Quand le cadeau des beaux-parents s’enfuit, qu’un bébé de plus s’annonce, que les cultures familiales se télescopent et que le deuil vient brouiller les pistes, Noël n’est pas de tout repos, surtout quand il se fête dans les belles-familles. Nos quatre sœurs y survivront-elles ?
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Épisode 1 : Le cadeau fugueur
Quatre paquets enrubannés sous le bras gauche, les clés de voiture coincées entre les dents, Sophie tendit le bras pour rabattre le coffre de sa C8. Dans la poche de son manteau, les notifications WhatsApp n’arrêtaient pas de faire tinter son téléphone. La frénésie du 24 décembre la prenait chaque année par surprise, pourtant elle s’évertuait à anticiper, mais rien à faire. Les années où ses sœurs et elles fêtaient Noël dans « les belles familles » étaient l’occasion de messages drôles et pathétiques lancés sur le groupe qu’elles avaient baptisé « Fab’Sisters ».
Dans la maison silencieuse régnait un calme suspect.
Et Sophie se figea sur le seuil avant de se rappeler que les enfants l’attendaient avec leur père chez Belle-Mam’ et Beau-Pap’. Elle avait devant elle deux heures pour terminer de marquer les cadeaux au feutre argenté, monter la bûche qu’on lui réclamait à cor et à cri et s’occuper du cadeau commun pour ses beaux-parents.
Dans le salon impeccable, le sapin que ses deux petits avaient décoré avec un goût très sûr diffusait une odeur d’épicéa qui sentait bon la magie de Noël. Bien sûr elle avait veillé à l’approvisionnement en santons, papier crèche, cache pot, boules diverses,
le minimum syndical du Noël parfait.
Elle adorait Noël, elle adorait veiller aux détails, et elle finissait chaque année sur les rotules en se jurant de moins prendre tous et tout en charge.
« Rrrrrouflaquettes ! »
Elle sursauta, redressa dans le salon sa longue silhouette sportive et agita son balayage californien pour identifier la source de l’étonnante interjection.
« Rrrrrrouflaquettes »
Le souvenir du grand ara jaune et bleu qui logeait dans la cuisine depuis deux jours lui fournit une explication. Sophie sourit et s’approcha de la cage qui contenait à grand peine un perroquet bicolore à l’œil sagace.
« Hello gros oiseau. Laisse-moi cuisiner, dans deux heures je t’emmène dans ta nouvelle maison. »
Après un coup d’éponge salutaire, Sophie sortit du réfrigérateur la crème au beurre pour la faire ramollir et s’employa à monter les blancs en neige pour confectionner la génoise de sa bûche.
Le téléphone sonna au moment où elle en avait plein les doigts.
« Mari chéri » attendait patiemment qu’elle s’essuie les mains sur un torchon immaculé pour pouvoir décrocher.
« Oui ?
– Je te dérange ?
– Jamais. Les enfants ça va ?
– À fond. Dis-moi, Jeff vient de me dire que pour que l’oiseau se tienne tranquille dans son paquet cadeau, il faudrait qu’il se dépense un peu, avant. Tu crois que tu peux le sortir tant que tu es à la maison ? »
Sophie leva les yeux au ciel.
Elle adorait son beau-frère mais puisqu’il savait si bien s’y prendre avec les perroquets géants, il aurait peut-être pu se charger d’aller l’acheter lui-même dans un élevage à soixante-quinze kilomètres de chez lui une avant-veille de Noël. Bon, pour être parfaitement honnête, elle avait été ravie de se porter volontaire pour s’occuper de ce cadeau hors normes même s’il avait fallu déployer des trésors d’ingéniosité pour caler l’aller-retour dans son planning.
« Je ne suis pas certaine d’être assez à l’aise pour cuisiner avec l’oiseau sur l’épaule, mais je vais le laisser gambader dans la cuisine. Ne vous plaignez pas si la bûche a un petit goût de fiente.
– T’es la meilleure. J’ai hâte de voir la tête des parents quand ils vont découvrir leur adorable locataire. Tu as toujours des idées incroyables.
– Ce sont tes parents qui en parlent depuis des mois, l’idée était toute trouvée. Il est quand même imposant, si je le sors j’espère qu’il voudra bien se laisser attraper pour rentrer dans sa cage, sinon je ne sais pas comment je vais l’apporter.
– Il est doux comme un agneau, je l’ai promené toute la journée hier il a eu un succès fou en visioconf. Tu vas très bien t’en sortir.
– Si tu le dis… »
Ravi de sortir de sa cage, l’ara voleta d’un coin à l’autre de la cuisine
dans un gracieux mouvement bleu et jaune, semant quelques plumes. Il se déplaçait vraiment aisément, n’aurait-il pas fallu raccourcir les rémiges de l’aile gauche ? Le vendeur n’avait rien précisé…
Toute à sa génoise, Sophie oublia peu à peu l’oiseau qui se calma progressivement jusqu’à demeurer immobile, perché sur le réfrigérateur. Pendant que le biscuit cuisait, elle eut le temps de se donner un coup de peigne, d’enfiler une robe correcte et de se poudrer le nez. À 18h30, elle tira du four son biscuit et ouvrit la porte de la cuisine pour déposer le plat sur la table du jardin. Une génoise chaude ferait fondre la crème au beurre, ce n’était pas le but. Un très fin grésil tombait du ciel bas et Sophie étendit le torchon qui lui servait de manique pour protéger le gâteau.
Ce fut le moment que choisit le précieux ara pour déployer ses ailes asymétriques et s’engouffrer dans l’ouverture.
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