« Maman, dis, c’est vraiment bizarre ton maquillage, pourquoi est-ce que tu t’es dessiné de grosses traces brunes sous tes yeux ? »
Bam ! Je ne l’avais pas vu arriver celle-là.
C’est ma deuxième choupinette qui vient de me poser LA QUESTION. Je réponds « mais je ne suis pas maquillée », me regarde furtivement dans le miroir et MERDE, je comprends.
Rire ou pleurer, j’hésite un instant… un long instant. J’opte pour les explications neutres.
« Emma, ce n’est pas du maquillage, ça s’appelle des cernes, ça montre quand une maman est très très fatiguée. »
Je n’ose plus regarder dans le miroir, je sais ce qu’il me dira… la vérité : « Rebecca, t’as beau être dans la mi-trentaine, on te mettrait d’office en retraite anticipée si on voyait la version non-coiffée, en pyjama dépareillé et les yeux encore à moitié fermés que tu livres au saut du lit ! »
Par contre, ce que mon miroir ne sait pas, c’est qu’au-delà du reflet de la fatigue immense, il y a le quotidien d’une maman.
Et qui plus est d’une maman qui depuis des jours veille sur son enfant malade. Ah les bronchiolites occlusives, un monstre qui s’attache avec beaucoup de fidélité dans les poumons de ma cocotte dès qu’une nouvelle dent pousse. Quand elle ne tousse pas encore, c’est dangereux, à tout moment elle pourrait vraiment manquer d’oxygène et zou, on serait parti pour l’hosto.
Quand elle tousse, c’est beaucoup mieux, mais pour dormir c’est tout sauf évident. Finir la nuit assise dans ton lit, ton enfant assis-couché sur toi pour que la toux lui donne du répit. Passer la journée à compter les gouttes, tenir un aérosol devant la bouche de ton enfant en mettant le volume de la télé assez fort pour que le bruit du moteur soit couvert.
Faire boire ton petit bout qui n’est pas de bonne humeur, prendre la température, lire des livres l’œil hagard, consommer trop de café, garder à l’œil la pile de linge sale (bientôt ton mari aura besoin de slips propres), espérer que ta plus grande fille reste en forme et jongler… jongler dans un monde qui semble tourner à l’envers.
Le manque de sommeil a toujours été et reste toujours un moyen de torture. À un certain niveau, c’est comme être un peu saoul tout le temps.
Alors ben oui, j’ai des cernes, grosses, brunes, et quand je vais à la plaine de jeux je reconnais mon reflet dans les yeux tout aussi fatigués des autres mamans. Ouf, je ne suis pas seule ! Et quand je vais à l’église, je mets une robe un peu décolletée : le temps que les gens réfléchissent au fait que je ne porte jamais de robe, ils ont oublié de me dire « oh tu as l’air fatiguée Rebecca ». Et puis, quand c’est comme ça, je mets en pratique les règles de base du Koh-Lanta des mamans :
– la seule priorité de ma journée est la survie de ma tribu (moi, mon mari et mes enfants, surtout éviter les envies de meurtre et les passages à l’acte impulsifs);
– prendre au maximum 3 heures à la fois. À un moment, la journée sera finie, surtout ne pas penser à demain, ta force ne doit suffire que pour aujourd’hui ;
– me confier à quelqu’un qui comprend, qui m’écoute réciter les lamentations et qui n’essaye surtout pas de résoudre mes problèmes, juste quelqu’un qui me tient la tête quand je vomis ma frustration, mes inquiétudes, mes doutes, mes désespoirs de maman cernée et à bout de nerf. Parfois, ce qui aide, c’est un coup de fil, ou encore un message sur facebook que la communauté accueille en envoyant des « courage, bisous », des licornes multicolores et des chatons volants… », et bien souvent, peu importe l’heure, ce sont des prières, comme de grands soupires, les SOS d’une maman en détresse…
– …
J’ai des cernes et j’ai l’air fatiguée ? Ben oui, mais le miroir ne me mentira pas ! Pas cette fois, je lui réponds bien haut et fort « et alors, t’as jamais vu une fabuleuse en action ou quoi ? »