« J’ai pas de désir. Ou plutôt, j’en ai, mais j’ai du mal à m’y mettre. Je suis peut-être un peu flemmarde ? Pourtant j’adore mon mari, et quand nous faisons l’amour, je suis à chaque fois heureuse et comblée . »
Ma cliente rit.
Elle est joyeuse, mais l’évolution incompréhensible de son désir la déstabilise. Je lui demande alors de me décrire ce qu’est pour elle le désir sexuel.
« C’est une vague, me dit-elle. Je la sens m’envahir comme une ondulation chaleureuse. Je la sens déborder. À ce moment je ne veux qu’une seule chose : être dans les bras de celui que j’aime. »
Je lui demande si, dans la réalité, elle a déjà vécu ce genre de scénario délicieux.
« Oui, me répond-elle. Quand nous n’avions pas d’enfants, pas de contrainte, aucun déficit en heure de sommeil. Nous faisions l’amour quand ça nous prenait ; que c’était bon ! » Son mari la regarde avec nostalgie et approuve : « On ne se posait pas de questions. D’une certaine façon, nous n’avions que ça à faire : cueillir le désir quand il était là pour nous en régaler. »
Cette représentation du désir comme un jaillissement spontané est commune chez de nombreuses personnes. Souvent avérée lors de la rencontre amoureuse, elle est également l’héritage des intrigues romantiques littéraires ou cinématographiques, et véhicule l’idée que le désir déclencherait l’excitation sexuelle sans aucune difficulté.
Faire l’amour serait si facile : il suffirait d’un élan du corps et de cœur !
Or, dans la vraie vie, l’expression du désir peut se faire de façon bien différente.
Revenons à ma cliente. Je lui demande ce qu’il en est de son désir, aujourd’hui. Elle me répond que l’envie de faire l’amour est présente. Se blottir dans les bras de son homme est une expérience sensorielle et affective qui la nourrit. Mais la vague a disparu. Son désir est à l’image d’une flamme vacillante, tapie au creux de son ventre fatigué, nouée par de multiples petites voix internes qui s’activent dès que son mari commence à la caresser :
« Si tu fais l’amour ce soir, demain tu seras décalquée. »
« Oh non, j’ai la flemme. »
« Faire l’amour : une chose de plus sur la to do list ! »
« T’es nulle et t’es moche. »
Dès lors, elle appréhende.
Faire l’amour lui demande de se battre contre ces voix. Elle se demande si le désir sera au rendez-vous, si la chaleur de son corps s’éveillera avant qu’elle ne s’endorme. Elle s’imagine être la seule femme à rencontrer ce genre de difficultés. Elle a envie d’avoir envie, là n’est pas la question, mais ce temps qui la relie à cet espace secret où se loge la force de son élan sexuel lui semble souvent infranchissable.
Elle le décrit comme un couloir sombre qu’elle se doit de traverser pour sentir enfin quelques frissons émerger et son sexe répondre. C’est à partir de ce moment seulement qu’elle apprécie la complicité érotique, accueille l’énergie sexuelle qui s’en dégage et se plonge définitivement dans les yeux et les bras de son bien aimé. Oui, à ce moment, le désir est bien présent ! Finalement, ils feront l’amour et le feront bien. De ces parenthèses voluptueuses à chaque fois différentes, ils garderont de bons souvenirs, régénérant leur amour réciproque, à la fois charnel et profond.
Cette façon de vivre le désir n’est pas une exception.
S’il est courant de penser que le désir est le signal exclusif de ce qui pourrait mener à la relation sexuelle, il n’en est pas pour autant incontestable. De nombreuses femmes ne parviennent à leur désir de faire l’amour qu’une fois le corps délassé et l’excitation sexuelle enclenchée. Mais au départ il n’y a pas grand chose, hormis ce nœud de flemme, de fatigue, de complexes, de peurs et parfois de rancœurs donnant une impression de lourdeur ou d’ambivalence.
Elles ont envie ET pas envie de faire l’amour.
Elles ne savent pas trop. Leur engagement réside dans la conviction que ce moment passé ensemble pourrait être un bon moment, et qu’elles ont tout à y gagner :
« C’est compliqué, me confie une autre femme, j’ai envie de faire l’amour mais l’idée que ça va patauger au départ me démoralise. Je dois faire un effort, me concentrer sur ce que je vis, ça me prend de l’énergie. Pourtant, une fois lancée, j’adore ! »
Ce qui nous amène à penser que, pour ces femmes, le désir apparaît de façon progressive et que ce n’est que dans l’après-coup qu’elles peuvent affirmer : « J’ai bien fait d’y aller. » Le désir, dans ce cas de figure, n’a rien de spontané. Il ne parvient à émerger qu’après les prémices de l’excitation sexuelle.
D’où l’importance, pour la femme — comme pour l’homme — de repérer ce processus afin qu’il ne devienne plus un frein, une boulet coupable, mais qu’il puisse être compris, accompagné et soutenu par le couple. En effet, dans son rapport au désir, la femme a souvent une approche plus cérébrale que celle de l’homme, sans compter que ce même désir varie selon les courbes hormonales de son cycle menstruel (notamment quand elle ne prend pas de contraception hormonale).
Pour se motiver avec douceur, elle pourra se relier aux souvenirs heureux des précédentes unions et s’ouvrir ainsi aux caresses de celui qu’elle aime, se laisser rejoindre dans son corps, à son rythme. D’un point de vue physiologique, le corps de la femme a besoin de temps pour se préparer à la pénétration : le vagin doit d’abord se lubrifier, s’assouplir, s’allonger. Et cela est plus ou moins long, néanmoins normal, selon les femmes, leur âge et la période de leur vie.
En définitive, l’excitation sexuelle est parfois le chemin qui mène au désir sexuel, c’est un peu comme le jogging, cela demande un peu de motivation.
On n’a pas envie de courir, mais on le sait : courir nous fait du bien.
Alors il faut y aller, chausser ses baskets, s’échauffer un peu, enclencher la machine et trouver son pas. Puis, une fois en route, ça file tout seul ! Et au retour, on sera plutôt contente d’avoir couru : le corps sera revigoré, délassé, heureux !
Chère Fabuleuse,
Si toi aussi tu as l’impression d’entrevoir ton désir dans l’après coup, je te propose, comme pour le jogging, de procéder par étape et de réfléchir sur le « timing » et le « parcours » :
- « Le timing » : avec ton conjoint, choisissez VOTRE moment pour faire l’amour : le soir ? Le dimanche après-midi pendant la sieste des enfants ? Parvenez-vous à repérer les moments qui vous conviennent le mieux pour ne pas être trop fatigués et assez détendus ? Parvenez-vous à les anticiper ?
- « Le parcours » : ensemble, discutez de votre scénario sexuel. Que préférez-vous : faire l’amour lentement, rapidement, ou sans se prendre la tête ? Appréciez-vous les préliminaires ? « La route touristique » ? Ou au contraire, préférez-vous faire l’amour en mode « autoroute » ? Quel itinéraire de départ vous sécurise le plus ?
- « L’envie » : l’ambivalence n’est jamais agréable. Parviens-tu à la communiquer à ton conjoint ? Parvient-il à l’accompagner ?