« Impossible de respirer ».
Quelques mots, qui résonnent dans le monde entier.
Ces quelques derniers mots prononcés par George Floyd.
Des mots qui nous parlent parce qu’au fond c’est l’humanité entière qui ne respire pas quand une part d’elle est oppressée.
« I can’t breathe », « J’étouffe », « Je ne peux pas respirer ».
Et moi je ne peux pas respirer quand je réalise.
Quand je réalise que des enfants meurent encore de faim alors que mon frigo déborde, que des enfants travaillent dans des mines et que des femmes ne gagnent rien pour coudre des vêtements qui ne valent rien, que l’esclavage n’est pas un souvenir du passé et que le racisme pollue encore nos pensées, nos cultures, nos attitudes.
« I can’t breathe ».
Et toi ? Tu as aussi un étau qui te serre la poitrine quand tu vois que l’on meurt d’être black dans le pays de « la liberté » ? Quand tu vois ce qu’il se passe autour de nous ? Et qu’on se tait ?
J’étouffe de nos silences, de nos privilèges non mérités et pour lesquels on clame sur tous les toits avoir travaillé afin de les atteindre. J’étouffe, parce que je n’ai rien fait pour naître ici, maintenant, dans un milieu protégé, privilégiée d’avoir pu étudier des années un métier que j’ai choisi.
Au fond, que sais-je vraiment de ces vies écrasées, bafouées, dont on nie leurs droits les plus élémentaires ? Je sais que je n’en sais rien… que j’ai grandi dans une « room with a view », une chambre avec vue, dans une bulle, un cocon.
Les dés sont jetés avant notre naissance et j’aurais bien pu… naître ailleurs, devoir fuir la guerre, ne pas avoir l’eau courante, survivre dans un bidonville, avoir peur du matin au soir, souffrir chroniquement ou encore risquer la mort au quotidien.
Il n’en est rien et je n’ai rien fait pour ça.
C’est comme une grande loterie : l’un naît là, l’autre ici ; l’un malade, l’autre en bonne santé ; l’un riche, l’autre sans le sou… Nous oublions si souvent que l’on n’a rien mérité. Et nos « privilèges » nous brûlent les doigts quand la vérité nous frappe : tout aurait pu être autrement. Mais s’en souvenir, c’est un premier pas, c’est sortir d’un point de vue biaisé.
Comprendre cette grande injustice de base, être reconnaissant de tout ce qu’on a « reçu » comme lot de départ, ça nous permet aussi de moins juger les autres. Plus encore, ça peut nous motiver à agir, à partager, à faire changer cet équilibre injuste.
« I can’t breathe », « J’halète à la recherche d’air », je voudrais me boucher les oreilles et fermer les yeux. Je prends de la distance. J’oublie, je nie l’affaire, je repousse le dossier plus loin, hors de ma vue. Le racisme, les injustices, la malnutrition, l’inégalité des salaires entre les hommes et les femmes, les attentats, la pollution… si j’y pense, j’étouffe. Mais il me faut arrêter de trouver mille et unes raisons d’expliquer pourquoi « ça ne pas de ma faute et je ne peux rien y changer », sinon, en effet, rien ne va jamais changer.
La société ne respire pas, tant qu’une minorité est oppressée, tant que des droits fondamentaux sont bafoués, tant que ma réserve de papier WC a plus de valeur que le ventre gonflé des enfants affamés.
Alors on fait quoi ?
Oui, alors on fait quoi ? Que peut-on faire pour changer, quand on gère à peine nos vies débordées, quand notre équilibre est déjà si difficile à trouver ?
Viens avec moi à la source des choses… : on commence par soi-même. Chère Fabuleuse, le premier pas sera toujours en toi. Mon thérapeute me disait dernièrement :
« Il est écrit ‘aimez vos ennemis’. Eh bien, Rebecca, cela commence par aimer la partie de toi que tu ne supportes pas, ce dont tu ne veux pas, ce que tu détestes en toi ».
Et c’est bien là le plus difficile : s’aimer soi, aimer tout de soi, ne rien polir de force, aimer ses bosses. Remarquer qu’au fond, on est aussi plein de nœuds, de complexe, d’inachevé, d’incertain… et de préjugés. Aimer son humanité, ses limites, s’aimer avec. Je soupire en t’écrivant, j’ai l’impression que ça sonne tellement « fleur bleue », dépassé, naïf, trop sucré, délavé comme un vieux jeans dont les coutures craquent. Mais peut-être que c’est vraiment ça, le début du chemin.
Faire la paix.
Commencer par faire la paix en soi et puis laisser cette paix qui s’installe ricocher dans nos relations, nos maisons, nos sociétés. Changer nos cœurs, y cultiver la gratitude et la compassion, prendre la défense de l’enfant opprimé en soi et laisser ces changements éclabousser notre relation au monde. Aspirer à la paix et à la justice, utiliser nos voix et nos actes pour défendre nos valeurs, en commençant par les vivre dans nos familles et les transmettre à nos enfants.
Leur expliquer qu’on peut se tromper sur notre manière de voir les choses. Leur expliquer qu’on a tous des préjugés, qu’on est tous le « raciste » d’un autre (même si ce n’est pas sur sa couleur de peau qu’on réagit). Réaliser que tout cela, couplé avec la peur, construit des murs autour de nous. Mais qu’on peut déconstruire ces murs, en osant rencontrer, en osant se remettre en question, en parlant, en apprenant…
Montrons qu’on peut quitter le rang des « forts », des « puissants », des « gens qui eux gèrent tout tellement bien » pour aller grossir les rangs des autres « différents », des autres fabuleusement hors des cases et que toutes les petites voix qui s’élèvent peuvent créer de grands ruisseaux, des océans de changements…. Pour que l’on puisse respirer à nouveau, ensemble, de grandes gorgées d’air frais qui nous revivifient tous.
Dans l’avant-propos du livre Le choix d’Edith (du docteur Edith Eger), Philip Zimbardo écrit :
« Nous sommes tous des « héros stagiaires ». Notre stage de formation à l’héroïsme, c’est la vie, le contexte du quotidien qui nous invitent à nous exercer à l’héroïsme : avoir chaque jour des gestes de bonté, irradier la compassion, à commencer par la compassion envers soi, puiser ce qu’il y a de meilleurs chez les autres et en nous-même, célébrer et exercer notre le pouvoir de notre liberté mentale. »
Je nous encourage à cet héroïsme quotidien.
Commençons par OUVRIR les yeux et AGIR, en brisant le silence, en sortant du mouvement de foule qui nous emporte loin de la justice, en posant de nombreux actes, petits, au jour le jour mais qui, mis bout à bout, additionnés, auront un impact réel.
Tu sais, bien des gens nous on dit que l’adoption de Pia était un acte héroïque. « Adopter un enfant atteint de trisomie, moi je ne pourrais pas ». Et alors ? Chacun a son propre chemin : moi par exemple, je ne pourrais pas être infirmière. On se trompe si souvent sur ce qui change une société.
On met l’héroïsme si loin du quotidien, de notre réalité… comme si l’héroïsme était un biscuit caché dans la boîte au-dessus de l’armoire de la cuisine. Il devient inatteignable : « Oui mais moi je ne suis pas assez grand pour l’atteindre, moi je ne pourrais pas… ». L’héroïsme est tout petit, il se cache partout et il est à la portée de tous. Il est tout près de toi. Essaie avec moi.
« Rire souvent et sans restriction ; s’attirer le respect des gens intelligents et l’affection des enfants ; tirer profit des critiques de bonne foi et supporter les trahisons des amis supposés ; apprécier la beauté ; voir chez les autres ce qu’ils ont de meilleur ; laisser derrière soi quelque chose de bon, un enfant en bonne santé, un coin de jardin ou une société en progrès ; savoir qu’un être au moins respire mieux parce que vous êtes passé en ce monde; voilà ce que j’appelle réussir sa vie. »
Ralph Waldo Emerson (25 mai 1803 – 27 avril 1882)