Ce matin tu pleurais. Entre tes larmes, tu m’as dit : « J’essaie d’être une mère bienveillante, mais je n’y arrive pas, car je sors de mes gonds régulièrement et je crie sur mes enfants. Après coup je m’en veux terriblement ». J’ai senti ta lassitude et ta détresse. Alors je t’ai invitée à te rappeler quelques points importants.
Rappelle-toi qu’hier, dans l’éducation des enfants, il fallait que ça suive, et puis c’est tout.
On ne cherchait pas à faire mieux que ça. Tout a changé depuis que les femmes peuvent choisir d’enfanter ou pas et que les psychologues, après Françoise Dolto, ont transmis l’idée que l’enfant n’est pas un sous-adulte, mais une personne à part entière qui mérite écoute et respect. Ce que tu dis, 90 % des femmes qui viennent me voir le disent aussi. Comme toi, elles s’efforcent d’être un parent bienveillant, dévoué et attentionné. Alors, quand elles s’entendent crier, elles vivent un double sentiment de culpabilité : celui de faire du mal à leur enfant et celui de se voir comme une mauvaise mère. Un peu comme toi en ce moment.
Rappelle-toi que tu es un être humain, donc faillible.
Essaie de jauger la gravité de la situation en te posant quelques questions, comme celles-ci : de quoi sont faits mes pétages de plomb ?
- Arrivent-ils quand je suis fatiguée, que je n’ai plus de patience, ou alors quand je me sens engloutie sous les sollicitations incessantes de mes enfants, de l’école, de mon mari, de la CAF ?
- Arrivent-ils quand j’ai l’impression de n’avoir eu aucun moment de répit depuis longtemps, aucun temps pour moi ?
- Arrivent-ils quand je n’en peux plus de répéter sans cesse les mêmes choses et que j’ai l’impression que mes enfants ne m’écoutent pas ?
- Est-ce que je pète les plombs tous les jours, ou bien est-ce épisodique ?
À mon tour de te poser des questions maintenant :
Peut-on être mère et être toujours en grande forme physique, toujours capable de se protéger de l’hyper sollicitation, de s’octroyer, chaque jour, du temps pour soi, et de faire en sorte que nos enfants nous entendent sans jamais nous faire répéter ?
Je ne connais pas une telle mère, pour ma part.
Quand les cris sont épisodiques, je t’engage à dédramatiser. Il est toujours possible de parler après coup de ces cris à tes enfants : « j’ai crié trop fort, j’en suis désolée, j’ai peu de patience en ce moment et tu en as fait les frais. Maintenant, j’aimerais que nous reparlions ensemble du fond de la question ».
Si les cris sont trop fréquents, ou disproportionnés, peut-être viennent-ils d’une difficulté que tu as à vivre tes émotions, à supporter celles de tes enfants, à entendre leur besoin d’autonomie, à reconnaître une situation d’épuisement, etc., tous ces points peuvent être travaillés avec un psychologue.
Quand je t’engage à te rappeler ton statut d’être humain pétri d’imperfections, je pense à cet adage qui nous vient du droit :
« à l’impossible, nul n’est tenu ».
Personne n’attend de toi que tu sois une mère souriante et disponible à tout moment ni que tu aies la capacité, par la seule force de ta volonté, de ne pas faire peser ton histoire sur celle de tes enfants. En revanche, tu as entre tes mains la responsabilité d’améliorer la situation. En prenant du recul sur tes représentations de la maternité, ou en prenant soin de ton énergie, ou en allant voir un psychologue si besoin.
Tu m’as aussi dit : « mes enfants vont rentrer de vacances et je me sens honteuse quand je m’avoue qu’au fond de moi, je n’ai pas envie de les revoir, pas encore ».
J’ai eu l’impression que cette seule pensée faisait de toi une mauvaise mère à tes yeux.
Rappelle-toi que tu es un être humain, donc un être de désir. Une bonne mère serait-elle toujours heureuse de voir ses enfants, en toute circonstance ? Ne connaîtrait-elle aucun désir ailleurs que dans son foyer ? Je ne parle pas ici du désir amoureux, mais du désir au sens d’un élan qui nous pousse vers ce qui nous fait sentir vivante.
À toi qui ressens parfois de l’agressivité envers tes enfants, je propose d’accueillir ce constat : il semblerait que j’en veuille à mes enfants. Puis de te poser la question : dans quelle mesure je sacrifie ma liberté pour mes enfants ? Un peu et je trouve ça normal ? Beaucoup et ça me coûte ? Tout et je leur en veux ?
Sacrifier toute sa liberté pour ses enfants, pour quelque temps, et quand cela a été choisi peut convenir à certaines femmes.
Mais ce n’est pas une obligation et surtout pas un critère pour être une bonne mère. Les enfants n’ont pas besoin de tout ton être. Ils ont besoin de se sentir aimés et sentir que tu crois en eux. Pour le reste, ils ont besoin… que tu vives ta vie. Car tu es avant tout, comme eux, un être de désir.
Le désir, c’est ce qui se manifeste par une excitation, une joie, un mouvement pour se rapprocher de quelque chose qui t’intéresse. Quels sont les comptes Instagram que tu as le plus de plaisir à aller voir ? Si je regardais dans ta bibliothèque de livres, quel sujet verrais-je revenir le plus souvent ?
Ces comptes ou ces livres abordent des thématiques qui t’excitent, qui éveillent ton intérêt, qui font vivre l’envie en toi : en deux mots, ce sont vers ces sujets que ton désir te pousse. Et cela ne t’empêche pas d’être mère ! Au contraire.
Ton enfant peut trouver rassurant le fait de voir que son parent aime le monde dans lequel il vit.
De plus, découvrir que son parent est intéressé par d’autres sujets que lui-même lui offre de l’espace pour se développer à sa façon.
À toi qui te sens coupable d’éprouver régulièrement d’autres envies que celle de s’occuper de tes enfants, je pose la question :
Tes enfants occupent-ils toute la place de ta disponibilité ? Quelle place te donnes-tu ?
Quand tu es effondrée par les cris que tu pousses sur tes enfants, commence par te rappeler que tu es avant tout un être humain dont personne n’attend qu’il atteigne la perfection. Rappelle-toi aussi que tu es un être de désir, et qu’être mère est une des facettes de ta vie de femme, mais pas toute ta vie de femme. Enfin, plutôt que de te juger coupable des « ratés » que tu me rapportes en matière d’éducation, je t’invite à te sentir responsable de ce que tu transmets à tes enfants, et à honorer cette responsabilité, notamment en te faisant aider quand tu l’estimes nécessaire.