Quand l’actualité nous met, comme en ce moment, face à ce que l’humain a de plus cruel, où trouver de la douceur ? Et d’ailleurs, pourquoi choisir la douceur ? La douceur est-elle une réponse suffisante, adaptée, à la cruauté, à la guerre, au dénigrement, à l’aveuglement ? Pire, la douceur n’est-elle pas synonyme d’une fragilité qui prendrait naissance dans une folle naïveté et aurait un effet illusoire, invisible, ou carrément à côté de la plaque ?
Je vous parle de la douceur, car elle est un fil rouge dans mon métier.
Il s’agit non pas d’une douceur de guimauve, qui fond et recouvre l’autre, quoi qu’il dise ou fasse. Je ne vous parle pas de complaisance ni de mollesse. Je vous parle de douceur en sachant que nous avons tous en nous autant de douceur que de brutalité. Mon propos, c’est de vous raconter combien la douceur, celle avec laquelle je travaille, peut se révéler puissante.
Être accompagné par un psy, travailler sur soi et en soi n’est pas un chemin tissé d’ouate, non.
Certaines séances sont faites de secousses, de surprises désagréables, de tiraillements. D’autres font advenir des prises de conscience salvatrices et procurent des sensations de libération. Mais nul ne fait l’économie de cette nécessité du travail thérapeutique : traverser ce qui heurte avec les yeux ouverts et les manches retroussées.
Dans chacune des séances, j’entends la douceur qui a manqué.
Dans le sillage de son absence, ce sont des cœurs blessés, des corps abîmés qui tous, hurlent leur douleur.
Alors cette douceur, je l’invite dans mon travail de thérapeute.
Je tapisse mon être de son enveloppe soyeuse.
Cette femme, qui vient à moi, je la vois dans toute sa vulnérabilité. C’est avec douceur que j’écoute ce qui souffre en elle, que j’accueille ses sentiments ambivalents, ses colères, ses regrets, ses résistances et ses entêtements.
Je fais appel à la douceur.
Comment trouver les mots qui parlent directement au cœur, si je ne suis pas douceur ?
Comment aborder les conflits intérieurs de chacune sans douceur ?
Quelle plus belle passerelle vers une plus grande authenticité que la douceur ?
Comment encourager l’autre à aller au-devant de l’étranger en lui, si la douceur n’est pas là d’abord ?
Comment cesser de juger, si l’on ne connaît pas la douceur ?
Alors, me demande-t-on souvent, où la trouves-tu cette douceur ? À quelle source t’abreuves-tu ?
Je la vois dans le soleil qui jette un rayon doré sur le trottoir, dans la lumière qui lèche les toits des immeubles le soir, dans un sourire attrapé au coin de la rue, dans le soin que je mets à préparer mon repas, dans les mains enveloppantes de la masseuse sur mon corps fatigué, dans le calme de mon bureau avant que la journée ne commence, dans un câlin avec mon enfant au moment d’aller le tirer de son sommeil, chaud comme une brioche qu’on sort du four, dans cette jeune pousse de figuier qui a transpercé le bitume pour pousser, là, sur le trottoir.
Je me promène avec un panier imaginaire, et chaque soir, je contemple toutes les douceurs que j’ai récoltées, je me les renverse sur la tête, je m’en tartine le cœur.
La douceur m’est précieuse, dans mon travail et dans ma vie.
Où que je sois, j’entre dans le pays de la douceur, fait de calme et d’intimité. Je goûte l’infinie délicatesse qu’elle offre à ma vision du monde. Je l’invite le plus souvent possible dans mes journées, espérant qu’elle transperce chacune de mes cellules, qu’elle voyage vers d’autres, réveillant peut-être ici et là, une envie de vivre aussi cette douceur et de la transmettre à son tour.
Oui, parmi les émotions qui me traversent, au gré des tempêtes et des éclaircies, je choisis, chaque fois que je peux, la douceur.