Depuis le début de ce confinement, force est de constater que la cuisine est devenue – encore plus que d’habitude – la pièce centrale de notre quotidien à quatre et que le four fonctionne à plein régime : gâteaux, brioches, biscuits…tout y passe, au grand bonheur de nos estomacs ! À raison de 5 oeufs par jour (merci à nos poules qui ont pris très au sérieux la pénurie actuelle dans les supermarchés), nous avons un rythme à tenir !
Et puis, soyons honnête :
Faire un gâteau ensemble est un bon moyen d’occuper mon plus petit pour une vingtaine de minutes. Il adore mettre la main à la pâte (enfin, surtout tremper son doigt dans la préparation en cours, lécher la cuiller en bois jusqu’à la rendre d’une propreté irréprochable et en mettre un peu partout ^^) . Quant à moi, oeuvrer aux fourneaux m’aide à canaliser les pensées qui tourbillonnent dans ma tête. Quand je prépare des financiers ou que je pétris du pain, je suis 100% consacrée à ma tâche. Je suis là, dans ma cuisine, et pas ailleurs. Et c’est déjà ça !
Quant à mon Fabuleux, il assure aussi sa part aux fourneaux et apprécie d’avoir plus de temps pour tester de nouvelles recettes. Mais si la nouveauté et l’originalité sont les deux piliers de sa cuisine, sa légèreté n’en est pas le troisième. Elle est même inconnue au bataillon. Sa cuisine est généreuse. Dans tous les sens du terme.
Mes papilles sont ravies…
… mon tour de taille, beaucoup moins. Alors que je me sens déjà serrée dans mes jeans d’hiver, je redoute le moment où je vais devoir tenter de rentrer le ventre pour fermer cette petite jupe d’été qui trépigne d’impatience dans la penderie. Quant à la plage cet été, je préfère ne pas y penser. D’abord parce que compte tenu de la situation sanitaire actuelle, personne ne sait vraiment si la plage fera partie des options envisageables au mois d’août. Ensuite, parce que la seule pensée de mon corps en bikini après tous ces litres de crème fraîche et ces plaquettes de beurre me fait frémir.
Alors que j’ai pris place à table, la simple vue du plat qui trône sur la table n’a rien pour calmer mes “angoisses minceur” liées à ce confinement : en effet, il y a bien des lardons, des oignons et de la crème fraîche. BEAUCOUP de crème fraîche.
“Tant pis, j’irai courir ce soir”, me dis-je d’emblée. Me voilà déjà en train d’élaborer des parades. Des parades pour essayer de contrôler quelque chose.
Contrôle, le mot est lâché.
Je veux essayer, envers et contre tout, de contrôler. De contrôler un peu ce qui est dans mon assiette, car il m’est évidemment impossible de contrôler quoi que ce soit dans cette épidémie et ses conséquences nombreuses sur mon quotidien.
Tout en tendant mon assiette, je lance à mon Fabuleux :
“Merci d’avoir préparé le repas mais…tu ne penses pas que tu aurais pu mettre un peu moins de crème ?”
Me voilà déjà en train de lui reprocher d’avoir mal fait.
Au fond, d’avoir fait différemment de moi. Autre tentative de contrôle. Contrôler (encore un peu plus ?) ce qu’il fait, dans l’espoir vain de calmer mes angoisses et à propos du lendemain, de la fin de confinement, mes doutes à propos de l’“après” dont quiconque est bien en peine d’en percevoir les contours.
Contrôler
Le diktat de la minceur et de la beauté, du contrôle de notre corps, s’immisce jusque dans nos quotidiens de confinés. Il s’additionne aux autres diktats qui sont légion, jusqu’à former une longue liste du contrôle spécial confinement : ne pas trop manger, faire du sport, cuisiner sainement, se cultiver, faire un grand ménage de printemps, construire une cabane en carton pour les enfants, organiser une chasse aux trésors…
Sur les réseaux sociaux, cette course au contrôle a pris la forme d’une course à la performance. C’est à celui ou celle qui réussira le mieux son confinement. Qui contrôlera le mieux son environnement. Et moi, évidemment, automatiquement, je tombe encore une fois dans le panneau et je veux courir cette course. Ou plutôt non, je pense que je dois la courir.
Et si on nous lâchait un peu la grappe ?
Note à moi-même : aller relire le dernier texte de Marie Chetrit (l’imprimer et l’afficher au-dessus de mon bureau/sur la porte du frigo/sur ma table de chevet).
Et si je ME lâchais un peu la grappe ?
Note à moi-même : faire du sport, oui, mais pour le plaisir que je vais en retirer, pas comme une énième contrainte.
Et si je LUI lâchais un peu la grappe ?
Note à moi-même : le remercier pour ses bons petits plats et accepter qu’il fasse différemment de moi plutôt que de vouloir contrôler à tout prix les ingrédients qu’il utilise, au risque de le décourager et de le voir délaisser la cuisine.
“Merci mon amour, c’est délicieux.”
Un peu moins de contrôle pour un peu plus de sérénité dans mon petit monde confiné.