Au courrier du jour, deux contraventions. Pas une : deux ! Je les survole rapidement, m’exclame :
« Eh bien, bravo Christoph ! »
Je souris un peu : j’ai décidé dès le début de notre mariage de ne pas m’énerver à cause des contraventions. J’avais prévenu mon mari :
« Si tu dépenses 20-30 euros en quelques secondes à cause d’une prune, j’en ferai autant et je m’achèterai des livres pour la même somme. »
Mais cette fois-là, tout en examinant attentivement les deux contraventions, mon fabuleux lève les yeux et me répond :
« Mais attends, attends, MOI, je ne me suis pas garé dans la rue Martin Luther alors qu’elle était interdite à la circulation ! Cette lettre est pour toi, ma petite femme ! »
Zut alors, moi qui me réjouissais déjà de m’offrir quelques bouquins supplémentaires…
Eh oui, parfois, nous recevons des messages qui ne nous sont pas adressés.
Un jour, j’ai ouvert une lettre plutôt confidentielle sans regarder le destinataire, pour réaliser une seconde trop tard que le facteur s’était trompé d’un numéro… Autant vous dire que je ne faisais pas la fière en déposant la lettre chez la voisine :
« Bonjour Madame, pardon mais j’ai ouvert votre lettre des impôts par inadvertance… »
J’ai donc appris qu’il vaut mieux bien regarder à qui est adressée une lettre avant de l’ouvrir, avant de prendre connaissance de son contenu, d’en tirer des conclusions personnelles…
Combien de fois lisons-nous des lettres qui ne nous sont pas directement adressées ?
Ces conflits, ces remarques, ces réactions que les autres ont envers nous mais qui, au fond, n’ont presque rien à voir avec la situation présente, presque rien à voir avec nous.
Ces moments où, nourri d’une frustration qui n’a fait qu’augmenter durant sa journée, notre conjoint répond sèchement à une demande pourtant anodine.
Notre ado qui monte dans sa chambre en nous regardant à peine, et qui, au premier mot de notre part lâche un « Laisse-moi tranquille », parce qu’en lui tout bouge, se transforme, parce qu’il se sent un peu perdu entre l’enfance et l’âge adulte.
Ou la crise de colère du petit dernier au milieu des rayons du supermarché, simplement due à la lumière artificielle, à la foule bruyante et au marketing qui sur-stimule ses envies…
Alors oui, on les reçoit, ces lettres : comme des colis piégés qui nous pètent à la figure sans crier gare… Et oui, on peut se demander :
« Mais qu’est-ce que j’ai dit, qu’est-ce que j’ai fait cette fois ? Tout est encore de ma faute ! ».
Mais ne me faites pas dire ce que je ne vous écris pas : non, je ne justifie pas ces réactions de la part des gens qui nous entourent. Non, la frustration et la colère, la fatigue et l’angoisse, le stress et le manque de temps ne sont JAMAIS des raisons suffisantes pour traiter notre entourage comme de la merde.
Oups, après avoir tapé ces quelques phrases, je pourrais m’enterrer dans un trou de souris : par pitié, ne dites pas à mon mari que cet article vient de moi, il pourrait l’utiliser sans scrupule la prochaine fois que je serai invivable !
En revanche, je vous encourage à réfléchir à la question du destinataire.
- Que s’est-il passé ?
- D’où vient cette immense colère qui se déverse dans notre maison ?
- Est-ce qu’elle m’est vraiment adressée ?
- Quel est le contexte ?
Cela nous permet de ne pas entrer dans une « guerre froide » de couple. Regarder la situation d’un autre angle nous permet aussi de freiner l’escalade soudaine de certains conflits. Faire trois pas en arrière, comme pour mieux observer un tableau de Picasso par exemple.
- De quoi mon ado a-t-il besoin, là, tout de suite ?
- Qu’est-ce que je lis entre les lignes ?
- Comment puis-je lui exprimer de la compréhension ?
Et puis faire deux pas vers soi-même, s’écouter, ancrer nos pieds dans le sol. Et trouver un terrain pour faire un pas vers l’autre. Trouver ce qui, dans mon histoire personnelle, me permettrait de comprendre ce qui le trouble. Ça, c’est tout simplement de l’empathie : s’asseoir dans le noir avec la personne et lui dire :
« Ouh, comme il fait sombre ici ! »
Oui, certaines lettres ne nous sont pas adressées et la meilleure manière de les gérer est de lever les yeux du contenu, du papier, de regarder l’interlocuteur, et de répondre calmement :
« Désolé, ce numéro n’est pas attribué »
Lorsque ma fille m’a dit pour la première fois « Tu es une méchante maman », je savais qu’elle ne pensait pas la moitié de ce qu’elle disait, elle était juste fâchée parce que j’avais dit non. Pas besoin de me mettre à pleurer, de me sentir blessée dans mon amour propre. Je me rappelais les conseils avisés d’une amie pédagogue :
« C’est toi l’adulte, et nos enfants ont besoin d’adultes qui ne se laissent pas ébranler par leurs remarques et émotions d’enfants ».
C’était moi l’adulte, et je savais que ma fille avait besoin d’un adulte qui sache entendre cette lettre mal adressée, mal écrite. « Tu es fâchée parce que j’ai dit non, je sais ». (Bon, d’accord, j’avoue, je l’ai envoyée réfléchir dans sa chambre en lui disant : « Tu n’as aucune idée de ce qu’est une méchante maman »… Oups !).
Nos enfants ont besoin que nous ayons les pieds bien ancrés dans le sol, ils ont besoin de savoir que leur maman peut supporter une tempête de leur part sans s’effondrer. Je vous l’assure, aussi petits qu’ils soient, aussi mignons qu’ils soient, ils savent le trouver, notre “bouton rouge”… celui qui nous fait passer de Caroline Ingalls (la maman jolie et douce de La petite maison dans la prairie) à la pieuvre Ursula (la méchante dans Ariel la petite sirène).
Apprenons à faire trois pas en arrière, deux pas vers soi et puis un pas vers l’autre.
Tant de réactions autour de nous peuvent nous donner l’impression qu’on se plante, qu’on rate tout, qu’on n’a pas bien élevé nos ados… Mais elles ne devraient ni nous déraciner de nous-mêmes, ni nous fissurer le cœur. Parce que oui, il y a des parents super aimants, qui ont assez bien éduqué leurs enfants mais dont ceux-ci font de grosses conneries.
On ne peut pas expliquer la vie de façon simple et mathématique, trouver le coupable et le blâmer pour tout et son contraire. Tant de choses dans nos vies sont complexes, des événements passés influencent encore nos routes, nos réponses, nos colères, nos peurs.
Je voudrais t’encourager à « regarder sur l’enveloppe », à respirer profondément, à en oublier le contenu pour regarder le contexte.
- Le conflit n’aurait-il pas d’autres sources que celles que je prends en considération ?
- Comment puis-je mettre des limites claires à mon entourage ?
- Comment m’aimer assez pour ne pas permettre aux gens de me faire payer leurs propres contraventions ?
Et si j’osais faire confiance à mes tripes, les écouter quand elles me parlent, suivre mon intuition, sortir les cailloux de mes souliers quand ils me dérangent ?
C’est ce que je nous souhaite :
Ouvrir les yeux un peu plus grand, reculer de quelques pas, vérifier qui est le vrai destinataire et respirer profondément.