Le choix, nous l’avons en abondance.
Dans le moindre supermarché, où les rayons croulent du même produit en toutes les couleurs, toutes les tailles, toutes les marques. Dans les boutiques de vêtements qui fleurissent dans nos rues, dans les librairies et les bibliothèques dont les rayons croulent sous un nombre incalculable de livres. Pourtant, dans leur vie au quotidien, nombreuses sont les femmes à me dire : « Je voudrais vivre autrement, mais je n’ai pas le choix ».
Marine vient me voir car elle s’abîme dans un rôle de mère au foyer à plein temps
dans lequel elle ne trouve que peu de satisfaction. Installée depuis quelques temps en Italie, elle a cherché à travailler et me dit sa frustration : « Mon diplôme n’étant pas reconnu dans ce pays, j’ai dû renoncer à travailler, je n’avais pas le choix ». Elle dit avoir perdu confiance en elle et souffrir de cette absence de projet.
Au fil de nos séances, Marine reconquiert peu à peu sa responsabilité,
elle réhabite les lieux de sa vie qu’elle avait négligés ces derniers temps, notamment sa vie émotionnelle, sa vie créative, sa vie sportive. Au bout de quelques mois, elle m’annonce joyeusement s’être inscrite à une formation dans un domaine qui lui plaît. Nous discutons ensemble de ce qu’elle peut envisager comme activité bénévole, un jour par semaine, et qui constituerait une expérience lui permettant d’exercer son savoir-faire tout en continuant à apprendre. Elle propose spontanément d’animer une conférence pour la communauté française de sa ville sur son métier et me dit, avec un grand sourire :
« J’ai l’impression, finalement, d’avoir plein de cartes en main ».
En disant « je n’ai pas le choix », Marine s’était installée toute seule dans une posture où elle subissait la situation. Cette posture rejaillissait sur toutes ses activités, lui faisant ployer la nuque et les épaules. Une opportunité se présentait ? Elle glissait sur le dos arrondi de Marine, qui ne la reconnaissait pas comme une chance ni un choix possible.
Ce qui lui fait dire aujourd’hui : « À l’époque, je n’avais pas le choix dont je rêvais ». Marine repart avec cette idée inscrite au fluo dans sa tête :
je n’ai pas le choix que je pensais avoir. Mais j’ai d’autres choix.
C’est un accident de la vie qui a permis à Violaine de découvrir qu’elle avait plus de choix qu’elle ne le croyait.
Elle est ostéopathe dans les Pyrénées et mère d’un bébé. Elle se sent à bout de forces, écrasée par la charge mentale. Elle cite un pilier majeur de son équilibre : la randonnée au grand air. Or cela fait un mois qu’elle n’a pas fait de randonnée. Quand je lui demande ce qui lui permettrait de vivre cette sortie hebdomadaire, elle me répond : « Il me faudrait regrouper mes patients sur 3 jours. Aujourd’hui j’accepte les rendez-vous tous les jours de 9h à 11h puis de 17h à 20 h et ça me gâche la semaine ».
J’apprends par la suite que son mari a été hospitalisé l’an dernier pendant plusieurs mois, suite à un accident brutal. Quand je lui demande comment était son organisation alors, elle me répond : « À ce moment-là, je terminais mes rendez-vous à 16h pour aller récupérer notre fils à la crèche. Ce qui le permettait, c’est que je n’avais pas le choix, car j’étais seule à pouvoir le faire ».
Par le passé, elle a su transformer son planning sans perdre de patients.
Elle saurait sûrement s’organiser à nouveau pour libérer un jour par semaine et aller randonner comme elle aime. Mais elle ne le fait pas : « Quand c’était « à cause » de la situation de mon mari, ça allait, mais quand ça vient de moi seulement, c’est impossible ».
Il arrive que certains “à-côtés” du problème offrent une forme de confort qui empêche le changement.
Dans le cas de Violaine, quel bénéfice trouve-t-elle à ne rien changer ?
Qu’est-ce que la situation lui permet de vivre, qui compte encore plus que la résolution du problème ?
Elle cite la posture de sauveuse, qui la valorise : « Je me donne le devoir de recevoir tout le monde, de m’occuper de mes patients à toute heure pour me sentir nécessaire ». Peut-être l’attention qu’elle obtient de son entourage, admiratif de cette « mère courage », compte aussi, de façon inconsciente ?
Il faut du courage et de l’humilité pour remettre en question les bénéfices cachés d’un problème.
Mais c’est souvent dans ces bénéfices, conscients ou pas, que se trouve l’explication d’une résistance au changement.
C’est ce que comprend Amélie, qui me contacte au bord de l’épuisement : « Mon mari militaire est en mission à l’étranger pour trois mois, je serai donc seule avec nos quatre enfants en bas âge sans aucun temps pour moi seule, je n’ai pas le choix ». Quand je lui demande : « Et si tu avais le choix, que t’offrirais-tu, comme temps pour toi ? », la réponse vient vite : « Je m’offrirais une demi-journée de solitude au calme, chaque week-end ».
Pour Amélie, « je n’ai pas le choix » devient : « J’ai le choix de me faire aider en déléguant à quelqu’un la garde des enfants pendant une demi-journée par week-end, ou bien celui de m’occuper tout le temps de nos enfants moi-même, dépensant une énergie que je n’ai pas jusqu’à tomber dans un état d’épuisement sévère avant le retour de mon mari ». Plus tard, Amélie comprend ce qui l’empêchait de faire ce choix : « Je crois que je suis attachée à cette idée que je dois être une mère entièrement dévouée à ses enfants pour qu’on m’aime et me considère ». Je passe beaucoup de temps en séance à questionner ce coffre dont le verrou annonce : « je n’ai pas le choix ». Et je me réjouis, une fois soulevé le couvercle de ce coffre, de la multitude de choix que ces femmes découvrent, petits, grands, étonnants, inattendus, bien cachés, mon préféré étant : j’ai le choix d’embrasser ce qui m’arrive au lieu de le subir, en faisant confiance à la vie, et à moi, pour en apprendre quelque chose, pour en ressortir des fruits.