« Tu peux leur expliquer mais ils ne comprendront pas ».
C’est une des phrases de mon mari qui m’étonne le plus et qui me montre combien l’arrivée de nos filles l’a changé.
« Devenir parent, tu peux en parler, tu peux leur dire ce qui les attend mais cela ne transmettra jamais ce qu’ils vivront en réalité ».
En effet, la force de cet événement n’a rien qui nous permette de l’expliquer de manière à bien « prévenir » celui et celle à qui on parle. C’est comme voir la tour Eiffel sur des photos et un jour monter au sommet. L’image ne te donnera ni la force du vent dans tes cheveux, ni la vue, ni la puissance des poutres en métal qui t’entourent.
Il n’en fut pas autrement pour nous.
D’ailleurs, nous rions souvent des décisions que nous avons prises durant ma première grossesse. Nous étions sur un budget super serré. Notre tout premier achat avait été un lit parapluie à emmener partout où nous irions avec notre futur enfant.
Nous pensions savoir ce qui était bon, ce dont l’enfant aurait besoin.
J’avais pas mal lu. Et puis, à la base, j’avais aussi un master en psychologie. Je pensais maîtriser un peu le sujet, voyons !
J’avais même déjà donné des conférences sur l’éducation (pardon, je ris déjà en y pensant). J’avais des théories et des principes, des solutions toutes faites et des valeurs. Dans ma valise pour aller à la maternité, j’avais tout un système éducatif de prêt, mais j’avais aussi très peur.
Ohlala, j’avais si peur. Peur de l’accouchement, peur de ne pas savoir m’occuper de mon bébé, peur de le casser, peur de perdre ma liberté et ma vie « d’avant ». La peur est restée, les valeurs et grandes idées se sont effritées comme un mur de plâtre dans lequel on gratte les couches superficielles les unes après les autres.
Je ne savais pas
- que la fatigue serait comme une lame de fond à la Mer du Nord qui te remet toujours de nouveau la tête sous l’eau.
- que ton bébé qui geint ou qui pleure te retourne les tripes et que tu ferais tout ce que tu peux pour qu’il se sente bien. Que ça devient ta priorité, que tu sors la maman lionne !
- que tu ne comprends rien au début de ce qu’il veut et que ce n’est qu’après avoir changé la couche, essayé d’allaiter, chanter 3000 chansons, fait des massages de ventre, que tu comprendras que ce petit bout n’aime pas l’heure du soir quand la luminosité diminue (ou que tu as mal remis son pull et que son petit doigt est encore coincé dans la manche… oups).
- qu’un landau multifonction tout neuf et tout beau ne t’aide en rien s’il est trop lourd à porter pour sortir du coffre de la voiture (et que tu aurais vraiment dû accepter le vieux modèle super léger et dont les couleurs t’avaient repoussée qu’on t’avait proposé avant la naissance).
- que tes sens sont tellement en alerte TOUT LE TEMPS et tes émotions super exacerbées que tu as l’impression d’avoir perdu ton cerveau en même temps que les eaux.
- que ça a beau être ta gentille amie qui te demande si sa fille de 6 ans peut prendre ton nourrisson dans les bras, tu lui répondras non… quitte à faire pleurer la gamine, mais tu ne peux pas faire autrement. Tu as physiquement peur de ne jamais pouvoir pardonner la personne qui fera du mal à ton enfant, que ce soit volontairement ou non.
- que tes seins peuvent te faire tellement mal aux premières tétées que tu chanterais l’opéra à en faire péter les vitres.
- que le temps que les hormones se remettent en place, tu n’es pas la même qu’avant.
- que tu sens physiquement qu’une partie de toi t’as quitté et que tu y es encore liée avec toutes les fibres de ton corps.
Je me suis pris cette réalité en pleine face.
J’avoue, j’ai vraiment ramé avec l’arrivée de notre premier enfant. Heureusement que j’étais entourée de personnes bienveillantes dont les mots et gestes venaient m’entourer d’humour, de bienveillance et de patience. Six semaines après l’accouchement, mon gynécologue m’avait accueilli avec un retentissant :
« Alors ? Déjà divorcée ou c’est en cours ? ».
J’ai ouvert la bouche pour répondre : « Euh… évité de justesse ».
Mais comment savait-il ?
Visiblement, on n’était pas les seuls à avoir vécu l’arrivée de notre première fille comme une grosse tempête qui nous avait fait dire « Purée, mais non, quoi, ça peut pas continuer comme ça ». Je suis ressortie de ce rendez-vous rassurée et j’avais ri… je pouvais enfin en rire (après avoir pendant les semaines précédentes au moins déclaré une fois à ma sœur « ma vie est comme ce poisson, maintenant, elle a plein d’arêtes dedans »).
Deux ans plus tard, lors de la même visite contrôle, six semaines après l’arrivée de notre deuxième fille, mon gynéco m’avait dit :
« On devrait toujours pouvoir commencer par le deuxième, n’est-ce pas ? Tout de suite, rien n’est plus si grave, n’est-il pas ? »
Oui mais oui quoi ! Alors, oui, ce ne sont pas que des bonnes surprises, et franchement, on ne sait pas se préparer à la réalité à 100%….
Mais quel miracle !
- Quel miracle de voir cet enfant hors de ton ventre alors qu’il y a 9 mois cette petite vie n’existait pas encore.
- Quel miracle de reconnaître les oreilles du grand oncle et les longs doigts de pianistes comme les tiens.
- Quel miracle d’enfoncer son nez dans le creux de ce cou pour y respirer l’odeur qui s’y loge.
- Quel miracle de sentir cette petite main te chercher, s’accrocher à ton t-shirt, tes cheveux, tes lunettes (non, ce n’est pas toujours pratique, je l’avoue).
- Quel miracle de voir ces petits yeux s’ouvrir et observer.
- Quel miracle de sentir la respiration de ce petit glouton qui se calme pour tomber dans un sommeil fragile mais tant attendu.
- Quel miracle de voir ton bébé grandir, porter le pyjama offert par ta meilleure amie, enfin sourire, commencer à tenir sa tête tout seul, attraper pour la première fois son abeille toute colorée, s’émerveiller des ombres qui passent.
- Quel miracle d’observer ses premiers pas le long du divan, son premier mot dit complètement, d’entendre son rire, de découvrir son caractère, de le laisser nous guider dans la nature, au rythme de ses longues admirations des fourmis qui traversent le chemin.
- Quel miracle lorsqu’ils apprennent à lire, s’éveillent au monde qui les entourent, posent milles et unes questions auxquelles on ne pensait plus.
- Quel miracle de les voir grandir, et de les laisser toujours plus prendre leur envol.
Quel miracle, quel cadeau, quel privilège !
Eh oui ! Christoph a probablement raison.
« La parentalité, on aura beau leur expliquer, jamais ils ne nous croiront ! »
On ne pourra pas leur dire, ni la profondeur ni la largeur du changement qui les attend.
Ce serait parler du goût des fruits qui ont grandi sous le soleil méditerranéen alors qu’on ne connaît que leur version fade que l’on trouve ici au supermarché. Il faut les croquer soi-même pour en comprendre toute la force, la richesse, la générosité.
« Ils ne nous croiront pas. » Christoph a probablement raison, c’est en le vivant qu’on comprend la force de l’impact (dans tous les sens du terme). C’est un tsunami, la chute d’un météorite dans notre petit jardin, c’est un cadeau, c’est une vallée profonde et sombre parfois, c’est le lever du soleil dont les couleurs explosent, c’est la fatigue comme jamais avant, et le bonheur comme des gouttes d’or, ce sont les larmes salées des soucis et les plus belles rides du sourire que nous auront acquises, c’est le trou dans le ventre, c’est l’air dans nos poumons, ce sont nos racines et nos ailes.
C’est fabuleusement inexplicable.
C’est toute la richesse et la complexité du monde lové un instant au cœur de nos vies.