Les conseils pour se reconnecter à soi, à son corps et à ses émotions viennent bien souvent puiser dans les pratiques créatives.
Un coup de stress ? Mandalas à colorier. Un coup de blues ? Karaoké sauvage dans ta cuisine. Une bouffée d’émotions en vrac ? Carnet à noircir de phrases rageuses qui remettent de l’ordre dans ton esprit. Pensées victimaires ? Carnet de gratitude à remplir. Un coup de colère ? Danse rythmico-punk sur la table du salon.
Tu veux aller mieux ? Peins, chante, danse, tricote, écris, couds, fais des puzzles, du jardinage, du crochet, de la trompette. Ce gisement de solutions a de quoi émerveiller. Il nous pose aussi une vraie question en miroir :
qu’arrive-t-il lorsqu’on cesse de peindre, chanter, danser, tricoter, écrire ?
Chère Fabuleuse, après bientôt deux ans à lire les articles que tu nous envoies, les mails que tu nous écris, les témoignages que tu postes en commentaire, les articles de presse qui donnent la parole à des femmes publiques, j’ai acquis une certitude : il existe un lien entre la créativité et le burn-out maternel. Un jour, peut-être, une étude sérieuse sur le sujet sortira-t-elle ?
Les personnes créatives n’ont pas nécessairement conscience de l’importance de leur pratique créative dans leur équilibre.
Avant d’avoir des enfants, nous disposons de notre temps d’une manière bien plus souple qu’après, et le temps que nous consacrons à l’écriture ou à la musique n’est alors jamais vu comme du temps « volé » au détriment de quelqu’un d’autre. Lorsque l’enfant arrive, le temps se réaménage, parfois assez violemment, autour des besoins de l’enfant. De mon côté, j’ai toujours chanté et écrit pour mettre de l’ordre dans mon bazar intérieur. À l’arrivée de notre premier bébé, j’ai continué à chanter, mais j’ai laissé l’écriture de côté. Étant préoccupée en très grande partie par le bien-être de mon enfant et celui de mon Fabuleux, je n’étais plus traversée par d’épineuses questions existentialo-déprimiques et le besoin d’écrire s’était estompé. Puis, lorsque notre troisième bébé est arrivé, nous avons déménagé et j’ai dit adieu au chant. Plus le temps, plus l’énergie, un tas de trucs triviaux à gérer toute la journée… Bien sûr, on peut ajouter bien d’autres facteurs à ce qui est arrivé ensuite (l’isolement, la fatigue d’avoir enchaîné trois grossesses en trois ans, l’angoisse d’avoir un mari qui montait sa boîte, etc.), mais…
… je suis persuadée que l’arrêt du chant a une large responsabilité dans le burn-out qui m’a terrassée à ce moment-là.
Chère Fabuleuse, prends ta créativité au sérieux.
Chéris-la et fais-lui toujours une place, même si tu as un enfant qui te demande énormément (surtout si tu as un enfant qui te demande énormément). Tu vas devoir défendre cet espace là contre le regard des gens, contre la tyrannie de ta to-do list, contre l’opinion des maîtresses, contre la moue de ta maman, contre le persiflage de tes collègues, mais surtout contre toi-même. Tu n’imagines pas l’importance que ta pratique créative a pour ton équilibre. Je suis persuadée que les mères qui ont « la fibre artistique » sont les proies rêvées du burn-out, parce que pour « gagner du temps » et faire entrer dans leur journée de maman tout ce qu’elles veulent y faire entrer, la première chose sur laquelle elles font une croix, c’est leur pratique créative. Quelle importance peut bien revêtir une heure de cours de dessin, une heure derrière ton chevalet, une heure à ton piano, une heure à écrire, une heure à chanter, alors que les bodies sales s’entassent, que la crèche te réclame ton dossier de réinscription mis à jour, que tu n’as pas envoyé à l’infirmière scolaire la copie du carnet de vaccination et qu’il n’y a rien dans le frigo ?
Considérer que pratiquer la photo ou la danse est une activité futile (dans la mesure où tu n’en vis pas) est chose facile.
Bien sûr que peindre n’est plus ta priorité, depuis que tu es responsable d’une petite vie entièrement dépendante de ton attention. Évidemment que tes pinceaux peuvent sécher, mais que ton enfant ne peut pas sauter un biberon. Sans aucun doute. Et pourtant, fais-moi confiance : peindre est aussi nécessaire à la maman créative que manger équilibré l’est à toute personne humaine. Les dégâts de ne plus jamais manger de légumes ne se font pas sentir immédiatement, pourtant ils sont réels (dois-je te faire un dessin ?). Pour la pratique créative, c’est la même chose.
Créer est l’expression d’une pulsion de vie. Étouffer cette pulsion, c’est se couper d’un élan dont tu as besoin.
Je n’ai rien contre le fait que les pratiques créatives soient systématiquement proposées comme des solutions curatives face à la dépression et au burn-out. Mais, nom d’une cacahuète, autant éviter d’en arriver là ! Non, tu ne seras pas égoïste de consacrer du temps et de l’argent à ton « dada ». Question de survie. Oui, peut-être qu’autour de toi, certains ne comprendront pas que tu préfères t’enfermer dans ton atelier pour coudre un sac à langer plutôt que de récupérer ton enfant une heure plus tôt à la crèche. Question de survie.
Ne lâche pas ça, c’est dans cette heure arrachée au quotidien que tu puises l’énergie de gérer tout le reste. Comme dit notre dessinatrice Fleur-Lise : « je ne suis jamais aussi efficace pour gérer la paperasse qu’après une heure passée à dessiner pour moi ». Tout le monde est gagnant dans cette histoire !