Lorsque je suis devenue maman, j’ai complètement revu ma définition du luxe. Avant d’avoir des enfants, le luxe pour moi, c’était ma carte Gaumont illimitée, la possibilité de voyager ou de m’offrir un brunch chez Ladurée.
Le luxe était une question de moyens (et d’agios).
Deux enfants plus tard, je n’ai ni le temps ni l’énergie de rogner sur mon temps de sommeil pour aller au cinéma, je prends conscience qu’un brunch Ladurée coûte l’équivalent de mon plein de courses hebdomadaire, et que je n’ai aucune envie de m’imposer un voyage avec deux petits garçons qui se traînent sur le sol et mâchouillent les chewing-gums trouvés sous les tablettes du TGV.
Est-ce que le luxe a disparu de ma vie ?
Que nenni ! Il a simplement changé de forme. À l’instant où je me glisse dans une voiture bourrée à craquer de sacs, de couches, de pique-nique pour la route, de doudous, le manteaux-bottes-coloriages, de boîtes de lait en poudre et de lits parapluie, l’évidence me frappe : le luxe, c’est l’espace. Un espace respirable, sans Lego sur le sol, sans habits en boule, sans rien à ranger.
Dix minutes plus tard, alors que nous venons d’entrer sur l’autoroute, mes deux garçons s’arrachent le coloriage en hurlant, mon Fabuleux pousse le son de la radio, les jouets musicaux crachotent une musique à bout de souffle et une autre évidence me frappe : le luxe, c’est le silence.
C’est même uniquement le silence,
parce que dans le silence, il y a l’espace… mental. Les neurones s’aèrent, on n’a qu’à fermer les yeux pour repousser les murs, s’imaginer sur une plage déserte, au sommet d’une montagne. Le niveau d’exaspération baisse doucement, les tensions dans le cou se relâchent et on deviendrait presque capable de marcher sur un Lego pieds nus en gardant le sourire.
As-tu déjà fait l’expérience d’un silence de qualité, chère Fabuleuse ?
Es-tu à l’aise avec l’absence de bruit ? Je ne te parle pas de ce silence angoissant qui met tes antennes en alerte — mais qu’est-ce qu’ils fabriquent ? —, mais d’un silence qui te dit : ça va, tu peux relâcher ton attention. Ma BFF et moi sommes très différentes sur le sujet. Pour elle, le silence, c’est l’angoisse. Chaque matin, quand nous étions en coloc, elle allumait la radio au réveil. Coucou, Bob Sinclar ! Moi qui aime la solitude, le vide et l’absence de bruit, j’étais ravie. Pour elle, le bruit, c’était la vie. Il faudrait que je lui demande où elle en est, maintenant qu’elle a trois enfants et que la vie déborde de partout dans son appartement, surtout maintenant qu’elle a traversé un petit confinement des familles.
Est-ce que tu crois que si tu mettais tout en mode silencieux, ton espace mental s’assainirait ?
Plus de musique dans la salle de bain, plus de podcasts en épluchant les légumes, plus de conversations à table. Sur le papier, je comprends que ça ne fasse pas rêver et même, que tu craignes que le bruit de tes propres pensées prenne une importance démesurée. Pour avoir vécu à trois reprises une semaine entière sans parler, je peux t’assurer que le silence a une vertu auto-nettoyante et qu’il finit par faire cesser la petite musique que tu as dans la tête.
Étape 1 : tu as envie de rire nerveusement. C’est ridicule, non, de se retrouver à plusieurs sans papoter, sans se dire bonjour, sans se dire « passe-moi le sel » ? L’homme est un être de relation, oui ou non ? Alors quelle bizarrerie de t’imposer le silence, comme ça, c’est contre nature, non ?
Étape 2 : tes pensées parasites se déploient, ça papote dans ta tête et tu commences même à te poser des questions que tu ne t’étais jamais posées. Est-ce qu’il faut couper l’extrémité des carottes avant, ou après les avoir épluchées ? C’est la panique dans ton cerveau : que d’espace, que d’espace ! Cette étape dure très très… peu de temps.
Étape 3 : le calme t’envahit, lentement. Bientôt, tu découvres en toi le silence serein de la neige qui tombe. Une forme de paix intérieure. Tes pensées parasites ont rejoint leur grotte, et le travail discret du silence fait le tri, sans que tu aies besoin de contrôler quoi que ce soit. Il défait les nœuds.
Étape 4 : tu es bien. Tu te connectes avec ceux qui partagent ton silence sans avoir besoin de dire quoi que ce soit. Côte à côte face à un même paysage, quel besoin de faire du remplissage en disant « c’est beau » ? Vous le voyez bien, tous les deux. Tu découvres que sans parler, tu te sens des affinités avec certains. Tu te sens plus vaste, intérieurement, plus disponible, et plus comblée.
Étape 5 : comment revenir dans un monde qui parle ? Petit moment d’angoisse. Puis quelque chose émerge, tout doucement. Une certitude. Tu viens de créer un nouvel espace en toi. Un pays vierge qui sera ton lieu de repli en cas de surcharge. Ça va bien se passer.
Étape 6 : tu as hâte de retrouver les tiens. Oui, tu vas être un peu secouée, mais tu reviens au bruit avec un ancrage profond. Tu ne seras plus ballottée comme une planche de surf dans les vagues, tu es lestée de la richesse de ce temps de silence. Et tu te sens reconnaissante de savoir que le silence est devenu pour toi une ressource fiable.
Bien sûr, chère Fabuleuse, ces trois fois une semaine de retraite en silence, je les ai vécus il y a… une quinzaine d’années.
Avant d’avoir des enfants, quoi.
Mais ces six étapes restent valables que tu vives une semaine de silence ou… une minute. Une vraie minute de silence de qualité, seule ou à plusieurs. Peut-être que tu ne me croiras pas si je te dis que cette minute peut modifier ta journée. Et pourtant, si je t’enfermais dans une voiture avec quatre enfants s’arrachant des feutres et des shokobons, radio à fond, tandis qu’une sirène de pompiers te vrille les oreilles et que la voiture derrière toi klaxonne en continu, tu penses vraiment que ça ne ferait aucune différence dans ta journée ?
Même si tu n’y passes qu’une minute ?
Aujourd’hui, tu peux t’offrir ce luxe : une minute de silence par jour, un espace mental infini, un ancrage et une disponibilité intérieure nouvelle. Tu veux essayer ?