Sourire Ultra Bright, tête haute, poussette double, adorables têtes blondes…
Qui pouvait se douter de mon état ? Le monde entier ignorait que j’étais à bout de forces, à bout de nerfs, à bout de souffle. Sauf peut-être la voisine qui m’entendait crier à longueur de journée. Et mon mari qui assistait, désarmé, à la grimpée de cette insaisissable confusion. Je me sentais nulle, incapable, coupable. Dans mes efforts pour réprimer la « mauvaise mère » qui était en moi, je n’avais pas saisi l’essentiel : j’étais fatiguée, tout simplement.
L’imposture des « mauvaises mères »
Qu’est-ce qui m’avait empêchée de me l’avouer à moi-même ? Pourquoi avais-je trop honte d’être épuisée pour enfin le reconnaître ? Mon entourage ne comptait que des mères d’apparence parfaite. J’en faisais partie, jouant sur les réseaux sociaux, dans les supermarchés ou les aires de jeux à la mère de jumeaux qui assure à tous les niveaux. Je me suis rendue complice d’une imposture qui date de la nuit des temps, et qui laisse penser à chaque femme qu’elle est la seule « mauvaise mère ».
Combien de fois a-t-on demandé de mes nouvelles et combien de fois ai-je répondu avec un large sourire que tout allait bien, comme pour faire mentir les statistiques sur les jeunes parents en détresse, pour ensuite m’effondrer en larmes au volant de ma voiture ? C’est à la lecture du témoignage de Stéphanie Allenou (Mère épuisée,Marabout, 2012) que le tabou s’est brisé : je me mentais avant tout à moi-même. Je faisais tout pour garder en vie mon idéal de la mère parfaite.
Le grand désenchantement
J’étais en congé parental : avais-je seulement le droit de me sentir dépassée par les événements ? Penser que je pouvais aller mal, était-ce seulement une option ? Aidée par une culture de la perfection (génération contraception : « Cet enfant, tu l’as voulu, tu dois le réussir »), je m’étais construit l’image mentale d’une vie de famille qui irait de soi. Sauf qu’elle s’est avérée ressembler à un slalom gérant entre couches, biberons, nuits sans sommeil, crises de colère, pression financière et désir de rester amoureux malgré tout. Cette sensation désagréable de ne plus m’appartenir à moi-même ou, comme l’aurait dit mon mari, d’un grand désenchantement.
J’ai arrêté de me mentir
Jusqu’au jour où, perdue au milieu d’un tas de linge sale, yeux cernés, corps fatigué, vêtements dépareillés et enfants déchaînés, j’ai arrêté de me mentir. Oui, c’était dur pour moi d’être mère. Oui, la vie de famille avait un prix. Oui, j’avais le droit d’être imparfaite, et c’est justement dans cette bienveillance envers moi-même que j’allais pouvoir puiser la force de déléguer, d’oser demander de l’aide, de trouver du temps pour moi.
À l’heure où trop de femmes s’enfoncent dans la culpabilité et l’indifférence, je crois qu’il est temps que le burn-out maternel devienne une priorité de santé publique. Et que des hommes aient enfin le courage de parler de burn-out paternel. Et, en attendant que la société reconnaisse qu’ils sont fatigués, je souhaite aux parents épuisés d’avoir assez de bienveillance envers eux-mêmes pour commencer par l’admettre.