Les liens du sang, épisode 1 : Faux départ - Fabuleuses Au Foyer
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Les liens du sang, épisode 1 : Faux départ

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Agathe Portail 24 juillet 2022
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Lorsque Sébastien annonce à sa femme qu’il doit aider sa soeur à vendanger dans la propriété familiale, les vacances d’été volent en éclats. Céline ravale sa déception et décide de tirer parti de l’imprévu ; après tout, les enfants se plairont certainement au Clos d’Arban.

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Les liens du sang, épisode 1 : Faux départ

– Louise ? Louise, où sont toutes tes chaussures ? demande Céline, un grand sac de voyage ouvert à ses pieds.

Quelques heures avant le grand départ en vacances, la maison est encore sens dessus dessous.

En temps normal, cela n’a pas d’impact sur l’humeur égale de Céline. Les bagages pour deux semaines de vacances ? Sur le papier, elle sait s’en sortir sans heurts, c’est une flegmatique, mais l’année écoulée a sapé ses ressources et elle se sent beaucoup moins sereine pour aborder ce dernier coup de collier avant le repos bien mérité. S’adapter en permanence à des règles qui changent tous les dix jours ne fait pas partie de ses compétences, elle n’a rien d’agile, ce nouveau mot à la mode que chacun invoque pour excuser la désorganisation totale qui a suivi l’enchaînement de confinements-déconfinements. Elle est épuisée et pourrait jouer de la guitare sur ses nerfs.

Dans le salon, Louise est absorbée par le jeu de rôles auquel elle se consacre jours et nuits depuis qu’elle a vu Polly : elle est un cheval en cavale et elle s’applique à sauter de meuble en meuble. Elle n’entend pas sa mère, impossible, elle est au beau milieu d’une course-poursuite et elle hennit en agitant sa chevelure emmêlée, à quatre pattes sur le canapé.

– LOUISE ! Chérie, j’ai besoin de mettre tes chaussures dans le sac avant que papa ne charge la voiture. L’étagère est vide, où sont-elles ?

Coupée dans son élan, Louise jette à sa mère un regard noir, puis elle se redresse à regret.

– Je les ai rangées. 

– D’accord, mais où ? 

La bouche plissée de Louise est de mauvais augure.

Elle ne se rappelle pas. Elle s’est appliquée à mettre de l’ordre dans sa chambre lorsque sa mère le lui a demandé. À sa manière. C’est-à-dire qu’elle a tout caché en vrac dans les endroits qui ferment ou camouflent efficacement. Les vêtements sales dans la cuisinière en bois, les legos sous le lit, les coloriages glissés derrière le radiateur, les feutres sans bouchon dans le tiroir à culottes, mais les chaussures… Elle ne sait plus. 

Céline s’accroupit devant sa fille en étouffant un soupir.

– Mais pourquoi tu ne les as pas laissées sur l’étagère à chaussures ?

La lèvre de Louise tremble.

– Parce que ça faisait pas joli, ça faisait pas rangé.

C’est sûr que maintenant que l’étagère est vide, ça “fait rangé”. Il ne reste plus à Céline qu’à découvrir la cachette que Louise a trouvée pour ses sandales, bottines, baskets, chaussons et autres.

La tête coiffée d’un bob Ricard, Sébastien apparaît à la porte de la cuisine qui donne sur leur petit jardin toulousain. 

– Ça va chérie ? Je peux charger ? 

– Pas encore, répond Céline, il me manque les chaussures de Louise, les cahiers de vacances, les caleçons de Gaspard qui sont au sèche-linge et je n’ai pas encore vidé le frigo. Tu peux le faire ? Tu prends le sac à congélation qui est sous l’évier et tu mets tout ce que tu peux dedans…

D’un pouce levé, Sébastien marque son accord et acquiesce :

– OK. Où est Gaspard ?

– Il lit, assis sur sa valise. Il est prêt depuis 8 heures ce matin. 

Ce garçon est un repos pour l’âme, sourit Sébastien avant de faire un pas vers la cuisine, puis de se tourner de nouveau vers sa femme, le front plissé. Tu m’as demandé quoi, déjà ?

Deux heures plus tard, la poubelle est sur le trottoir, le lave-linge ainsi que le lave-vaisselle sont vides, la voiture pleine comme un œuf et Céline sent qu’elle peut être fière d’avoir gardé son calme du début à la fin de l’opération “départ en vacances”. Petite victoire à célébrer, elle pioche un arlequin dans le paquet qu’elle a préparé pour la route. Les chaussures de Louise ont été retrouvées dans le panier à linge sale et tout est pour le mieux.

Avant le départ, elle s’accorde trois minutes dans le canapé,

les pieds sur la table basse tandis que les enfants remplissent leur gourde pour la route. Elle se réjouit profondément de ces deux semaines de vacances au frais, en Bretagne Nord. 

Elle a la tête bourdonnante de l’année qui vient de s’écouler.

Avec Sébastien, ils étaient d’accord pour bosser chacun à leur épanouissement personnel en 2022, elle en reprenant les études en vue du doctorat, lui en courant trois ultra-trails dans l’année. Un pari audacieux et épuisant. Tant d’élèves à hisser jusqu’au bac, tant de soirées penchée sur sa thèse Émergence du cynisme dans l’écriture auto-fictionnelle entre le XX et le XXIème siècle et tant de week-ends à tenir seule la barre pendant que son mari engloutissait les kilomètres. C’est dur d’être deux à se faire passer en premier en même temps.

Elle aspire à la fraîcheur de l’air breton, au sable à peine tiède, aux vagues revigorantes et au beurre salé.

Sébastien a lui aussi travaillé comme un fou jusqu’à la dernière seconde, puisque l’agence qui l’emploie a pris du retard sur la livraison de la nouvelle identité graphique de la Cité du Vin, un travail pharaonique qui a coûté à son mari de la sueur et des angoisses liées à son rapport complexe au monde du vin. Vieux traumatisme, vieux syndrome du déserteur jamais réglé, puisqu’il a laissé à sa sœur aînée la charge de reprendre le domaine hérité de leurs parents. Marion s’en sort pourtant à merveille, avec l’aide efficace de Jean, son compagnon, qu’elle a rencontré sur les bancs de l’Ecole supérieure d’agriculture. C’est fou d’avoir fui jusqu’à Toulouse pour se voir attribuer un projet ultra bordelais. 

Les yeux mi-clos, Céline se concentre sur sa respiration profonde en essayant de ne pas se laisser embarquer dans la liste de tout ce qu’elle est susceptible d’avoir oublié en fermant la maison. De très loin, le bruit du coffre de leur C8 qui se referme résonne dans l’air brûlant de l’Avenue de Fronton désertée par les toulousains depuis début juillet. 

Elle se sent prête à affronter le soleil de plomb qui va marteler la carrosserie jusqu’au passage de la Loire, prête à masser le cou de Sébastien qui a épousé une femme sans permis de conduire, prête à fournir à Louise un flot continu d’idées pour s’occuper pendant la route, à canaliser Sébastien qui va regonfler les pneus de toute l’aire d’autoroute si elle ne l’arrête pas… Elle gère, parce qu’elle va se tremper dans les eaux limpides de la Manche. 

Au son que fait le pas de Sébastien lorsqu’il entre dans le salon…

…elle sait que quelque chose ne va pas.

Elle ouvre lentement l’œil droit, et elle le voit, tout emprunté et, pour une fois, immobile, ses boucles brunes aplaties par le bob de plage qu’il vient de retirer, et son téléphone à la main.

– Mon cœur… Je suis désolé… la Bretagne, c’est foutu.

À suivre ! Découvrir tous les épisodes.



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

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