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Dans ma tête

Je fais des bulles

Hélène Dumont 3 décembre 2020
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Nous attrapons nos agendas. Je suis avec l’une de mes amies et nous souhaitons programmer quelques dates pour travailler, tout en profitant de notre amitié. Alors que nous tournons les pages, je remarque avec étonnement une série de ronds, dessinés de façon régulière dans certaines colonnes de son calepin. Intriguée, je lui en demande la raison. 

– Oh, je fais des bulles, me répond-elle en riant.

Des bulles ?

Effectivement. Le concept est simple. Mon amie me l’explique en quelques mots : il s’agit de créer des espaces de respiration suffisamment réguliers, et de les noter dans l’agenda au crayon gris. Ces espaces ne sont pas nécessairement de longs temps de pause, ni destinés à une tâche particulière. Ce sont des espaces vides, pour reprendre un peu de souffle et laisser place à l’envie du moment.

Il y a de grandes bulles et de petites bulles. Les inscrire dans l’agenda est une façon de les anticiper, de réinterroger notre rapport au temps, et de prendre éventuellement conscience que nous en avons besoin. 

Je pense alors à mon propre agenda : je n’ai pas de bulles.

Néanmoins, je crois avoir appris à me poser de façon intentionnelle pour me ressourcer. Enfin, presque. Avec les enfants, l’imprévu fait partie de mon quotidien, et nombre de moments où je devais ralentir ont fini chez le médecin, dans la machine à laver, partagés avec un petit chou à mes pieds ou avec un adolescent en demande de conduite.

Pourtant, je sais que j’ai besoin de ne rien faire, ou plutôt de faire ce que je veux.

J’ai dû naître avec cette option, saugrenue pour certains. Ado, je fredonnais déjà ce refrain que ma grand-mère m’avait appris :

« Ah qu’il est doux de ne rien faire, quand tout s’agite autour de soi !» 

Oui, j’ai besoin de sortir de mes tâches quotidiennes, souvent teintées par le devoir et les responsabilités. Cela ne veut pas dire que mes journées sont lourdes et fades, ou que je n’aime pas ma vie. Cela signifie que le temps peut filer à tout allure, parfois de façon intense, au risque de perdre le goût des choses et d’oublier la saveur des relations qui se tissent autour de moi ou au travers de moi.

L’idée de mon amie n’est donc pas mauvaise. Anticiper et ajouter concrètement ces espaces de respiration dans son calepin est une façon concrète de dire :

« Cette fois-ci, je me pose. »

Se poser pour reprendre un peu de force et repartir ensuite. 

Pourquoi devrais-je le faire ? 

Tout simplement parce que je le vaux bien. Parce que c’est gratuit. Parce ce que ce temps est bon pour ma santé, psychique et morale. Oui, je veux m’offrir du temps dans un agenda qui respire. Je m’accorde ainsi ces fenêtres pour y glisser un peu de légèreté. J’aime laisser au quotidien la possibilité de m’inviter dans une activité, dans un endroit où je ne me serais jamais rendue si je ne m’étais souvenu que je pouvais m’y arrêter. 

Depuis ce jour, je fais des bulles :

  • Des micro-bulles : le matin, le plus souvent après avoir déposé les filles à l’école. Je rentre à l’appartement. J’ai 20 minutes pour moi, j’apprécie ce moment calme où je peux reprendre mon souffle après l’agitation matinale d’une famille nombreuse. Pas de mot à signer, de cuisine à ranger, de manteau à enfiler. Je rassemble mes affaires puis me fais couler un café. Un temps que je savoure avant de commencer ma journée.
  • Des jolies bulles : des bulles un peu plus large, d’une heure ou deux. Au moins une fois par semaine. Je laisse ma petite voix me guider : que puis-je faire ? Un gâteau ? Me promener ? Lire ou écrire ? Écouter les ados se marrer ? Me lover contre mon amoureux ? Reprendre le tricot ? Pas de rendez-vous. Pas d’obligation. Je bouge si je veux.
  • Des maxi-bulles : ouvrir les fenêtres pour s’aérer. Seule, en couple, en famille ou avec une amie. Peut-être un peu de tout cela, au fur et à mesure, et dans un équilibre qui me convient. Un temps de repos pour m’évader et revenir délassée. Un temps perdu car le linge ou le travail n’aura pas avancé, certes. Mais un temps gagné car je me serai détendue. L’occasion pour faire un point avec mon mari, rêver avec lui, bouquiner, flâner dans la rue, admirer la nature, me remplir de silence, partir à vélo, avancer un projet, rire aux éclats avec une amie… J’aurais pu faire toutes ces choses que je ne fais pas habituellement et qui pourtant me font du bien, me remplissent et me permettent de rester sereine, même dans les moments de speed, de tension et d’incertitude. 

Une personne me faisait remarquer que cette attention à « ne rien faire » ou à ne faire que « ce qu’il me plaisait » était égoïste.

Qu’elle encourageait le chacun pour soi et justifiait l’individualisme ; incitait à ne pas rendre service, à refuser les engagements ; permettait de refiler aux autres les actions pénibles que nous ne voulions pas endosser. Mais je ne le crois pas.

Il y a un temps pour tout.

Un temps pour faire, construire, servir, obtenir du résultat, et un temps pour se retirer, faire le plein d’énergie, se remplir afin de revenir pour mieux donner. Ce double mouvement est à l’image d’un poumon qui se gonfle et se dégonfle, il aide à garder le rythme, à réguler nos tensions, à digérer nos vagues émotionnelles. Il augmente notre capacité à tenir et nous aide à garder le cap en toute circonstance. 

Les personnes et les couples que je reçois sont souvent épuisés par leurs multiples responsabilités familiales, professionnelles ou par leur volonté de rendre service ou de faire tourner la maison.

Leurs agendas sont pleins :

« Il faut bien que… », me disent-ils comme pour se justifier.

Oui, il faut bien que les enfants fassent leurs devoirs, que la maison ne soit pas une porcherie, manger de façon saine, s’engager dans une association, et faire un peu de sport…

Pourquoi pas ? Mais pas au point de s’épuiser. Pas au point d’en perdre nos essentiels. Nous revenons aux valeurs qui les nourrissent, les non-négociables pour une vie heureuse : celles du couple et des enfants sont le plus souvent énoncées en premier.

Alors, nous revoyons leurs agendas pour qu’ils puissent se retrouver, d’abord avec eux-mêmes pour un plein d’énergie, puis avec ces personnes qu’ils chérissent le plus au monde.

Travailler le lien à l’autre, gratuitement.

On allège, on enlève le superflu, on respire, et peu à peu, nous remettons en action les poumons de ce temps malmené. Ce temps où se glisseront les pépites de notre vie de couple, les souvenirs amusants de nos enfants, les imprévus rigolos, les rencontres impromptues, l’indulgence de l’imperfection, l’émerveillement. 

Inspiration-expiration : et vous, faites-vous des bulles ?



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La minute de silence

Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants ! Elle est l'auteure du livre Terre éclose : la sexualité au féminin.
https://www.helene-dumont-ccf.com/

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