« Je n’ai plus de désir ». C’est avec ces mots pour intituler son mail qu’elle avait pris contact avec moi. Plus tard, au fur et à mesure, je l’ai écoutée se raconter. Un mari sympa, deux enfants en bas âge, son engagement dans une association, ces vergetures contrariantes, sa résistance à se poser 10 minutes pour prendre un peu de temps pour elle, une chambre à détapisser puis à repeindre, la contraception qui lui donnait mal à la tête …
Une histoire de vie remplie.
« De quoi je me plains ? me dit-elle, j’ai tout, mais il me manque une chose : je n’ai pas de désir sexuel. J’ai pu en avoir, mais je n’en ai plus. C’est devenu l’épine de notre couple, mon mari ne comprend pas. Le sujet n’est pas encore brûlant, mais pourrait le devenir. »
Comme de nombreuses femmes, elle me parle d’un couple, le sien, où il y a de l’amour mais où l’on ne fait plus « assez » l’amour. Les demandes de son mari l’agacent ou la stressent, donnant à ce dernier l’impression d’être « celui qui harcèle », « l’indélicat de service », « l’obsédé sexuel », « le petit garçon frustré ».
Chacun de son côté compte les jours, parfois les semaines, où il ne se passe rien. Elle sait qu’elle doit faire un effort pour ne pas créer de tension, donner un « oui » pour éponger les « non » des sollicitations précédentes. Dire « oui », également, pour se rassurer elle-même, se prouver qu’il lui reste un soupçon de désir. Alors, un soir, ils feront l’amour et s’endormiront apaisés de se sentir encore aimés. Mais au fond, chacun sera insatisfait du manque de complicité ou de spontanéité. La délicatesse amoureuse est là, mais le geste retenu, le scénario écourté.
Pas à pas, la frustration se glisse sous l’oreiller.
Souvent, ces femmes se sentent responsables de ne pas combler sexuellement l’homme qu’elles aiment. Une responsabilité qu’elles endossent de façon prégnante au travers les remises en questions dont ces derniers leurs font part, mis à mal par les retrouvailles amoureuses de plus en plus rares : « Pourquoi ne veux tu pas faire l’amour, est-ce que je le fais mal ? ».
Des mots dessinant le contour d’une appréhension plus acerbe que nous pourrions entendre comme : « Ton envie de faire l’amour avec moi me certifie que je suis un homme, que tu me demandes ou que tu acceptes de te donner du plaisir, affirme ma virilité, révèle mon sexe et me régénère ». Un questionnement gardé secret pour ne pas blesser l’autre et dont la réponse effraie. Chacun s’enfonce dans une culpabilité encore plus profonde. L’atmosphère devient lourde. Au loin, l’orage gronde : « Qu’est ce que j’ai pu faire ou ne pas faire ? Que devrais-je dire ou ne pas dire ? »
La confiance en soi et en l’autre en prend un coup.
« C’est bizarre, renchérit-elle, parce qu’au début, je désirais faire l’amour. » Elle se souvient avec nostalgie de l’impatience de son corps, de sa vitalité érotique. Comment se fait-il que son désir ce soit érodé à ce point ? Est-ce le lot de toutes relations amoureuses stables, ancrées dans la croyance sécurisante de l’engagement et de l’exclusivité sexuelle, dans la volonté de construire ensemble une famille, une maison, un projet, une histoire ?
Les arguments que les femmes avancent pour expliquer ce qu’elles vivent sont multiples : la fatigue, les enfants, les méthodes naturelles ou la contraception, les rancœurs. « Faire l’amour le soir quand je suis naze est le cadet de mes soucis ! » ou « Ce n’est jamais le bon moment : j’ai envie quand on ne peut pas, et je n’ai plus envie quand on peut ! » Certaines reconnaissent être mal à l’aise avec leur corps ou celui de leur compagnon, avec le sexe de façon plus générale, quand d’autres se décrivent « carrément coincées » !
Pourtant, leur point commun est le suivant : depuis de nombreux mois, elles analysent ce manque de désir sexuel. Elles commencent à lire sur le sujet, se renseignent. Elles se demandent comment font les autres. Sont-elles normales ? Au fond, elles en souffrent, ce qui les pousse à se mettre en mouvement.
Chacune se montre assez motivée pour mener l’enquête.
L’argument conjugal est souvent avancé comme une esquive pudique de leur propre désir : « Je voudrais avoir plus de désir pour vivre une sexualité épanouie en couple ». Soit. Mais le plus important est de vérifier leur impulsion personnelle, et bien souvent cette impulsion est là, encore un peu timide. Or, interroger son propre désir n’a rien de narcissique ou d’égoïste, et le faire dans un premier temps pour soi est tout à fait louable.
En effet, partir à la découverte du désir féminin, c’est vouloir explorer les recoins de sa féminité, mieux se connaître, appréhender son corps autrement, vivre une sexualité joyeuse et plus fréquente, être heureuse de tout cela. D’une certaine façon, c’est sortir de sa zone de confort avec la conviction que l’on pourrait trouver en soi des pépites de réponses, tout en reconnaissant avoir la frousse de revisiter tout ça.
C’est ainsi que, quelques soient leurs motivations, ces femmes sont d’abord courageuses. En acceptant de questionner leur absence de désir, elles ont déjà fait une partie du chemin. Elles se sont mises à l’écoute de ce désir initial : celui de comprendre. Désirer « désirer » est un premier tour de clé dans le processus. Ce mouvement est important à repérer ET à féliciter : il en provoquera bien d’autres !
Souvent, ces femmes viennent seules. C’est qu’au delà du factuel « je n’ai plus de désir », elles devinent l’envergure de la démarche. Questionner son désir, c’est explorer son intimité profonde, le cœur de notre cœur. C’est interroger son rapport à la vie et surtout, à la sexualité.
C’est reconnaître que cette dernière puisse soulever la problématique de la relation à soi et à l’autre, à travers le prisme de notre corps, de notre histoire, de notre mémoire, de notre dimension pulsionnelle, spirituelle, psychologique, morale et fantasmatique. Interroger son désir, c’est partir à la recherche de ce qui nous rend femme, dépoussiérer les fondations avec délicatesse, chercher à rire de nos paradoxes et de nos ambivalences, oser dénouer les loyautés familiales qui nous enferment.
Bref, c’est mettre à l’intérieur de notre corps, de notre cœur et de notre tête l’écriteau : « En chantier ».
Et souvent, ça déménage !
Car ces femmes ne sont pas du tout en manque de désir. En revanche, elles ont besoin de lever le voile afin d’en comprendre les rouages. Elles ont besoin de se poser pour apprendre à écouter sa petite voix perdue au milieu de la vie domestique. Elles ont surtout besoin de mettre en sourdine les désirs qui les embrouillent : celui de leur mère, de leur enfant, de leur compagnon, de leur patron, de leur collègue … ?
« Qu’on me donne l’envie ! L’envie d’avoir envie, Qu’on allume ma vie ! », chantait Johnny Hallyday. Si vous avez l’impression que votre désir sexuel s’est fait la malle, je vous invite à vous poser 10 minutes pour y réfléchir. Laissez monter en vous la petite musique de votre propre refrain :
Oseriez-vous l’« envie d’avoir envie » ?
On en reparle dans des prochaines chroniques !