Au moment où j’écris ce billet, il y a exactement 8 ans que notre deuxième fille voyait le jour. Elle est arrivée par césarienne et c’était planifié. Qu’est-ce que j’ai pu entendre comme remarques à propos de cette décision ! La veille de sa naissance, une sage-femme me demandait avec pitié et une petite once de jugement : « Êtes-vous vraiment CERTAINE de ne pas vouloir essayer ? »
Eh bien non merci, j’ai déjà donné.
Une semaine après, cette sage-femme est entrée timidement dans ma chambre d’hôpital en disant : « J’aimerais m’excuser, j’ai lu le rapport médical de l’accouchement de votre première fille. N’ayez pas honte d’avoir choisi de faire une césarienne directement cette fois-ci. » Quel soulagement d’entendre cette simple phrase : « Je sais ce que vous avez traversé, je comprends votre décision ».
Pourtant, il m’a fallu de nombreuses années pour déculpabiliser à propos de ma première césarienne. Parfois, j’ai l’impression d’avoir failli, d’avoir raté la venue sur terre de mes filles.
Ce dont j’avais rêvé :
Comme toutes les femmes, d’un accouchement rapide, sans complications, avec ou sans péridurale, écrasant la main de mon mari, criant des gros mots à mon gynécologue, et pleurant de joie quand enfin, pour la première fois, je tiendrais ce bébé dans mes bras.
Ce qui s’est passé :
Lors de la venue de ma première fille, j’ai eu la totale. Un travail de 20 heures, un repas immonde de l’hôpital, des contractions doubles, un mari courageux mais à bout de nerfs, une péridurale qui s’arrête avant la fin de l’accouchement, le gynécologue et la sage-femme qui me disent : « Surtout arrêtez de pousser » (merci les gars, mais c’est pas que j’avais le choix), la femme de la cuisine qui vient en salle d’accouchement et qui me demande entre deux contractions ce que je préfère pour le souper (non, ce n’est pas une blague, j’ai dû choisir entre banane et pomme, pain complet et pain blanc).
Et tout à coup, le médecin qui revient pour me dire qu’il va falloir faire une césarienne d’urgence, que le bébé est bloqué, que mon mari ne pourra pas m’accompagner. Bref, la catastrophe.
Je vois mon petit mari blanc me faire signe alors que je pars en salle d’opération. Un gentil infirmier me caresse la joue et me dit « Madame, ça va aller, tout va bien aller ». 5 à 10 secondes, c’est le temps pendant lequel j’ai pu tenir mon bébé. Les larmes coulent sur mes joues, je suis seule (enfin pas vraiment mais je me SENS si seule), dans une salle d’opération froide, je viens de devenir maman.
Ce que j’ai pensé :
Je savais que les césariennes d’urgence sont les plus difficiles à vivre et à digérer. Merci aux professeurs de l’avoir mentionné à l’université. Eh bien je confirme : quelle perte de contrôle, quelle déception, quel sentiment d’échec quand tu viens de donner 20 heures pour essayer d’accoucher normalement. Quel deuil à faire. Tant de femmes réussissent à donner la vie, alors pourquoi est-ce que moi, j’ai bloqué ?
Je me suis posée mille questions : ai-je fait une erreur, n’étais-je pas assez préparée, n’avais-je pas assez donné, n’ai-je pas voulu lâcher prise ? Est-ce de ma faute ? Suis-je quand même une bonne maman ?
Un cercle vicieux entre la douleur, la fatigue, les questions, les doutes, les regrets… Dans ma tête, un scénario catastrophe dont l’actrice principale était une mauvaise mère, une femme coupable ! Rimant avec des « si j’avais, si seulement,… ».
Ce que j’ai enfin compris :
La venue de ma troisième fille (et ma thérapeute) m’ont aidée à comprendre l’essentiel et à lâcher la culpabilité.
Je suis la maman de mon enfant, une bonne maman pour mon enfant, et ce, peu importe si je l’ai allaité longtemps, courtement ou pas du tout ; non pas parce que mon enfant est arrivée par voie normale ou par césarienne ; non pas parce que je l’ai tout de suite cajolé des heures dans mes bras ou seulement quelques secondes. On donne ce qu’on peut, on s’adapte, on a des limites, on se dépasse, l’amour grandit, au-delà de nos attentes, au travers de nos circonstances.
Aucun de mes « si seulement » n’a pu m’aider à changer ce premier accouchement. Un jour, j’ai commencé à penser autrement, je me suis dit: « Ne laisse pas ton passé donner mauvais goût à ton présent ».
Depuis, j’apprends à lâcher prise, ne plus serrer entre mes doigts les bris d’une assiette cassée, à aimer ma brisure, accepter que ces 2 césariennes font partie de moi et qu’elles ont changé le cours de ma vie. C’était une partie des raisons qui m’ont poussé à vivre mon troisième accouchement tout différemment.
Ma dernière grossesse a en effet duré des années et les contractions ont duré 9 mois environ.
Ma dernière fille a été portée par une autre femme et elle est née loin de moi. Lorsque je l’ai tenue pour la première fois dans mes bras, elle avait déjà 8 semaines, elle avait besoin d’une famille. Nous attendions un enfant. Bien que je ne l’ai pas mise au monde, bien que ses gênes soient tout autres que les miens, je n’ai aucun doute que je suis sa maman, une bonne maman pour elle.
Notre troisième fille, nous l’avons conçue en remplissant des papiers et en rencontrant des assistantes sociales, en ouvrant notre appartement aux visites officielles, en répondant à toutes sortes de questions psychologiques, en rencontrant il y a un an et demi un juge qui a donc officialisé notre lien filial pour toujours.
Et peu à peu, j’ai compris l’essentiel : le lien qui m’unit à mes enfants va au-delà de la manière dont ils viennent au monde, c’est un choix, c’est un investissement, c’est beaucoup d’amour, un peu plus tous les jours.
Je suis une maman césarienne. Et alors ? Je suis une maman fabuleuse… c’est tout !