Micheline n’est pas particulièrement complotiste. Elle ne croit pas non plus vraiment au Karma, mais parfois, quand même, un léger doute l’étreint et elle se demande pourquoi l’univers lui en veut personnellement au point de transformer ses petites démarches du quotidien en épopées homériques. Ce fut le cas début octobre. Une belle journée ensoleillée qui vira à l’eau de boudin et que Micheline qualifie désormais de…
…“Journée de croisade contre l’imprimante démoniaque”.
Tout a pourtant bien commencé : Micheline s’est levée tôt, les enfants se sont réveillés de bonne humeur. Il faisait encore beau alors ils se sont habillés sans se plaindre de collants qui grattent ou de cols qui empêchent de respirer. Au petit déjeuner, l’ambiance se gâte quand Frédégonde affirme qu’il lui faut absolument pour le matin-même l’attestation d’assurance sinon elle ne pourra pas partir au cinéma avec sa classe. Dagobert renchérit en réclamant son dossier d’inscription pour le club de judo où il doit se rendre ce soir, et Gudule renverse son bol de céréales, ce qui n’a rien à voir mais n’en est pas moins contrariant.
Micheline regarde sa montre, il lui reste 20 minutes avant de déposer les enfants à l’école. On est large.
Étape 1 : mettre la main sur l’ordinateur et l’imprimante.
Parce qu’autant Micheline aime quand chaque chose est à sa place, autant son fabuleux Jean-Claude est adepte de ce qu’il appelle “le bordel organisé” ce qui veut dire pour sa femme une partie de cache-cache avec les objets qu’il “range”. L’ordi est sous le lit, ça c’est facile, mais mettre la main sur l’imprimante qui était dans le placard des draps lui prend plus de temps. Il lui reste 15 minutes.
Étape 2 : trouver l’attestation d’assurance.
Pour ce faire, remettre la main sur l’identifiant du site de l’assureur, puis chercher le mot de passe, cliquer sur “mot de passe oublié”, attendre le mail de réinitialisation, cliquer, recliquer, sélectionner les enfants concernés, télécharger les documents. C’est bon ! Plus que 10 minutes.
Étape 3 : impression.
Facile ! Hop, on clique sur imprimer, zut, plus d’encre couleur, hop, on clique sur imprimer en noir et blanc. Et hop les feuilles sortent, magique ! Sauf que, magie des enfants qui jouent avec les affaires des adultes, ce sont d’abord 10 coloriages de princesse qui sortent de l’imprimante. Plus de feuilles, hop on attrape vite fait une liasse dans la réserve, hop on reclique et rerererehop, les 3 feuilles sortent. Nouveau hic. Sur la liasse de feuilles de la réserve, Gudule s’est entraînée à dessiner des licornes unijambistes à paillettes, ce qui rend l’attestation nettement moins lisible (et moins sérieuse, aussi). Plus que 3 minutes. Micheline, reprend une liasse de papier, vierge cette fois, et l’enfonce rageusement dans la machine en criant aux enfants de se laver les dents, se débarbouiller, de mettre leurs chaussures et de se tenir prêts, on paaaaaart.
Dans sa rage, Micheline a visiblement heurté la sensibilité de l’imprimante, qui avale le papier de travers et s’étouffe avec.
Micheline tire d’un mouvement énergique sur le bout de feuille qui sort, la machine pousse un hoquet de surprise et décide en représailles de mâchouiller ce qui reste pour le recracher sous forme de confettis noirâtres. Plus que zéro minute. Bon, Micheline montrera la photo de l’assurance à la maîtresse et si ça ne lui va pas et bien tant pis, Frédégonde n’ira pas au cinéma, de toute façon c’est quoi cette manie de sortir les enfants de l’école tous les 4 matins, ils ne peuvent donc rien apprendre en classe, c’est ça ? De son temps, l’école ne servait pas à aller au cinéma, on travaillait, nous, on était pas là pour s’amuser…
Le trajet jusqu’à l’école se passe donc dans la bonne humeur, animé par les bougonnements de Micheline et ponctué par les jérémiades de sa fille.
De retour à la maison, notre courageuse héroïne se relance dans l’opération “impression”.
Elle nettoie l’imprimante, la cajole, retente le coup mais à nouveau, tout part de travers et les feuilles finissent broyées. Écoutant son intuition, Micheline décide de démonter la machine, pour voir si un bout de papier ne serait pas resté coincé. Son intuition s’avère juste, une victoire pour Micheline ! Il s’agit à présent de remonter le bazar, et c’est fou, note Micheline, comme défaire est plus facile que faire. Après une demi-heure d’efforts, elle se retrouve avec une imprimante apparemment remontée correctement, mais une espèce de rouleau demeure entre ses mains. Il doit sûrement servir à entraîner le papier dans la machine, mais impossible de retrouver comment le mettre à sa place. Micheline aime bien les défis, alors elle décide à nouveau de démanteler la chose pour la rebâtir correctement. C’est assez rigolo, si on aime les puzzles.
Deux heures et 4 tutos plus tard, il ne reste presque plus rien de l’imprimante d’origine.
La table de la cuisine est jonchée de pièces détachées, il y a de l’encre qui coule un peu partout et Micheline n’a pas beaucoup avancé dans son programme de la journée. Elle envoie une photo de son œuvre à Jean-Claude qui lui répond horrifié (mais pas surpris…) d’arrêter ses bêtises (il a utilisé un mot plus vulgaire), d’acheter une nouvelle imprimante et de l’attendre pour l’ouvrir.
Ce n’est pas une mauvaise idée, parce que, dans la liste des nombreuses qualités de Micheline, on ne trouve pas de don pour l’informatique ni l’électronique. En revanche, on trouve, et en bonne position, la ténacité. Certains l’ont même déjà qualifiée de bouledogue, parce qu’elle ne lâche jamais rien (ce qu’elle a pris pour un compliment). Pour autant, elle est d’accord pour laisser de côté le tas de plastique informe qu’est devenu feue sa vieille imprimante. Elle se rattrapera sur la nouvelle.
Et donc, elle est partie faire son plein de la semaine, en a profité pour acheter une imprimante flambant neuve, et même assez esthétique (oui, c’est important). Après avoir bien rangé son frigidaire et toutes ses victuailles, elle a posé l’imprimante dans le salon, dans sa belle boîte. Elle l’a regardée, a hésité un peu, et puis, son ascendant bouledogue ayant repris le dessus, elle a ouvert la boîte.
« Ça ne doit tout de même pas être si compliqué que ça bon sang, pourquoi ne serais-je pas capable de faire fonctionner une imprimante ? »
C’est là que le Karma, l’univers, ou le destin, interviennent, parce que c’est vrai que ce n’est pas si compliqué que ça, normalement…
Il faut d’abord ouvrir la boîte, c’est facile, sortir la machine, sans la faire tomber… premier échec.
Bon, y a même pas de bosse ! Maintenant il faut démarrer la chose et la configurer ce qui prend bien 45 minutes si on ne comprend rien, et c’est le cas de Micheline, qui a commencé par chercher le CD d’installation avant de comprendre qu’il n’y en a plus, de nos jours. Elle appelle son Fabuleux pour se plaindre : « M’enfin je ne suis pas si vieille pourtant, je me souviens des disquettes, ok, mais ce n’est pas compliqué de mettre un CD, c’est plus facile, quand même. »
« Micheline, mon amour, ne touche à rien, s’il te plaît, je regarde ça ce soir en rentrant. »
Mais Micheline est partie trop loin dans son idée pour l’entendre.
Elle télécharge des trucs, elle clique à droite, elle clique à gauche, elle entre des mots de passe dans tous les sens, elle change celui du wifi de la maison (pourquoi ? Mais elle n’en sait rien !) et puis l’imprimante s’allume. Que c’est beau, ces lumières, on dirait Noël !
Hop on retrouve les documents, hop on clique sur imprimer, hop rien ne se passe.
Micheline commence (légèrement) à perdre patience. QUI vend des imprimantes sans cartouche d’encre ? Hop on repart au supermarché, on achète un stock de cartouches noires et de couleurs, on rentre, on se rend compte que ce n’est pas la bonne référence APRÈS avoir essayé d’introduire le bleu cyan de force dans l’imprimante. On crie un peu de rage, on note la bonne référence de cartouches, on rerepart au supermarché, on réalise que la référence cherchée est en rupture, on pleure un peu. On se retient de gifler le vendeur qui demande d’un air goguenard : « Mais QUI achète des cartouches d’encre sans regarder la référence ? »
Micheline. Oui, Micheline fait ça, et pourtant ce n’est pas une truffe.
De retour dans sa voiture, Micheline reçoit un appel de sa copine Gertrude (qui, elle, est brillante en tout) et lui raconte ses mésaventures. Gertrude a le bon goût de ne pas rire, et lui propose d’imprimer tout son fatras pour elle. « C’est la plaie les imprimantes ma bibiche, ça ne fonctionne jamais quand on veut, au bureau c’est trop facile, je te file ça à la sortie de l’école. »
Problème réglé. Gertrude sauve les sorties scolaires de l’année, le judo de Dagobert et l’honneur de Micheline qui n’aura ainsi pas besoin d’avouer à Jean-Claude que, de toute manière, elle n’a pas trouvé où mettre le papier dans la nouvelle imprimante.