Cette année Micheline Muche a de la chance, la Mère Noël l’a choisie pour tester de tous nouveaux cadeaux magiques fabriqués dans son atelier du Pôle Nord et destinés aux mamans.
Micheline commence un peu à se méfier des inventions de la mère Noël, maintenant,
mais elle trouve tout de même que le troisième cadeau tombe à pic : il s’agit, ni plus ni moins, d’une potion magique. Et comme toutes les mamans, en décembre, Micheline est fatiguée. Quand elle essaye d’écrire “décembre” sur son téléphone, celui-ci corrige automatiquement par “décombre” et elle trouve ça assez approprié. En effet, d’après le dico, les “décombres” sont les ruines de ce qui a existé dans sa plénitude, et des ruines, c’est à peu près ce qui reste de Micheline, de ses bonnes résolutions de la rentrée des classes et de sa motivation en général. La routine a accéléré son érosion. Les jours qui raccourcissent et le froid aussi, sans parler des microbes qui s’enchaînent et passent d’un enfant à l’autre dans une joyeuse sarabande et du stress des vacances de Noël qui approchent à très grands pas.
Bref, Micheline est au bout du rouleau, et pourtant elle a l’impression qu’il est assez long, son rouleau.
Alors elle est tout heureuse en découvrant son cadeau. Elle lit le mode d’emploi : “pas plus d’une gorgée toutes les 6 heures, et pas après 16h pour ne pas troubler le sommeil”. On dirait du Célestène ©, c’est parfait. Et hop ! Dans le gosier. La notice ne précise pas quel type de gorgée il faut prendre, alors dans le doute, Micheline en prend une grande lampée, parce que justement, aujourd’hui elle va avoir besoin de toutes ses forces :
elle a prévu de faire ses courses de cadeaux de Noël.
Ne vous méprenez pas, Micheline adoooore les cadeaux, les faire encore plus que les recevoir. Elle aime les choisir avec amour, les empaqueter avec soin, les disposer au pied du sapin pour un résultat enchanteur et hautement instagramable, elle aime lire la joie sur le visage de ceux à qui elle les offre. Mais… Mais Micheline a 3 enfants, plus un mari, plus 2 parents, plus 2 beaux-parents, plus une tripotée de beaux-frères et belles-sœurs, plus des filleuls, plus des copines qu’elle aime et qu’elle a envie de gâter, plus 3 maîtresses, plus des voisins trop gentils… moins un budget plutôt serré. Alors forcément, l’exercice devient compliqué, d’autant plus que cette année, Micheline reçoit sa famille pour Noël et qu’il va falloir gérer l’organisation des repas et des couchages…
Ce jour-là, donc, Micheline part en quête de cadeaux pour ses enfants et ses filleuls,
armée de toute sa bonne volonté, de pas mal de patience et de la potion magique qui fait des bulles dans son estomac. Elle trottine vaillamment d’un magasin à l’autre, les bras chargés de plus en plus de sacs, et malgré le choix de chaussures désastreux opéré ce matin (qui fait ses courses de Noël en bottines à talons hauts ? Micheline), elle ne se sent pas fatiguée en arrivant à sa voiture. Parfait ! Elle va pouvoir enchaîner avec les préparatifs des repas. Trois courses plus tard, elle est de retour chez elle et elle attaque les petits fours qu’elle va ensuite congeler pour ne pas avoir à passer tout le 25 en cuisine.
Il n’est que 14h, elle a le temps d’enchaîner avec la bûche.
Elle a trouvé une super recette sur Pinterest qui n’a pas l’air trop compliquée. Deux heures et une gorgée de potion plus tard, la bûche est presque finie. C’est l’heure d’aller chercher les enfants. Il faut cacher les paquets qu’elle n’a pas eu le temps d’emballer, elle en fourre un peu partout : dans des bacs de linge, des tiroirs de pulls, des boîtes de chaussure, sous l’évier, en haut des placards… On verra plus tard.
Le reste de la soirée se passe étrangement bien ; il reste à Micheline suffisamment de patience pour affronter les devoirs, les bains, le dîner… Oups, le dîner ? Heureusement, Micheline est en forme, alors ils font des crêpes qu’ils mangent dans le salon devant le sapin illuminé et c’est un beau moment en famille.
Quand les enfants dorment, Micheline refait des crêpes pour le petit dej du lendemain, puis elle brique sa cuisine de fond en comble, puis elle lance une machine (mais pas trop loin, hahaha), puis elle fait un peu de repassage, puis elle range sa chambre et puis à minuit Jean-Claude en a assez de ne pas arriver à dormir à cause de sa femme qui tournicote en tous sens, alors elle se couche.
Le lendemain, le réveil pique un peu mais “Hop, une gorgée de potion !” et ça repart.
Les enfants sont ravis d’avoir encore des crêpes et tout le monde quitte la maison de bonne humeur. Micheline commence par aller courir une petite heure sous le soleil givré, c’est beau et ça fait du bien de décrasser ses poumons, puis douche, puis elle prépare sa farce pour le chapon de Noël, puis une farandole de desserts pour le réveillon du 24, puis elle se met en tête de soigner sa déco. Elle fabrique de jolies lanternes en forme de petites maisons alsaciennes, puis elle court acheter des serviettes dorées pour aller avec sa nappe rouge, puis elle fabrique des portes-couteaux blancs et or avec de la pâte polymère, puis elle reprend une gorgée de potion. Elle aimerait bien s’asseoir un peu, mais son corps est parcouru de frissons électriques, alors elle se relève et essaye de faire ses paquets en suivant un tuto conseillé par sa sœur Albertine.
C’était censé être un tuto “hyper simple”, mais elle finit en larmes avec 3km de papier kraft froissé et du scotch dans les cheveux, alors elle fait un emballage classique comme d’habitude, sans plis supplémentaires, avec une jolie ficelle rustique et un brin de lavande.
C’est quand même vachement joli, Micheline est fière d’elle.
Il lui reste du temps avant la sortie de l’école et elle se sent en forme alors c’est parti : elle astique les vitres de la maison, fait le ménage du frigo, puis aspire l’intérieur de tous les tiroirs, elle lessive les plinthes (alors que d’habitude elle fait ça le 30 du mois.)
Ensuite, Micheline se sent fatiguée, mais il est 17h, il va falloir tenir le coup pour donner les bains etc. Elle avale une dernière rasade de potion et c’est là, mesdames et messieurs, que les Athéniens s’atteignirent, que les Perses se percèrent, que les Satrapes s’attrapèrent et que la Grèce fondit sur eux.
C’est donc là, dis-je, que tout est parti en bouille.
Le corps de Micheline n’a rien dit jusque-là, mais il a quand même été soumis à un rythme beaucoup plus soutenu que d’habitude ces derniers jours, sans le temps de repos qui lui est nécessaire pour fonctionner correctement. Alors le corps de Micheline tente d’envoyer des signaux clairs à sa propriétaire pour qu’enfin, elle se pose. D’abord l’irritation, classique, que Micheline balaie d’un revers de main : “Je ne suis pas de mauvaise humeur, ce sont mes enfants qui sont odieux et mon Fabuleux qui est un abruti” (que celle n’a jamais rejeté la faute sur les autres lui lance la première pierre), puis l’émotivité incontrôlable, mais Micheline n’a visiblement pas trouvé anormal de fondre en larme devant les pâtes trop cuites. Alors sont venus les tremblements qui n’ont pas facilité la suite du dîner : nouvelle crise de larmes devant la carafe qui a explosé au sol, puis hurlage sur Jean-Claude qui tentait de relativiser.
Ce ne sont pas des comportements tellement bizarres chez Micheline, mais quand Frédégonde ouvre un placard pour en sortir la serpillère et qu’une avalanche de cadeaux lui tombent dessus, pour la plus grande joie des petits, Micheline craque, et de la fumée bleue lui sort des oreilles.
Oui, de la fumée bleue. Si, c’est possible. Tout est possible, avec les potions de la Mère Noël.
Cette fois, la famille s’affole un peu. On entoure Micheline, on la cajole, on la câline, on l’éloigne des lieux du drame. La fumée bleue devient verte, alors on la félicite. Jean-Claude lui fait couler un bain avec des bougies dans lequel elle va sangloter en écoutant Adèle, puis ses enfants viennent la border en feuilletant avec elle les vieux albums photos de la famille.
Le lendemain, à son réveil, Jean-Claude pose sa journée et fait des crêpes (mais les enfants s’en sont lassés) et il ordonne à Micheline de se régaler tranquillement pendant qu’il les emmène à l’école. Puis il revient et propose à sa femme d’aller courir avec elle, mais doucement, comme ça, juste pour se vider la tête et se remplir les poumons.
Après cette parenthèse enchantée et transpirante ils s’attaquent ensemble aux listes de Noël
et Jean-Claude aide Micheline à revoir ses ambitions à la baisse : un cadeau par enfant ça suffit, on n’envoie pas de cadeaux aux absents cette année mais juste un joli mot gentil, pas obligé de faire 3 entrées pour chaque repas, et tout le monde cuisinera chacun son tour, la déco est très bien, on peut éventuellement décorer les fenêtres le soir avec les enfants etc..
Et Micheline respire enfin.
Finalement, elle n’avait pas besoin d’une potion magique, juste d’une liste de tâches réaliste, et d’une bonne sieste aussi. Parce que la sieste, c’est la vie.
Ps : si tu te sens flagada, ou hystérique, ou naze, ou nulle, n’attends pas que de la fumée bleue te sorte des oreilles pour en parler à quelqu’un ! (Et fais une sieste)