En tant qu’enseignante, je me demande parfois d’où vient le besoin de compétition que manifestent les élèves, ce besoin constant de comparer leurs notes, leurs devoirs, leurs réussites et même parfois leurs bêtises.
C’est de l’hypocrisie, il faut bien le reconnaître. La clé, je l’ai en moi ou plutôt je l’ai enfin trouvée en devenant maman :
nous sommes toutes, constamment, dans la compétition.
À l’évidence, devenir maman signifie « entrer dans la course au meilleur enfant ».
Je fais partie de ces professeurs qui, à tort ou à raison, font tout ce qu’ils peuvent pour éviter la concurrence et même la comparaison. J’étais donc persuadée de ne jamais ressembler à tous ces parents d’élèves que j’avais entendu dire à leur enfant : « Tu vois bien, lui, il y arrive ! Alors, fais comme lui ! »
Pourtant, à l’arrivée de ma fille, je dois bien avouer que tout n’a pas été si simple.
Ma fille a parlé tardivement. Du moins, c’est ce que les autres m’ont laissé croire. Les pédiatres l’ont toujours considérée comme étant dans la « norme » et je ne me suis jamais vraiment inquiétée car je trouvais son développement personnel tout à fait rassurant. Cependant, un jour, face à une énième mère qui me demandait si ma fille parlait tout en prenant ce petit air ahuri qu’ont les parents dont l’enfant est le meilleur, je me suis entendue répondre : « Non, pas encore, mais elle a toutes ces dents depuis longtemps ! ».
C’est alors que je suis comme « sortie » de mon corps pour m’observer.
Quel était cet étrange alien qui pensait que les dents et l’usage de la parole pouvaient avoir le moindre rapport ? Qui était cette femme, pourtant sensée, qui se glorifiait d’un fait aussi indépendant de sa volonté que celui de voir des dents de lait pousser dans la bouche de son enfant ? Si encore j’avais affirmé quelque chose comme « ma fille a son bac » ou « elle étudie à Harvard » ou même tout simplement « elle a obtenu son permis », je ne me serais pas reconnue, mais j’aurai trouvé une explication logique dans cette source de fierté bien compréhensible. Mais « avoir des dents » ?
Pouvait-on être fier de son enfant parce qu’il avait des dents ? Non, bien entendu !
Ce jour-là, profondément honteuse d’avoir cru nécessaire de défendre ma fille parce qu’elle n’était pas au même niveau qu’un autre enfant, je me suis juré de ne plus jamais répondre ainsi à une mère qui, vraisemblablement, croyait elle-même bien faire en valorisant son enfant grâce à une comparaison qui lui était favorable.
Alors je me suis mise à observer les mamans.
Si tu t’ennuies parfois au parc, au cours de judo ou au portail de l’école, fais en autant. Tu entendras des mères qui comparent le langage, la motricité, le rythme, la « réussite » scolaire de leurs enfants.
– Le mien n’a que des bonhommes qui sourient dans son cahier»
– Les notes c’était quand même mieux ; avec ses compétences on n’arrive pas bien à voir où il se situe par rapport aux autres
– Ah, le tien ne marche pas encore ? Non, mais ne t’inquiète pas, ça va venir. Bon c’est sûr que je suis mal placée pour te conseiller car le mien a marché à 10 mois, alors…
– Non, mais pas de panique, ton fils saura bien faire la roulade avant d’ici que la mienne apprenne à faire la roulade arrière. Tu sais, depuis que nos enfants sont ensemble, je trouve que le tien est plus dégourdi !
Voilà, moi, ce que j’entends à travers toutes ces phrases :
« J’ai peur de ne pas être la mère qu’il lui faut. J’ai peur de ne pas être à la hauteur. Rassurez-moi en me disant que votre enfant non plus n’est pas parfait. Alors je pourrai m’accrocher aux imperfections du vôtre pour gommer un peu celles de mon propre enfant, celles qui me rappellent chaque jour à quel point il est difficile d’élever un enfant ».
Alors aujourd’hui, je vous le dis : ma fille est imparfaite et votre enfant aussi. Mais surtout, nos enfants sont uniques et n’ont pas besoin d’une mère parfaite. Je crois qu’ils ont besoin d’une mère qui sait parfaitement cela.