Hannah me regarde en babillant alors que je la déshabille. Iris commence à sauter sur le lit, puis lance sa chemise en l’air : la voilà nue comme un ver. C’est l’heure du bain. Jacques vient à ma rescousse. Du haut de ses 9 ans, je lui demande d’attraper sa petite sœur qui se sauve en hurlant. Hannah bat des mains et des pieds. J’adore ses bourrelets, ses triples cuisses et ses joues boudinées. Je serai capable de les étouffer de baisers qui pètent.
Iris a disparu. Cachée sous le tapis, on ne distingue que le bas potelé de son dos.
« Mais elles sont à qui ces grosses fe-fesses ? » s’exclame son frère. « À moi ! » répond une petite voix hilare.
Le bain coule. Ce temps du soin est un moment joyeux. Au-delà des débordements de joie et de baignoire, cet espace laissé à la nudité est un privilège donné à nos plus petits pour, déjà, parler du corps, de l’intimité, de la différence des sexes, et tisser avec eux un lien de tendresse singulière.
Caresser ou frotter les épaules. Faire mousser le shampoing. Admirer les petits pieds chatouilleux. Se regarder les yeux dans les yeux. Nommer chaque partie du corps, même la plus secrète et délicate, au fur et à mesure que nous lavons.
Bulles de savon, anatomie et poésie font bon ménage : l’articulation de ces trois données est l’occasion rêvée pour évoquer le corps, en prendre soin, l’aimer sans honte dans tout ces petits recoins. En dévoilant la finalité positive de ce qui les constitue, fille ou garçon, nous aidons déjà nos enfants à se construire.
C’est un premier langage de l’amour
Pas toujours verbal, où nous transmettons de multiples informations sur l’identité, la sexualité, le rapport au corps, le rapport à l’autre. C’est un langage qui humanise.
Pourtant, tout n’est pas facile :
- Comment risquer une parole quand le rapport au corps est difficile ou a été blessé ?
- Comment trouver la juste distance ?
- À quel âge mon enfant peut-il commencer à se laver seul ?
- Comment nommer son sexe ?
Et moi … est-ce que j’aime ce temps de toilette, sur mon propre corps ?
Autant de questions ou de ressentis qui soulignent l’alliance de la grandeur et de la vulnérabilité du corps nu, et qui montrent que prendre soin de l’autre n’est ni anodin, ni facile.
Cela nous engage dans notre propre intimité, notre propre pudeur, nous incite à préserver l’intégrité de la personne, aussi petite en taille et en âge soit-elle. Ces gestes et ces mots que nous posons, ne sont pas neutres, ils éveillent des émotions, des pulsions, une prise de conscience de la valeur que j’ai. Ils sont garants que cet espace, celui du corps, est à respecter, parce que sans prix, constitutif de ce que je suis.
Certes, chaque toilette n’est pas forcément propice à cette disponibilité de cœur, d’accueil et de regard. Certaines ressembleront d’avantage à une succession de prises de judo pour maintenir un têtard sur-excité dans un coin de douche, et nous faire boire le court bouillon dans un mélange de fatigue débordante et d’impatience de fin de journée. Encore un peu, et l’on rêverait qu’un coup de glissade inopinée assomme la bête pour la nuit.
Mais voilà…
Nos enfants n’ont pas besoin de séances de toilette parfaite.
Ils ont besoin d’une constance d’amour dans le regard, les gestes, les paroles de leurs parents, dans lesquelles viendront se loger les prémices d’un premier élan de confiance. Cette présence auprès d’eux évoluera en fonction de leur âge, de même que les discours qu’ils nous inviteront à risquer au fur et à mesure de leur croissance, ou qu’ils viendront provoquer à l’adolescence.
La toilette, chez nos tout petits, est l’occasion d’interroger nos valeurs, de comprendre nos blocages si il y en a, de visiter à nouveau la place du corps, du désir, du plaisir, de l’excitation… Le tout est de leur signifier avec joie qu’ils sont beaux, mais qu’ils ne sont pas pour nous.
De cette distance préservée, nous pouvons leurs souhaiter qu’un jour se déploiera le désir joyeux de vivre à nouveau cette spontanéité enfantine dans une rencontre amoureuse choisie, mûrie, assumée, où le partage de l’intimité des corps viendra confirmer que la sexualité est une énigme.
Une énigme à travailler, déjà, auprès de nos bébés potelés.