L’arrêt au stand - Fabuleuses Au Foyer
Maman épuisée

L’arrêt au stand

Rebecca Dernelle-Fischer 17 avril 2018
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Je me souviens très bien des dimanches après-midi de courses de F1.

Dans le salon, on entendait les vrombissements des moteurs sur la ligne de départ et ensuite les sifflements des voitures qui passaient et repassaient, un tour après l’autre

C’était le moment formule 1 chez les Dernelle !

Ma maman ne regardait pas avec nous, elle passait juste en vitesse, craignant à chaque fois d’être témoin d’un accident grave. Mon papa et mon frère étaient de grands fans.

Et moi ? Enfant rêveuse, je regardais amoureusement les progrès de la Benetton, la voiture verte conduite par l’espoir de tous les belges : Thierry Boutsen (qui ressemblait tellement à mon chéri de tous les temps : « Futé », dans L’agence tous risques). Donc oui, je m’intéressais à ce qui se passait pendant les courses. C’est à cette époque que j’ai appris que l’un des moments les plus importants de la course était l’arrêt au stand.

Combien de temps faudrait-il à l’équipe pour requinquer la voiture et son pilote ? Y aurait-il un couac dans le ravitaillement ? Tout le monde retient sa respiration, on compte les secondes et hop, la voiture repart de plus belle.

Lors des arrêts aux stands, on comprend que derrière le chauffeur vedette et sa voiture au top, il y a toute une équipe au travail. C’est pour cela qu’une victoire en Formule 1 n’est jamais celle d’une personne isolée. Quand le champion gagne, c’est toute l’écurie qui gagne.

Qu’en est-il pour nous ?

Sommes-nous des champions isolés ? Faut-il vraiment gagner la course ? Et quelle course d’ailleurs ?

En 2018 a eu lieu le tout premier événement des Fabuleuses, dans un théâtre parisien. Si la personne qui était en avant était Hélène, elle n’a cessé de nous parler de son équipe, des gens qui l’entouraient, qui s’occupaient non seulement de la logistique et du programme mais aussi d’elle-même. Parce que toute victoire est une victoire d’équipe, et ça, Hélène l’a vécu !

Elle n’était pas seule, et quand les doutes l’assaillaient, que le travail débordait de partout, quand il fallait mettre sur pied le programme et les décors, elle avait des gens à ses côtés, elle savait à qui s’adresser pour entendre un « ça va aller, on est là, tu vas trop kiffer ».

Ce grand évènement s’approchait et un réseau de personnes était là pour la soutenir. Et elle a passé la ligne d’arrivée avec bravoure, faisant de cette soirée au théâtre le moment mémorable que vous avez peut-être partagé avec tant d’autres fabuleuses.

As-tu déjà pensé à te créer un réseau de soutien ? Une écurie personnelle ? Un lieu de ravitaillement ? Des gens qui savent comment laver les mouches moches collées à la visière de ton casque, qui savent te rappeler comment recharger tes batteries, où donner du gaz et quand lever le pied ?

Souvent et sans même vraiment réfléchir, nous arrivons à la conclusion que seuls les gens que nous considérons comme faibles ou en difficulté ont besoin d’aide.

Mais c’est oublier que derrière beaucoup de succès se cache beaucoup de soutien.

C’est plus qu’un champion au volant…

… c’est sa famille aussi, ses collègues, ses amis, ses contacts sporadiques mais « spécialisés dans un domaine ». C’est tout un système social, démocratique, environnemental, une quantité de ressources matérielles aussi…

Un jour, mon collègue docteur en psychologie me disait « et qui porte les forts ? ». Il a bien plus de bouteilles que moi dans le métier et avait déjà suivi plusieurs entreprises, des leaders, des couples, des familles d’accueil, donné des conférences et écrit des livres… et il me communiquait simplement une question qui m’est devenue très importante au fil des années qui ont suivi.

« Il nous semble toujours évident d’aider et de porter les personnes en besoin, mais que faisons-nous pour soutenir ceux qui portent beaucoup justement ? »

Avez-vous déjà vu un pommier lorsque les pommes sont presque prêtes à être cueillie ? Il arrive que les fruits soient si nombreux et si lourds que, veillant à éviter que la branche ne craque sous le poids, le propriétaire de l’arbre mette des piquets de soutien à ces endroits. J’aime observer ces arbres riches et leurs « béquilles », et cette image me parle beaucoup. Elle me rappelle toute la valeur d’un soutien bien placé portant les branches lourdes de fruits.

Avec les années, j’ai appris à me construire une « écurie » et en conséquence, à faire partie « des équipes de soutien » de certains amis ou connaissances.

Lorsque nous avons décidé d’adopter un enfant porteur de trisomie 21, nous savions que nous aurions besoin de personnes à nos côtés, pour passer au travers des hauts et des bas du processus d’adoption mais aussi pour oser nous dire en face si on était en plein délire.

Les gens ont toujours une opinion (fondée ou non) sur ce qu’on devrait faire et pourquoi et comment. Mais tout le monde n’a pas le droit de vous dire ce que vous devriez faire. Et c’est à vous de ne pas prendre tous les avis qui nous sont donnés pour argent comptant.

Lorsque l’idée de l’adoption est née, nous en avons parlé à des amis proches, des gens compétents de part leur métier mais aussi des gens qui nous connaissaient super bien et qui pouvaient oser nous dire « euh vous êtes sûrs de vous sur ce coup-là ? »

Et ce sont ces gens-là qui sont devenus notre écurie. Et j’ai compris tout le sens de ce réseau quand j’ai pour la première fois rencontré notre fille et que j’ai paniqué. J’avais tellement peur et la panique ne m’a pas quitté pendant 24 heures au moins. Christoph, voyant ma détresse m’avait dit « fait quelque chose, parle à quelqu’un »

Et je savais vers qui me tourner, j’ai pu faire un arrêt au stand. J’ai écrit des SMS et des mails, donné des coups de fil à mon réseau. Et leurs réponses m’ont aidées à passer au travers de ma tempête intérieure. Certains m’ont dit « on prie pour toi », d’autres « si ça ne va pas, tu peux toujours changer d’avis », d’autres encore « elle a de la chance cette petite miss de vous avoir trouvé ». Mes parents m’ont envoyé un « elle sera la bienvenue chez nous cette enfant ».

C’était comme si tout notre réseau nous portait un instant, nous faisait la courte échelle pour passer de l’autre côté du muret, lavait frénétiquement la vitre de mon casque pleine de moustiques écrasés. Alors si nous avons Pia aujourd’hui, c’est aussi parce que nous n’étions pas seuls, c’est aussi la victoire de notre écurie : Team Fischer’s adoption (thanks forever).

Christoph et moi avons gardé ce réseau (qui change, s’agrandit, parfois rétrécit) et nous chérissons ces gens qui nous requinquent et nous aident en toute simplicité et authenticité.

Et comme nous avons appris combien c’est enrichissant de vivre cette expérience, nous somme aussi un peu (beaucoup, pas trop, énormément) dans les équipes des autres.

Ce n’est pas un job à plein temps…

  • C’est envoyer à Noël des chaussettes tricotées par ma belle-mère à un ami qui s’en prend plein la tronche dans son boulot
  • C’est demander de temps en temps à quelqu’un si ça va.
  • C’est lire un mail, se réjouir des succès, rappeler que la phase « angoisse va passer ».
  • Mais surtout c’est aimer voir nos amis s’épanouir dans leurs projets, aimer voir leurs victoires, ne pas se sentir jaloux
  • Être cette amie à qui on peut dire : « tu sais, il m’est arrivé ça et ça » sans s’entendre dire « et alors ? »
  • C’est penser à dire à quelqu’un « tu m’épates, j’ai beau connaître ta ‘face cachée’, je trouve que tu t’en sors super bien » ou bien de lui rappeler « va courir un peu ce matin, ça t’aidera »

Tu vois, dans les courses, dans les victoires, dans nos échecs, on n’a pas besoin de rester seuls, on n’a même pas besoin de tout faire soi-même. On peut aussi rentrer au stand, faire une pause, on peut sabrer le champagne avec toute une équipe.

C’est l’humain qui porte l’humanité… et chacun de nous peut soutenir un peu l’autre. Alors : à vos marques, prêt, partez !



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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