Il aura fallu plusieurs séances pour qu’elle s’autorise à questionner ce qu’elle vivait : quand elle faisait l’amour, elle n’avait pas d’orgasme. Elle avait du plaisir, beaucoup de plaisir, mais sans atteindre le seuil d’excitation où le corps « lâche ». Un constat vécu comme un échec incompréhensible au regard de ses attentes personnelles, une déception qu’elle n’osait partager qu’à demi-mot avec son conjoint. Elle craignait de passer pour « la fille frigide ». Elle en avait honte.
Elle avait peur de le blesser, lui, en cherchant à le guider, en lui renvoyant qu’il ne savait pas s’y prendre. Elle se trouvait ridicule, incompétente. Une contrariété amère et culpabilisante accentuée par les injonctions médiatiques et pornographiques :
« Il faut jouir, vite, fort et bien. »
Pourquoi n’y parvenait-elle pas ?
C’est oublier que le trouble de l’orgasme représente l’une des plaintes les plus fréquentes de la sexualité féminine (25 % à 31 % des femmes en souffrent) et qu’il ne suffit pas de chatouiller le clitoris comme on appuierait sur un bouton pour enclencher la machine.
Ne l’oublie pas : la sexualité est le résultat d’une approche globale de la personne. Nous sommes ainsi doté(e)s ou encombré(e)s de bien des choses, (notre chemin personnel, nos représentations, nos croyances, notre couple …) qu’il s’agit de revisiter quand la souffrance, la douleur ou la déception s’immiscent dans nos parties de jambes en l’air.
D’ailleurs, qu’est-ce que l’orgasme ?
L’orgasme est le point culminant du plaisir. Les femmes savent le reconnaître aux contractions musculaires réflexes qu’il provoque, sous forme de spasmes au niveau du périnée, des muscles abdominaux ou vers le fond du vagin. Le cœur bat un peu plus fort, un peu plus vite, et certaines femmes se sentent envahies d’une vague de chaleur puissante et agréable. Une fois le feu d’artifice passé, la tension redescend pour laisser place à la détente.
Je ne reviendrai pas sur les notions d’orgasmes clitoridiens ou vaginaux (souvent discutés), mais plutôt sur la notion de plaisir et de ce qui en empêche l’épanouissement jusqu’à son apogée.
Pour avoir un orgasme, il faut « lâcher prise ».
« Impossible ou ma vie part en débandade ! » me lance une cliente avec une pointe d’ironie. Je comprends : mère de famille nombreuse, sa vie est réglée comme du papier à musique. Pour en contenir les variations et imprévus, elle s’efforce d’anticiper sur les multiples tâches qui la mobilisent, tout en rabâchant quelques principes éducatifs dans le creux de ses jeunes oreilles.
Tout cela sans compter sur les canons de beauté qui lui rappellent, au hasard d’un miroir, qu’elle devrait rentrer un peu le ventre et serrer davantage les fesses, pour garder un poil de glamour dans ce capharnaüm familial. Alors « lâcher », une fois crevée au lit ? Oui : ça la fait rire.
Chère Fabuleuse,
ce n’est pas immédiatement dans ton quotidien que je t’invite à « lâcher » dans un premier temps. Ce que je te propose, c’est de « lâcher » par rapport aux représentations que nous avons d’une sexualité épanouie, souvent confondue avec excitation maximale, induite par la pornographie ou par les multiples articles vantant les techniques pour obtenir un orgasme plus fort, plus long ou simultané.
Or, ta sexualité n’est pas celle des magazines : elle regorge de trésors beaucoup plus intéressants. Prends un peu de hauteur et cesse de vouloir, malgré toi, coller à cette uniformisation de la sexualité. Deviens ton propre paysage, celui de ta personnalité, de ton corps, de tes fantasmes, partagés, entremêlés au paysage de ton bien-aimé.
Certes, l’orgasme est agréable et gratifiant pour la personne et pour le couple. Néanmoins, le premier pas à faire pour amorcer un processus de cheminement, est justement d’arrêter de l’envisager comme un but en soi, de culpabiliser ou d’avoir honte de ne pas en avoir.
Ce qui nous amène à explorer la notion de plaisir : quelles en sont tes représentations ? Force ? Débordement ? Futile ? Dégradant ? Passionnant ? Extase ?
Une femme me racontait comment le plaisir était perçu dans sa famille au quotidien. « En prendre » ne servait à rien et détournait les personnes de leurs obligations. Pour être appréciée, une femme devait travailler, être dans l’action, ne pas trop se regarder, s’écouter ou se plaindre. Le plaisir de chanter, de prendre son temps, de s’habiller, d’être coquette, de « papoter », était jugé comme superflu. Il fallait donc assumer, contenir, se taire, et surtout ne pas ressembler à « ses fillasses aux ongles vernis qui cherchaient à plaire, sans aucune moral ». Le tableau est rude. Pour ma cliente, la déduction était faite : prendre du plaisir, au travers de petites choses quotidiennes, comme au travers de la joie d’être femme, c’était risquer la réputation de sa vertu !
Tous les témoignages ne sont pas aussi catégoriques. Celui-ci a le mérite d’illustrer ce qui se joue de façon plus nuancée chez de nombreuses femmes : le plaisir, la féminité, la jouissance, la sexualité, peuvent ne pas être reçus de façon positive. Ainsi, des loyautés familiales aux représentations contemporaines de la sexualité, en passant par les demandes du conjoint et les accrocs de famille, voici un cocktail parfait pour ne pas « lâcher » et recevoir librement le plaisir éprouvé.
Mais avoir un orgasme, c’est aussi partir à l’aventure.
« Je ne suis plus tout à fait moi même quand je jouis », m’explique une femme. Le plaisir provoque une dépression soudaine. Il est parfois comparé à « la petite mort » et cela peut être vécu comme quelque chose d’impressionnant, voire de dangereux :
« Si je ne suis plus moi, qui suis-je ? Que va dire mon mari si je poussais un cri ? J’ai l’impression que je vais mourir ! »
Une autre cliente évoque « la peur de la puissance de son plaisir ». Si elle lui laissait libre cours, n’en serait-elle pas débordée ? Tandis que celle-ci décrit « l’instinct animal » qui l’envahit quand elle fait l’amour ; instinct retenu, de peur de paraître agressive… et que son conjoint en soit tout étonné.
Parce qu’elle renvoie à la puissance, à notre part animale et vulnérable, à la vie et à la mort, mais aussi aux jeux de pouvoirs au sein du couple, la sexualité a besoin de confiance et de balises pour exprimer sa vitalité. De la même façon que l’on ne part pas à l’aventure sans aucun repère, on ne peut pas « se lâcher » sans aucune confiance et sans bien se connaître. Confiance en soi, confiance en l’autre. Connaissance de mon corps, connaissance du corps de l’autre. Amour et bienveillance.
Chère Fabuleuse,
Je t’invite à vivre un moment de joie sensuelle avec l’homme que tu aimes, à profiter de cette étreinte pour te concentrer sur ce que tu ressens, sur ce que tu aimes, écouter ce qui t’effraie.
Comme une exploratrice, pars à la rencontre des sensations corporelles, des émotions, des pensées qui te traversent. Observe-les, interroge-les, puis laisse les passer. Sois ouverte, patiente, persévérante. L’objectif n’est pas tant la pénétration et l’orgasme que la découverte de ce que tu vis, son appropriation, son acceptation. Sois attentive aux signes de ton excitation sexuelle, aux signes de ton désir, à la puissance de ton plaisir. N’hésite pas à bouger ton bassin pour y sentir ce qui s’y passe. Et arrête de te juger : tu ne passes pas ton bac. Sois authentique avec toi-même et surtout, surtout, n’hésite pas à en parler avec l’homme que tu aimes. (Tu pourrais lui lire ce texte !)
Avant de te laisser, je te lance un petit défi : si tu devais comparer ta sexualité à un animal, ou lui choisir un nom de totem, quel serait-il ? Et pourquoi ?