Ma nounou est morte. Elle a mis fin à ses jours un matin de juillet. Elle a mis fin à ses jours le lendemain d’une dernière visite à mes enfants.
Ma nounou a passé quatre années à notre domicile pour s’occuper de nos trois enfants et d’une partie de la maison. Il y a 18 mois, un événement grave l’a faite vaciller ; elle s’est battue avec courage pour sortir de cet état de choc post-traumatique, mais le confinement et les difficultés des actions en justice auront eu le dernier mot.
Elle nous a fait le cadeau, lourd à porter, d’une dernière visite ; d’une joyeuse après-midi partagée avec les enfants, remplie de batailles d’eau et de constructions en briques de bois.
Évidemment, comme toutes les personnes confrontées au suicide d’un proche, je ressasse des « J’aurais dû » et des « Et si ». J’aurais dû être plus attentive ; j’aurais dû lui rendre plus souvent visite ; et si j’avais eu la bonne parole au bon moment ; et si, je ne l’avais pas laissée repartir…
Aujourd’hui, je laisse mes thérapeutes m’aider à faire le chemin avec mes « J’aurais dû » et mes « Et si ». J’apprends à lâcher prise sur une culpabilité qui n’a pas lieu d’être et sur une responsabilité qui n’est pas la mienne. Ma seule responsabilité, c’est de l’avoir accompagnée du mieux que je le pouvais avec les ressources qui étaient à ma disposition à ce moment-là de ma vie.
Ma tristesse est immense.
Si je ressens le besoin d’écrire aujourd’hui, c’est pour remercier la belle personne qu’elle était, du fond du cœur et ainsi, en quelque sorte, lui rendre un hommage posthume.
Aussi, je veux lui dire merci !
- Merci pour ces petits nez que qu’elle a mouchés, ces couches qu’elle a changées, ces chagrins qu’elle a consolés, ces berceuses qu’elle a fredonnées, les poésies qu’elle a faites réciter.
- Merci pour toutes ces douces et sincères attentions du quotidien : le dîner du soir anticipé, le linge plié et bien rangé, les rendez-vous honorés.
- Merci pour sa douce folie en activités créatives (des paillettes partout!) et ses concoctions culinaires à faire blêmir nos indices glycémiques.
- Merci pour sa fiabilité en tout point, véritable pilier au quotidien.
En lui disant merci, je veux exprimer ma gratitude vers toutes celles (plus rarement ceux) qui s’occupent des enfants des autres.
Je veux rendre hommage à toutes ces nounous de l’ombre, assistantes maternelles, aides à domicile, éducatrices de jeunes enfants ou baby-sitters d’un soir ; ces nounous aimantes qui déchargent pour un moment le dos fatigué des mères de familles accablées par la charge mentale.
Merci à ces nounous attentives qui savent recueillir les larmes de ces mêmes mamans qui ploient, et qui savent, elles aussi, à quel point il est difficile, en 2021, d’être mère, femme, fille, professionnelle, dans une société où le droit à l’erreur n’est pas de mise.
C’est quand la confiance absolue s’installe que le lâcher-prise peut prendre sa place, laisser être ce qui doit être et que de vraies relations, néanmoins complexes, se tissent.
Bien souvent, les mêmes questions se posent à ceux et celles qui confient leur(s) enfant(s) au quotidien :
- Suis-je quand même une bonne mère (un bon père) de laisser la prunelle de mes yeux à la garde d’autrui?
- Va-t-elle les aimer autant que moi?
- Et eux ? Vont-ils l’aimer plus que moi?
- Et, si il lui prenait l’envie de les enlever à l’autre bout du monde?
- Et elle, est-ce qu’elle va supporter que je les lui retire quand ils vont entrer à l’école?
La confiance absolue était bien présente, au fil des années, les relations profondes s’étaient installées ; pour autant depuis sa mort, c’est tellement difficile de lâcher prise.
Ma nounou était bien plus qu’une aide à domicile.
Ma nounou était mon binôme, ma complice, ma co-équipière.
Elle était mon amie, elle était ma fille, elle était ma mère.
Elle n’est plus parmi nous mais continue à vivre dans nos cœurs.
Ma nounou est morte.
Elle s’appelait L. et elle était fabuleuse.
Ce texte nous a été transmis par une Fabuleuse maman, Alexandra.