Journaliste dans un quotidien régional, écrivaine, mère de trois enfants et femme de marin, Elisabeth Segard jongle entre ses rôles multiples avec un indéfectible sourire. Porteuse d’un handicap qui touche ses deux bras, elle a été élevée dans l’idée qu’aucune porte ne lui était fermée d’office. Résolument positive et joyeusement imparfaite, elle envisage la charge mentale comme une construction sociale plus qu’une fatalité et compte bien avancer l’esprit léger.
Le secret d’Elisabeth pour tout mener de front avec confiance,
c’est la décision qu’elle a prise d’alléger au maximum son quotidien et ses façons de faire, ce qui lui permet de dégager du temps pour ce qui lui semble essentiel : famille, travail, écriture. Elle trouve la source de cette philosophie de vie dans son handicap qui depuis toujours lui impose de s’éviter la pénibilité.
« Je zappe le repassage des chemises et je gagne une demi-heure pour cuisiner avec les enfants ou pour écrire. J’élague au maximum et je ne crois pas que les autres en souffrent autour de moi. »
Elisabeth refuse de nommer sagesse ce qu’elle appelle une « option », celle qu’elle a choisie et qui lui permet de tenir la barre sans sourciller lorsque son mari s’absente pour trois mois ou plus. Après la naissance de sa fille aînée, elle a brièvement tenté de se couler dans un idéal de maison parfaite mais s’est très rapidement trouvée confrontée à l’impossibilité d’atteindre son objectif.
En précurseur, elle a décidé il y a vingt ans de jeter la charge mentale aux orties.
« En discutant avec les copines, tu te rends compte qu’elles non plus n’y arrivent pas, donc pourquoi tenter d’atteindre la perfection sans lâcher sur rien, surtout si toi cela ne te rend pas heureuse. Le souci de perfection peut être fondamental chez certaines personnes jusqu’à générer une réelle angoisse, chez moi ça ne l’est absolument pas. Je fais des cotes mal taillées, je me dis que la vie est une cote mal taillée. »
« La charge mentale, pour moi, c’est surtout ce qu’on veut bien se rajouter en plus du nécessaire. Qui a dit que les petites culottes se devaient d’être repassées ? À quel standard veut-on se conformer, celui des magazines, de la télévision ? »
Choisir la joie sans être une licorne
Quand on demande à Elisabeth d’où elle tire sa joie et sa capacité à rayonner, elle répond que c’est une question de chance.
« J’ai la chance d’avoir eu des parents qui m’ont élevée dans le remerciement. Grâce à eux, j’ai toujours vu la vie et les petites choses quotidiennes comme une chance. Je fais le choix de ne pas m’arrêter sur les choses négatives parce qu’il y en a forcément, surtout dans l’exercice de l’écriture, qui te plonge dans des affres terribles. Il faut accepter aussi d’avoir ces moments difficiles qui sont passagers et normaux : on ne peut pas être tout le temps en mode licorne. Le fait de s’autoriser ces moments d’émotions négatives nous autorise de la même manière à vivre des moments pleinement joyeux. Le bonheur pour moi se trouve dans les petites choses, il n’a rien d’un rêve inatteignable ».
Faire de quelques difficultés quelque chose de tragique ?
Ce n’est pas l’option que privilégie Elisabeth Segard :
« Imagine que tu attends des amis pour le dîner. Tu brûles le gâteau et en mettant la table tu casses trois assiettes. Tu as deux options : soit tu le prends au tragique, tu te sens maudite, tu as la certitude que la soirée sera catastrophique, soit tu te dis que ça arrive, tu essaies d’en rire un peu et tu annonces à tes amis que ce soir c’est glace au dessert et vaisselle en carton. Avec un peu de recul, tout le monde aura passé une bonne soirée. »
Concilier l’écriture avec la vie de famille
Face aux exigences antagonistes du métier d’écrivain et du quotidien avec des enfants, la tentation est forte de considérer la vie de famille comme un frein terrible à l’écriture. Pourtant, Elisabeth Segard expérimente ce tiraillement avec l’état d’esprit constructif qui ne la quitte jamais.
« Une fois qu’on s’est dit que ce n’est pas possible de tout mettre sur pause pour pouvoir ne faire qu’écrire, on trouve une articulation. Quand mon mari est là, il gère tout et je peux écrire, mais j’ai envie également de profiter de lui. Donc quand il n’est pas là, j’écris la moitié de la nuit. J’ai appris à faire fonctionner un petit interrupteur dans mon cerveau qui me permet de passer d’une tâche à l’autre, d’un projet à l’autre, sans perdre le fil de mon roman. Les enfants étaient là avant l’écriture. On ne peut pas en vouloir aux autres d’une situation qu’on a soi même choisie. J’ai choisi mon mari avec son métier, je ne peux pas lui en vouloir d’être absent six mois par an, je l’ai élu en connaissance de cause. En ce qui concerne l’écriture, si cela devait devenir totalement incompatible avec la vie de famille, je devrais faire des choix. Les enfants ou l’écriture. »
Tout en m’assurant qu’évidemment, elle choisirait l’écriture, elle se rattrape en citant Marc Aurèle :
« Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux changer et la sagesse de distinguer les premières des secondes. »
Oser se lancer
Que ce soit au moment de s’inscrire au DUT de l’École Publique de journalisme de Tours ou à l’instant d’envoyer son premier manuscrit chez des éditeurs, Elisabeth Segard a su se lancer sans filet. De son propre aveu,
elle a toujours pensé que tout était possible.
« C’est grâce à mes parents qui ne nous ont jamais dit avec ma sœur, handicapée elle aussi, « non, vous ne pouvez pas vous inscrire chez les scouts, vous ne pouvez pas faire de saut à la perche… ». Si nous avions envie de tenter, ils nous disaient « essaie, tu verras bien. ». Si nous réalisions que nous avions des contraintes physiques trop importantes, nous arrêtions, mais c’était nous qui nous en rendions compte. Ça supprime toute frustration et toute peur. Du coup j’ai toujours pensé que je pouvais me marier, travailler, avoir des enfants. »
Cette certitude que le handicap ou la vulnérabilité n’empêchent pas d’accomplir de grandes choses sert de socle à son dernier roman Si fragiles et si forts paru en 2021 chez Eyrolles. Son histoire de chasse au trésor fait se rencontrer un enfant un peu seul et des infirmes soignés dans l’incroyable hôpital des Invalides.
Comme son petit héros Gab qui réunit autour de lui une équipe plus qu’attachante, Elisabeth Segard n’envisage pas la vie comme une course en solitaire et reconnaît devoir à son mari un élan précieux puisque c’est sur la base d’un pari qu’elle s’est lancée dans l’écriture de son premier roman.
« J’ai la chance d’avoir un mari qui n’est pas limitant. Et je n’aime pas perdre les paris. Il a été mon petit coup de pouce du destin. J’ai appris à faire confiance à ceux qui m’aiment. Si eux y croient pour moi, comme j’ai la certitude qu’ils ne m’enverraient pas au casse-pipe, j’y vais.»
Les bons tuyaux d’Elisabeth Segard
Lorsqu’on lui demande de livrer quelques unes de ses citations ou lectures inspirantes, Elisabeth n’hésite pas longtemps avant de murmurer :
« Une citation : “Je ne suis pas toujours responsable de la situation mais je suis responsable de mes choix”. »
« Une lecture : Charles Péguy. Quand je suis au fond du trou, un petit coup de Charles Péguy c’est toujours bien. C’est apaisant, comme une mélopée, ça parle de vraies valeurs qui te renforcent, comme l’espérance et la charité ».
« Ecouter de la musique. Du rock, Bach de temps en temps, du gospel, Sardou… tu n’es jamais déçu par la musique, ça permet d’accueillir et d’évacuer ses émotions ».
Bibliographie
2021 : « Si fragiles et si forts » Ed. Eyrolles
2020 : « Une certaine idée du paradis » Ed. Calmann Levy
2019 : « Les pépètes du cacatoès » City Editions