Ça y est, on est sur le quai de la gare.
Un voyage de quatre heures nous attend, mes enfants et moi.
Cela fait des semaines que je prépare ce trajet, anticipant chacune de nos affaires en les sélectionnant selon des critères très rigoureux : pratique – léger – silencieux – non salissant.
Chacun tire sa petite valise, « Reine de Neiges » pour ma fille, « Livre de la Jungle » pour mon fils : l’une contient notre pique-nique, l’autre est la valise d’occupation contenant livre de coloriages, feutres, voitures, doudous… et jeux.
Le train arrive, je serre mon mari très fort dans mes bras, redoutant ce voyage en parent solitaire. On grimpe la marche, on trouve nos places, on salue papa par la fenêtre… et c’est parti.
“Les enfants, chuuut, on parle doucement dans le train…
Il y a des personnes qui aimeraient se reposer. » Je regarde ma montre et commence alors à compter les heures, les minutes qui me restent jusqu’à notre arrivée. Élisa, 2 ans, ne sait pas vraiment ce que « chuchoter » signifie. Devant l’ultime arme silencieuse du dessin animé, elle jubile bruyamment en voyant Trotro choisir son paquet de bonbon préféré.
Ces petits cris, qui dans notre maison paraissent tellement anodins, font l’effet d’une alarme dans ce wagon au calme effrayant.
Je sens la pression monter petit à petit, épuisée de devoir changer d’activité toutes les dix minutes pour que ma fille reste à peu près calme. La voilà qui grimpe sur son siège et qui regarde par-dessus…notre voisin de derrière n’a pas l’air de trouver ça drôle. Pas du tout. Et merde.
Au final, elle part se promener et traverse le wagon. Je guette les réactions des autres passagers et ne perçois pas trop d’entrain. Zut, j’ai à faire à des passagers peu enclins à être convaincus par le sourire charmant et pétillant de ma fille…
Je sens que ce voyage va être long. Très long.
Au millième « Chuuut Elisa, on chuchote ! », je commence à perdre patience… et décide de partir en balade avec les deux: solution “défoulage de survie“. On traverse l’intégralité du TGV dans les deux sens, et c’est la course au premier qui arrivera à la porte de chaque wagon pour actionner son ouverture.
Une fois revenus à nos places, mon voisin ouvre sa bouche.
« Bon, j’espère que vous allez les tenir un peu mieux, maintenant ! C’est pas possible, vous vous rendez compte du boucan qu’ils font, vos enfants ?
– Euh, monsieur, je ne vous permets…
– Mes parents m’auraient déjà filé une raclée depuis longtemps ! Vous croyez qu’en chuchotant, ils vont comprendre ? Allez dans le couloir et filez-leur une raclée, qu’ils comprennent !
– Comment faites-vous pour arriver à faire sortir des paroles aussi méchantes de votre bouche ? »
Rien à faire, mon cher voisin continue de m’insulter.
Je tremble de tout mon corps, je ne sais plus quoi dire, choquée par tant de violence verbale. Et dans le wagon, personne ne prend la parole, personne pour me défendre. Pourtant, tous ont entendu ses paroles lancées avec si peu de tact : à croire que tous les passagers rejoignent son avis !
J’ai toutes les peines du monde à me remettre de cette engueulade publique. Je serre mes enfants dans les bras et, prise d’un élan de tendresse envers eux, je leur martèle que le monsieur ne sait pas ce qu’il dit, que je les aime très fort et qu’ils sont supers. Bizarrement, j’ai encore moins de complexes qu’avant lorsque la voix de ma fille dépasse le nombre de décibels supportés par mes oreilles.
Je suis au bord des larmes.
« Nous arrivons en gare de Strasbourg, terminal de ce train. Nous espérons que vous avez passé un agréable voyage. »
Agréable, ouais, c’est le mot.
Je reste assise, laissant sortir tous les passagers avant de me lever, encore trop fragile sur mes jambes. Je garde la tête basse, n’osant même pas regarder les autres voyageurs dans les yeux.
Pourtant, combien de fois cela m’est arrivé – quand je voyageais seule – d’être assise à côté de quelqu’un qui me dérange avec sa musique hyper forte dans ses oreilles ? D’être assise à côté d’un groupe de collègues qui se marrent à n’en plus finir, sans aucune gêne ? D’une dame qui parle au téléphone à haute et intelligible voix ? Ces gens-là assumaient pleinement leur gêne.
Mes enfants ne sont pas une gêne, ils vivent leur vie, c’est tout.
Je n’ai jamais compris pourquoi la SNCF ne s’arrange pas pour mettre toutes les familles dans le même wagon. Ça ne doit pas être si compliqué, non ? Dans un coin de ma tête, je rêve d’un wagon de train résonnant de rires d’enfants jouant ensemble. Un jour, peut-être ?
C’est alors qu’une phrase me sort de ce flot intarissable de pensées négatives.
« Madame, vos enfants ont été adorables. »
Je lève la tête. Une femme me regarde droit dans les yeux. Cette parole me va droit au cœur. Elle fait un geste avec sa main signifiant qu’il y a vraiment des idiots sur terre. Les larmes me viennent d’un coup, je parviens tout juste à lui répondre :
« Merci, merci de me dire ça, vous me faites beaucoup de bien. »
Mon héroïne du jour.
Je sors du train la tête haute, comme revigorée par les propos de cette inconnue. Des mots qui agissent comme un baume et qui, d’un coup, chassent au loin le venin des insultes. Me voilà prête pour les vacances.