Quand je ne suis pas contente, je boude. Pourtant, je ne supporte pas que mes enfants boudent. Mais moi, j’aime bien bouder. J’aimerais que bouder me soit réservé, que ce soit mon privilège de mère de famille.
Quand mon mari peine à comprendre ce que j’attends de lui (sans que je le lui dise clairement, cela va de soi ; s’il m’aime, il n’a qu’à deviner), alors je boude. J’ai parfois des raisons objectives et valables de bouder : quand il fait quelque chose de très grave, comme suspendre de travers mon T-shirt préféré, faire disparaître ma tasse à café pas finie dans le lave-vaisselle, ou ranger dans la bibliothèque mon bouquin passionnant, laissé ouvert sur le canapé.
En général, il fait le gros dos et attend que ça passe.
Sage résolution, car essayer de rentrer dans mes bonnes grâces ne ferait qu’aggraver sa situation.
Cela dit, je reconnais que parfois, je me pourris des moments qui pourraient être agréables en boudant pour rien, pour le plaisir, alors que la quantité de bêtises commises par les deux petits est raisonnable, que les deux grands sont sympas, que tout se passe bien au travail et que mon mari n’a commis aucune faute suffisamment grave pour que je lui en veuille. Et rien que pour cela, il m’énerve, car je ne peux pas lui en vouloir et je suis bien obligée de constater que toute cette agitation ne provient que de moi.
Ces dernières semaines, j’essayais de m’observer, et je me disais que non :
décidément, le bonheur ne dépend pas d’éléments extérieurs.
Il dépend de ma capacité à comprendre, et maîtriser, mes états intérieurs.
Dans ces moments-là, c’est mon enfant intérieur qui boude, comme une petite gamine en colère. Elle boude, cette petite fille, de ne pas avoir assez de temps pour elle. Exactement comme mes petits crient et tapent du pied parce je leur dis qu’il est l’heure d’aller à la douche et qu’ils ne veulent pas lâcher leur jeu.
Dans le fond, je me comporte comme eux : je ne tape pas du pied parce que j’ai passé 40 ans. Mais ma bouderie signifie : je veux que tout le monde sache, dans ma famille, que je ne suis pas contente, et que je leur en veux de perturber, par leurs demandes incessantes, mes propres besoins.
Je veux leur dire que mon enfant intérieur est en conflit avec tous ces enfants autour de moi, avec ce petit qui me demande encore une partie de 7 familles, avec celui-là qui pleurniche pour que je l’aide à retrouver sa tototte, avec cette grande qui veut absolument me raconter l’énième rebondissement de sa relation compliquée avec sa meilleure amie numéro 2 qui vient de rétrograder en position 3, alors que la veille encore elles n’étaient que fusion et complicité, avec ce mari qui me demande encore une fois de lui renvoyer l’avis d’imposition qu’il a effacé de sa boîte mail, etc… Mon enfant intérieur se rebelle et boude, et a envie de tous les envoyer valser.
Parfois, cela m’arrange bien de coller sur le dos de mon Fabuleux la responsabilité de tous mes états d’humeur. Et c’est quand même beaucoup plus simple que de me poser pour m’interroger sur ce qui peut me bousculer intérieurement.
Lui, c’est l’homme que j’aime le plus au monde, et si je boude devant lui, c’est justement parce que lui seul peut me supporter ainsi, avec mes défauts et mes failles, loin de mon apparente perfection.
La bouderie, qu’est-ce que c’est ?
C’est de la colère rentrée. Et elle a comme gros inconvénient, par rapport à la colère, qu’il est beaucoup plus difficile d’en sortir, puisqu’il s’y glisse aussi un soupçon d’orgueil – tu sais, ce petit truc qui te fait t’entêter et t’embourber dans une situation dont tu sais qu’elle est nulle pour toi et pour tout le monde, mais dont tu ne sortirais la première pour rien au monde. J’ai pratiqué ce comportement à de nombreuses reprises, et cela m’arrive encore. Ça craint !
Mais si j’essaye de sortir de ma réaction instinctive d’auto-dénigrement qui, de sa petite voix grincheuse, me murmure à l’oreille : « Tu es vraiment trop nulle ma pauvre fille, regarde comme tu te comportes, on dirait une gamine de 5 ans », alors je peux choisir de réagir vite, et mieux :
- En essayant de comprendre à quel moment je bascule dans la bouderie, et quelle fragilité a été touchée en moi par cette petite contrariété pourtant bénigne,
- En m’accordant un petit moment de qualité rien qu’à moi, pour satisfaire mon besoin, qui est légitime, et faire descendre la pression,
- … Et en relativisant un peu la gravité de ce qui m’arrive, car après tout, je ne suis pas parfaite non plus, et je dois bien tous les agacer un peu, de temps en temps.
Dans un de ses récents articles, Hélène nous parlait du quotidien de la famille qui est immanquablement perturbé par mille petites anicroches : bobos d’enfants, galères au boulot, accident voyageur dans le métro pile le matin où tu avais une réunion super importante… Et la vie, c’est cela.
La vie, c’est de prendre tous ces petits instants, et de les traverser.
Car non, ça n’ira pas mieux plus tard, ça n’ira jamais mieux. Mon bonheur, c’est de vivre aujourd’hui et maintenant, avec les inévitables petits cafouillages, sans les laisser m’entraver les chevilles et prendre du poids jusqu’à envahir tout mon être, mais si possible en sautant par-dessus avec le plus de légèreté possible.
Car je le sais bien : dans un embouteillage, appuyer très fort sur le klaxon et insulter le gars devant n’a pas le pouvoir magique de fluidifier le trafic. Alors, en sortant de la bouderie – qui est un aveu d’impuissance -, je peux reprendre le contrôle sur ma vie, et régler de nombreux problèmes qui, pour agaçants qu’ils soient, n’en sont pas vraiment : ils n’ont que l’importance que je leur accorde.